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Le Moyen Âge
Les épidémies et les pestes
Aperçu Les croyances populaires Mourir ou prévenir
Mourir ou  prévenir

La mortalité.
Toutes les épidémies de peste qui se sont succédées au Moyen Âge ont entraîné une mortalité considérable; est-il possible a l'aide des documents contemporains de se faire une idée exacte de ces ravages? Sans doute pas; l'imagination se donne ici libre cours. Lorsqu'il s'agit de contrées éloignées la Chine, la Perse, l'Asie Mineure, on jongle avec les millions. En ce qui concerne l'Europe, les dizaines et les centaines de mille se pressent sous la plume des écrivains. Encore doit-on s'estimer heureux lorsque les erreurs de copie ou les rimes ne se mettent pas de la partie; témoin ces quatre vers d'origine bourguignonne :

En mil trois cent quarante-huit 
A Nuits de cent restèrent huit.
Et pour la ville de Beaune :
En mil trois cent quarante-neuf 
De cent ne demeuraient que neuf.
Dans nombre de chroniques, les évaluations sont des plus approximatives; parfois même, quand l'auteur cherche à préciser, il se trouve qu'il y a plus de décédés que d'habitants! Au XIe siècle (1006, 1008, 1016, 1017), des narrateurs nous parlent de la pestilence qui frappe l'Europe, notamment l'Italie, et ici encore selon leurs récits le nombre des morts dépasse le chiffre des survivants. Il est question de 43 000 décès à Anvers, 34 000 à Gand, 28 000 à Bruxelles, etc. A Rome, en 1233, on sauve difficilement dix pour cent des personnes atteintes. Quelques années plus tard (1242-1243), s'il faut croire certains chroniqueurs, il subsiste à peine dans les contrées envahies un dixième de la population!

Florence perd, dit-on, plus de 15 000 habitants en 1340, et 4000 en 1347. Ce n'est rien comparativement aux données concernant la peste noire. S'agit-il de cette cité de Florence, 600 décès par jour, au total 60 000; de cinq individus existant au début du fléau, trois meurent. La proportion est de sept sur dix à Pise. Marseille voit disparaître les deux tiers de sa population; à Rome, la mortalité est incalculable :« ebbe perdita incalcolabile », dit Frari. Venise en quatre mois est privée de soixante pour cent de ses citoyens. A Gênes, 40 000 morts; à Naples, 60 000. La ville de Trapani (Sicile) reste complètement déserte. L'Espagne, de 1347 à 1349, fait des pertes importantes, il en est de même à Paris, à Sienne, à Strasbourg, en Allemagne. A Vienne, 40 000 personnes sont enlevées en peu de temps. Sur trois cents dominicains résidant à Marseille et à Montpellier sept seulement survivent. Dans la chartreuse de Montrieux en Provence, de 35 religieux il ne reste que Gérard, frère de Pétrarque. A Bâle, trois ménages demeurent indemnes; 14 000 habitants meurent. A Paris, dans l'hospitale ad opus pauperum mulierum de nove conversarum, le personnel des Filles-Dieu tombe de cent trente-six à cent quatre. Pendant l'année 1349, de Pâques à la saint Remi, le total des repenties passe de cent deux à quarante. Presque tous ces chiffres, fournis par divers auteurs, sont exagérés. 

En ce qui touche la France, une proportion d'un quart de décès sur la population totale, indiquée par Chauliac, paraît se rapprocher de la vérité, tout en restant énorme. En 1361, la peste revient à Avignon, on accuse 17 000 inhumations; nombre d'évêques et de cardinaux succombent. Le rôle des chefs de famille imposables à Saint-Flour (Auvergne) descend brusquement de 473 à 199. Milan, épargnée lors de la peste noire, perd 75 000 personnes! Florence revoit les mauvais jours de 1349; on y compte de 300 à 400 victimes par jour (1382-1383). A Raguse (Dubrovnik), de 1399 à 1410 les listes funéraires comprennent 160 patriciens et au moins 5000 citoyens. D'avril à octobre 1399, Florence est de nouveau atteinte; en 1417, cette ville voit disparaître une forte partie de sa noblesse. L'année suivante (1418), le bourgeois parisien écrit dans son journal  :

« en moins de cinq sepmaines trespasse en ville de Paris plus de L mil [cinquante mille] personnes. »
Pour cette année, Monstrelet donne un chiffre encore plus élevé : 
« A Paris on se mouroit d'épidémie très merveilleusement dedans la ville car comme il fut trouvés par les curés des paroisses, il y mourut cette année oultre le nombre de quatre-vingts mille personnes. »
Pour l'épidémie de 1438-1440, le même auteur donne le chiffre de 43 000 décès; à Bâle, où se tient le Concile, c'est un horrible massacre, « orrendo stragio ». Les années 1478 à 1485 comptent encore parmi les époques meurtrières; à Florence, 2000 défunts sont enterrés dans un seul cimetière, et pour Milan (1485) certains auteurs parlent de 137 000 morts! Frari ajoute que cela lui semble un peu exagéré : 
« crede qualche altro autore essere questo numero esagerato. » 
En résumé, la mortalité est terrible lors de ces épidémies si fréquentes, mais la peur faisant office de verre grossissant contribue à enfler les chiffres fournis par les chroniqueurs. La réalité demeure néanmoins effrayante et l'on conçoit que la peste noire amène des perturbations économiques profondes.

Les remèdes et moyens préventifs.
Bien souvent les populations cèdent à la terreur en présence de maladies mystérieuses contre lesquelles aucun remède n'a d'efficacité. Les médecins eux-mêmes se laissent quelquefois entraîner par le torrent et abandonnent leurs malades. Chauliac, qui « afin d'éviter l'infamie n'ose s'absenter », le déclare expressément à propos de la peste de 1348 :

« La peste, dit-il, fut inutile et honteuse pour les médecins, d'autant qu'ils n'osoient visiter les malades de peur d'être infectés; et quand ils les visitoient ny faisoient guères et ne gagnoient rien; car tous les malades mouroient, excepté quelque peu sur la fin. »
Un autre praticien n'hésite pas à déclarer ce mal sans remède :
« curationem omnem respuit pestis confimata. »
Cette méconnaissance des devoirs de la profession médicale n'est pas générale, et lors des différentes épidémies on trouve souvent la mention de médecins et de chirurgiens payés par les villes et se chargeant du soin des malades. A Clermont-Ferrand on accorde à un barbier franchise de taille sa vie durant et quarante sous par mois de traitement. A Dijon il y a aussi des héridesses (femmes soignant les malades et faisant les lessives) et des mangogets chargés de veiller les personnes atteintes du fléau, et d'inhumer les trépassés. A côté de défaillances, l'histoire enregistre nombre de dévouements admirables; celui de saint Roch est connu; sainte Catherine de Sienne va au plus fort de l'épidémie soutenir le courage des mourants, et saint Bernardin de Sienne pousse jusqu'à l'héroïsme l'esprit de sacrifice; à l'âge de vingt ans, en 1400, il se voue au service des pestiférés. Les soeurs de l'Hôtel-Dieu parisien meurent sur la brèche et trouvent immédiatement des remplaçantes; les Filles-Dieu agissent de même à Angers. A Westminster (1349) il reste une seule des personnes desservant l'hôpital Saint James (Brethren and Sisters), les autres sont mortes à leur poste.

Les remèdes conseillés sont de peu d'importance. La Faculté de Paris, dans sa consultation, s'attache principalement aux moyens préventifs : air pur, viandes légères, bon vin, exemption de fatigues et de soucis. A noter que, d'accord en cela avec nos modernes hygiénistes, les médecins du XIVe siècle recommandent, si l'on n'a pas sous la main une eau irréprochable, de la faire bouillir ou distiller, avant de la boire. L'isolement des malades, la purification de l'air à l'aide de feux continuels, d'aromates, sont des moyens couramment en usage. Les rapports entre pestiférés et individus sains demeurent défendus par les règlements des villes. Parfois les immeubles contaminés se trouvent signalés à l'attention publique par une croix blanche ou un drapeau noir. Les malades sont répartis fréquemment dans des loges ou cabanes situées en dehors de la cité et brûlées ensuite. Nombre de localités appliquent la même mesure radicale aux habitations privées. Nous trouvons à Compiègne (1499) mention de « deux escus de Roy » délivrés à «-ung bon homme a quy on a brullé sa maison, où ses enffans sont morts. ». Le Conseil de ville de Troyes fait livrer aux flammes un petit bâtiment dans lequel un homme et ses quatre enfants viennent de mourir. On expulse les pauvres ou on les renferme. A signaler aussi des hécatombes de chiens et de chats comme étant susceptibles de transmettre la peste, mais les rats, vecteurs plus certain de la maladie, ne sont pas inquiétés. Les villes de l'Adriatique : Venise, Raguse, plus particulièrement exposées au fléau en raison de leur commerce avec l'Orient, recourent aux quarantaines, dès l'année 1403. Des lazarets appropriés reçoivent les voyageurs suspects et les marchandises. Ce système est appliqué à Marseille et à Lyon. On en rencontre des traces à Villefranche lors de l'épidémie de 1468.

Ce n'est pas tout. A partir du XIIIe siècle apparaissent de nombreuses ordonnances des magistrats prescrivant des mesures d'assainissement dans les centres populeux, si insalubres au Moyen âge, avec leurs rues étroites, leurs maisons aux étages surplombants qui arrêtent les rayons du Soleil. Il faut y joindre l'accumulation de fumiers, matières fécales, etc. On songe alors à imposer le nettoyage des rues, le transport au loin des immondices : 

« Que nul barbier, disent les coutumes de Lunel (1367), quand il fera une saignée n'ose tenir en dehors de la porte de sa boutique plus de deux écuelles de sang... »
Il est prescrit de n'élever dans les villes « aucuns bestiaux qui causent de l'infection ». Une ordonnance du Prévôt de Paris - 16 novembre 1510,
« enjoint de plus à toutes personnes qui ont été malades de la contagion et à toutes celles de leur famille, de porter à leur main en allant par la ville, une verge ou bâton blanc, à peine d'amende arbitraire. »
Toutes ces mesures sont impuissantes à enrayer des fléaux qui tiennent à des causes plus générales. Le meilleur préservatif est l'isolement, il faut autant que possible éviter les localités contaminées. Le duc de Savoie Amédée VIII (plus tard anti-pape sous le nom de Félix V) ne manque pas lorsqu'il doit se déplacer d'envoyer un médecin 
pour s'assurer « de certain s'il n'y a aucune infection d'aer ne aultre maladie. »

En 1492 le roi de France, devant se rendre à Compiègne, députe son maréchal des logis « pour savoir et avoir oppignion si il n'y a aucun dangier pour la personne dudit Seigneur touchant la malladie de la peste »; une assemblée est convoquée à l'hôtel de ville en vue d'entendre les dépositions. Quelques cas suspects sont signalés.

« Et pour ce que Mondit Seigneur le Mareschal a dit que on ne recélast point la chose que c'estoit sur la vie de ceulx qui le recelleroyent, a esté conclud de aller par devers Monseigneur le Bailly de Senlis, pour illec mander les curez, prieur de l'Ostel Dieu, médecins et barbiers dudit Compiègne, afin d'en savoir plus amplement la vérité. »
Ces enquêtes marquent bien les inquiétudes qui envahissent l'esprit au seul mot de peste et l'impression profonde laissée par la mort noire, venant au milieu du XIVe siècle bouleverser l'état social des peuples en les décimant. (Léon Lallemand).
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République Tchèque : colonne mariale.
Une colonne mariale (ou colonne trinitaire), en République Tchèque. 
Nombre de ces colonnes; dédiées à la Vierge ou à la Trinité, furent élevées en Europe
centrale au XVIIIe siècle pour conjurer une épidémie de peste.Photo : © Angel Latorre, 2008
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Les pestes modernes

Les mesures de prophyllaxie publique qui ont commencées à être appliquées une peu partout en Europe à partir de 1572, n'ont pas fait diminuer la peste ni en intensité ni en étendue pendant le XVIIe siècle, même si elle devint moins fréquente durant le dernier tiers de ce siècle.En 1655, Londres perdit d'un coup près de 70 000 de ses habitants.

C'est seulement au XVIIIe siècle, que l'on constate la cessation de la généralisation de la peste en Europe et sa concentration sur quelques grands districts du continent : à la fin du XVIIIe siècle, la peste sévissait surtout en Asie Mineure d'où elle menaçait l'Europe.

De 1810 à 1832, la peste toujours endémie épidémique en Asie antérieure, en Syrie et en Égypte, a frappé les îles de la Mer Egée, la Crimée, la Dalmatie, la Tripolitaine. De 1832 à 1845, elle alla graduellement en se resserrant. Vers la fin de 1845, on admet que la peste n'existait nulle part en Europe ni dans l'Orient et que cet interrègne de la maladie, constaté pour la première fois depuis un temps immémorial, se prolongea jusque dans les premières années de la seconde moitié du XIXe siècle.

De nouvelles épidémies apparurent ensuite. Depuis 1863 jusqu'en 1882, on peut affirmer que le Kurdistan a constitué un important foyer endémo-épidémique. Citons aussi les épidémies de Russie en 1878-1879, celles de Chine (1878). C'est seulement à partir des années 1950 que la maladie peut enfin régresser, grâce aux campagnes de dératisation à grande échelle qui ont eu lieu après la Seconde guerre mondiale. La peste qui, semble-t-il, ne présente plus aujourd'hui de risque de pandémie, est cependant loin d'être éradiquée. On continue  d'en recenser des cas, et il en existe encore de nombreux foyers (sous forme épizootique) un peu partout dans le monde.


La peste de nos jours. 
En rouge, les cas humains signalés entre 1977 et 1998;
en jaune; les zones où la maladie affecte des animaux. 
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