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La
désorganisation de l'empire
Mehmet III et
Ahmed Ier
A la mort de Mourad
III, sa favorite, Safiyé Sultane (la Vénitienne Baffa) fit proclamer
son fils Mehmet III (règne : 1595-1603).
Le grand vizir Siman Pacha ayant été défait par les Valaques et rejeté
au delà du Danube, et les Impériaux ayant repris Gran en Hongrie, Mehmet
se décida à se rendre à la tête de l'armée (1596),
prit Erlau et gagna d'une façon imprévue la bataille de Keresztes; après
cela, il rentra à Istanbul. Schwarzenberg
et Palfy prirent Raab par ruse (1598);
le grand vizir Ibrahim sut rétablir la discipline parmi les troupes, et
réussit à s'emparer de Kanischa (1600),
dont la belle défense, l'année suivante, contraignit l'archiduc Ferdinand
à une retraite désastreuse. En Asie Mineure, la révolte des Firaris
(= fuyards), commandés par Kara-Yazidji qui prit le titre de Halim Chah,
puis par son frère Déli-Husséïn, se termina par la soumission de celui-ci
(1603).
L'énergique souverain persan Chah-Abbâs Ier
reprit Tabriz et
assiégea Erivan. Sur ces entrefaites, Mehmet III mourut de maladie, laissant
à son fils Ahmed Ier, né en
1589 (998
de l'hégire), âgé de quatorze ans, un État en pleine décadence Ã
cause du désordre toujours croissant dans les finances, de l'altération
des monnaies et des abus provenant de la vénalité des charges publiques.
Ahmed Ier
continua la guerre contre la Perse ;
son armée fit le siège de Kars, dont Châh-Abbâs s'était emparé après
avoir pris Erivan, et empêcha les Persans de prendre Van, mais l'armée
turque finit par être battue (1605).
Une grave rébellion, amorcée dès 1604,
s'était produite en Asie mineure, ayant pour chef Kalender-Oghlou.
Le grand vizir Mourad Pacha réussit à exterminer les rebelles d'Asie
(1608),
et fut considéré comme le restaurateur de l'Empire. Il fallut néanmoins
rétrocéder à la Perse les provinces frontières conquises (1612).
Dans le même temps,
une bataille une autre baille était menée sur le front européen. Lâlâ-Mohammed-Pâchâ
assiégea Vacz, Gran et Pest et dégagea Bude
que menaçait l'archiduc Mathias (1604).
On essaya, sans pouvoir s'entendre, de négocier avec la Hongrie
et la Transylvanie .
Un noble Hongrois, Bocskaï, qui avait réussi à s'emparer de Neuhaeusel,
fut reconnu par les Turcs comme roi de Hongrie. Une trêve défavorable
avec l'Autriche
fut enfin conclue à Sitvatorök (11 novembre 1606).
Cette trêve, renouvelée en 1616,
dura vingt ans.
Quelques succès
sur mer, balancés par la surprise de Sinope enlevée par les Cosaques,
et une infructueuse campagne en Perse
(1616),
précédèrent de peu la mort d'Ahmed Ier
(22 novembre 1617),
prince faible, juste, décrit comme modéré et généreux, qui embellit
les villes de la Mecque
et de Médine, et construisit à Istanbul la mosquée
qui porte son nom.
Moustafa Ier
et Osman II
Ahmed laissa un
fils, Osman, âgé de treize ans, qui ne lui succéda pas immédiatement
et monta sur le trône seulement quelques mois plus tard, après avoir
été débarrassé de son oncle Moustafa ler.
Celui-ci, successeur de son frère Ahmed, en avait aussi subi auparavant
la méfiance et avait croupi quatorze ans dans ses geôles. Une captivité
qui l'avait affaibli au point qu'il ne put pas de garder le pouvoir,
qui lui fut enlevé par une conspiration au bout de trois mois. Osman II
conclut la paix conclue avec la Perse
(1618).
L'intervention des Polonais en Moldavie
se termina par leur défaite sur les bords du Dniestr (1620);
néanmoins, la bataille de Choczim
n'eut pas les suites heureuses que se promettait le jeune prince, qui ne
rêvait rien moins que la conquête entière de la Pologne. L'annonce de
son départ pour le pèlerinage
de la Mecque
eut pour effet immédiat le soulèvement des janissaires,
qui s'emparèrent du palais, rétablirent Moustafa sur le trône, et assassinèrent
Osman, à peine âgé de dix-huit ans (1621).
Son avarice et sa cruauté lui avaient aliéné l'affection des prétoriens,
mais le principal motif de sa chute fut le projet qu'on lui prêtait de
vouloir supprimer cette milice, devenue redoutable aux souverains. Moustafa
n'était pas guéri de sa maladie incurable; ce fut la sultane Validé,
sa mère, qui régna sous son nom. Elle fu nottamment confrontée à Abaza
Pacha qui s'était révolté en Anatolie, avait confisqué les propriétés
des janissaires dont il était l'ennemi déclaré, et s'était s'emparé
d'Angora (auj.; Ankara),
de Sivas et de Brousse
(Bursa).
Mourad IV et Ibrahim.
Moustafa fut définitivement
relégué au fond du sérail, et, en 1623,
Mourad IV, deuxième fils d'Ahmed ler,
ceignit le sabre à l'âge de douze ans. Il était temps qu'un souverain
énergique tente de relerver l'État en pleine décomposition. Chah-Abbâs
venait de s'emparer de Bagdad, où dominait le janissaire Békir Agha.
Hafyz Pacha, nominé grand vizir, défit à Césarée les troupes du rebelle
Abaza; une entreprise des Ottomans contre le khan de Crimée fut moins
heureuse et se termina par une déroute complète, tandis que des barques
de Cosaques dévastaient le Bosphore
(1624).
L'entreprise de Hafyz Pacha pour reprendre Bagdad avorta. Khalil Pacha
assiégea en vain Erzeroum, où se maintenait Abaza. Celui-ci capitula
plus tard à la suite d'une surprise de Khosrev Pacha, et fut à la fin
l'objet du pardon du sultan. Il justifia même par son dévouement, Ã
la tête du gouvernement de Bosnie, la confiance que Mourad avait mise
dans sa valeur.
L'insuccès de la
campagne de Khosrev contre Bagdad amena dans la capitale de sanglantes
émeutes qui faillirent renverser Mourad, et qui ne prirent fin que quand
celui-ci parvint à se défaire, par une exécution, de Rédjeb Pacha,
instigateur secret des troubles (1632);
accompagné d'une garde dévouée et revêtu d'une armure, il ne craignit
pas de parcourir lui-même la ville et de dissiper les rassemblements qu'il
y rencontrait. Fakhr-ed-din ben Maan, prince druze
du Liban, qui s'était rendu indépendant, fut poursuivi dans les montagnes
de la Syrie et obligé de se rendre; reçu d'abord avec beaucoup d'honneurs,
il fut décapité plus tard sous le prétexte de la révolte de son petit-fils
Melhem.
Mourad prit lui-même
le commandement de l'armée destinée à opérer contre la Perse ;
il se rendit célèbre par sa sévérité inouïe, qui le faisait marcher
au milieu des supplices; Erivan capitula, Tabriz
fut pillée et détruite par l'incendie (1635);
les Persans reprirent l'avantage lors du retour du sultan dans sa capitale,
mais le siège de Bagdad, qui capitula après un assaut des plus violents,
attribua définitivement cette ville à l'Empire ottoman (25 décembre
1638).
La santé de Mourad, ruinée par l'excès du vin, le conduisit au tombeau
à vingt-neuf ans (9 févier 1640).
Son frère Ibrahim lui succède.
Ibrahim,
prince faible et d'une santé délicate, laissa gouverner la sultane Validé
et son grand vizir Kara-Moustafa, qui réduisit le rebelle Husséïn, fils
de Nassouh Pacha, mais périt bientôt victime d'une intrigue de palais.
L'île de Crète
fut envahie par surprise et conquise, à l'exception de Candie (Héraklion) ,
qui ne succomba que vingt-cinq ans plus tard (1646).
Les moeurs dissolues d'Ibrahim eurent pour résultat sa déposition, puis
son assassinat dix jours après et son remplacement par son fils Mehmet
(Mohammed) IV, né en 1642.
Mehmet IV.
Des révoltes fréquentes
troublèrent les premières années du règne de ce souverain qui n'avait
que sept ans quand il fut intronisé. Et de fréquents changements de ministres,
dus à des influences du harem, marquèrent aussi les débuts de Mehmet
IV. Sa minorité fut une longue anarchie et des troubles éclatèrent
en Asie Mineure; en 1649,
la flotte ottomane était battue devant Candie (Crète). Mocenigo détruisit
la flotte devant les Dardanelles
(1656);
les affaires ne se rétablirent qu'à l'arrivée au grand vizirat de Kiuprulu-Mohammed
Pacha; l'énergique vieillard chassa la flotte vénitienne des Dardanelles;
la bataille coûta la vie à Mocenigo; Ténédos et Lemnos furent conquises
sur les Vénitiens (1660).
La Transylvanie
ravagée, le rebelle Abaza-Hasan, vainqueur à Ilghin du séraskier Mourtéza,
fut attiré à Alep
et massacré; l'amiral Abd-ul-Kadir, malgré sa défaite navale devant
Milo ,
s'empara du gouverneur révolté d'Adalia (1661);
La même année, Peterwardein fut enlevée aux Autrichiens, et les Tatars
de Crimée
ravagèrent la Russie .
Kiuprulu Mohammed
Pacha, qui avait été grand vizir pendant cinq ans, s'était rendu redoutable
par sa cruauté, et n'avait pas craint de faire bâtonner et emprisonner
M. de Vautelet, fils de M. de La Haye, ambassadeur de France, pour tâcher
d'obtenir de lui la clef des dépêches chiffrées qu'il avait saisies,
laissa en mourant ses fonctions et son pouvoir à son fils Kupruli-Ahmed
(1661).
La guerre reprit en Hongrie, Neuhaeusel fut prise (1663)
et les pays environnants dévastés. La bataille de Saint-Gothard contre
l'armée franco-autrichienne arrêta court les progrès des Ottomans (31
juillet 1664),
et la paix fut conclue à Vasvar (10 août 1664),
laissant aux Turcs leurs conquêtes. Un traité qui n'empêcha pas la France
de continuer la lutte, et les escadres de Louis
XIV ravagèrent les pays barbaresques .
Candie capitula après un long siège (27 septembre 1669),
ce qui mit fin à la guerre de Crète, qui avait duré vingt cinq ans.
Sur ces entrefaites,
les Cosaques commandés par l'hetman
Doroszenko offrirent au sultan la suzeraineté de l'Ukraine et se soumirent
à la Turquie. Mais le roi de Pologne n'y ayant pas acquiescé, la guerre
éclata entre la Turquie et la Pologne. Cette fut d'abord heureuse pour
les Ottomans. Kaminiec (Kamenetz) capitula (1672),
Leopol et d'autres villes furent prises par les Turcs, et une paix avantageuse
pour la Porte fut signée cette même année à Busacs grâce à l'intervention
du khan de Crimée. L'année suivante, les Polonais refusèrent de payer
le tribut qui leur avait été imposé, le roi Sobieski battit Husseïn
Pacha, et à la mort de Michel fut élu roi à Varsovie .
En 1674,
les succès furent balancés; l'année suivante, Sobieski défit Chichman
Ibrahim Pacha sous les murs de Leopol (Lemberg). Néanmoins les Turcs gardèrent
l'avantage, et la paix de Zurawna leur acquit une partie de l'Ukraine et
la Podolie
(26 octobre 1676).
La mort d'Ahmed-Kiuprulu, survenue cette année, marqua le terme des victoires
ottomanes.
En 1677,
la Russie
ayant pris sous sa protection l'hetman des Cosaques, la Turquie lui fit
la guerre; le tsar Fédor III fut trois fois vainqueur, et la trêve de
Radzin fut achetée par la cession aux Russes de territoires de la rive
gauche du Dniestr (1681).
Tékéli s'étant révolté en Hongrie contre l'empereur Léopold, la Porte
soutint ses prétentions, d'accord avec Louis XIV; Kara-Moustafa se porta
sur Vienne et l'assiégea inutilement; l'entrée en scène de Sobieski
et l'issue désastreuse de la bataille de Kahlenberg (12 septembre 1683)
sauvèrent la capitale de l'Empire.
Une ligue se forma
contre la Porte, Composée de l'Autriche, cela Pologne, de Venise,
de Malte ,
du Saint-Siège et de la Russie ,
et les escadres françaises dévastèrent les côtes de la Méditerranée.
Alger fut brûlée en 1684,
Tripoli en 1685.
Cette même année, les Vénitiens commandés par Morosini s'emparaient
de la Dalmatie ,
de la Morée, de Corinthe et d'Athènes.
Les campagnes de 1684,
1685,
1686,
contre l'Autriche, furent désastreuses. Le duc de Lorraine délivra Gran
et reprit Neuhaeusel; il enleva d'assaut la capitale de la Hongrie, Bude
(2 septembre 1686),
ce qui entraîna la reddition dénombre de villes; malgré sa capacité,
le grand vizir Suléiman Pacha fut défait à Mohacz (1687),
Peterweiden et la Hongrie entière furent perdus, tandis que Morosini conquérait
la Morée. Ces nombreux revers qui accablaient les armes ottomanes provoquèrent
le mécontentement de l'armée. Mehmet IV fut déposé le 8 novembre 1687
par le cheik-ul-islam. Son son frère
Suleïman (Soliman) II monta sur le trône.
Les désordres que
la soldatesque commit cette année-là à Istanbul n'étaient pas pour
rétablir la fortune des armes; le trésor était vide, la vente de plus
de trente mille emplois et l'établissement de nouveaux impôts permirent
à peine de faire face aux exigences de la campagne. Belgrade
avait été occupée par l'électeur de Bavière (8 septembre 1688)
pendant que le margrave Louis de Bade
battait le pacha de Bosnie; les succès momentanés des Ottomans et leurs
dévastations ne purent compenser ces deux grands échecs.
Négrepont résista
victorieusement aux entreprises de Morosini; les Impériaux furent arrêtés
dans les Balkans ,
à Dragoman, après s'être emparés de Nissa. Le grand vizir Moustafa,
frère de Kiuprulu-Ahmed, régla le cours des monnaies et envoya à la
fonte son argenterie ainsi que le superflu de la vaisselle plate du sérail;
il se mit à la tête de l'armée, reprit Nissa et Widdin, et termina la
campagne en occupant Belgrade (1691).
Suleïman II, qui était atteint d'hydropisie, étant mort le 23 juin,
fut remplacé par son frère Ahmed II (1691-95) qui confirma Kiuprulu Moustafa
dans les fonctions de grand vizir, qu'il ne conserva pas longtemps, ayant
été tué à la bataille de Salankemen (19 août). Deux incendies qui
dévorèrent une partie de la capitale, des troubles intérieurs causés
par un faux mahdi à Andrinople
(Edirne) et par d'autres individus, l'île de Chio
conquise par les Vénitiens, le pillage des caravanes sur la route de la
Mecque
par les Arabes de l'émir Saad, attristèrent les derniers jours d'Ahmed
II, malade d'hydropisie (6 février 1695).
La
pression russe
Mustafa II.
Mustafa (Moustafa)
Il, fils de Mehmet IV (né à Istanbul le 2 juin 1664,
le 31 décembre 1703)succéda
dès le 6 février 1695Ã
son oncle Ahmed II. En montant sur le trône, il annonça sa ferme résolution
de gouverner son empire par lui-même et de prendre le commandement de
ses armées au lieu de rester enfermé dans le sérail.
Poussés par le grand
vizir Sourméli-Ali Pacha, les janissaires
se révoltèrent contre l'autorité du nouveau sultan. Mustafa vint facilement
à bout de cette émeute et le grand vizir pava sa rébellion de sa tête;
il fut remplacé dans sa charge par Mohammed-Elmas Pacha. Malgré sa courte
durée, le règne du sultan Mustafa Il est l'un des plus importants qu'eurent
à enregistrer les annales
ottomanes. En 1695,
peu de jours après son avènement, Hoseïn Mezzomorto triomphait des Vénitiens
dans deux batailles navales et leur enlevait l'île de Chio, tandis que
le khan de Crimée ravageait la Pologne et s'avançait jusqu'à Lemberg.
Mustafa marcha ensuite
contre les Impériaux et les rencontra sur la Tisza, entre Lippa et Luges;
ils furent complètement battus (22 septembre 1695),
et le sultan rentra triomphalement le 10 novembre suivant à Istanbul,
où il apprit que le kapoudan pacha, Hoseïn-Mezzomate, avait remporté
deux nouvelles victoires sur les Vénitiens. Un peu auparavant, le
13 octobre 1695,
le tsar Pierre le Grand avait du lever le siège
d'Azov
( L'Empire
de Pierre). L'année suivante, le sultan entreprit une nouvelle campagne
contre les Impériaux et battit l'électeur de Saxe, Frédéric-Auguste
le Fort, à Olasch, près de Temesvar (20 août 1696);
presque en même temps, la ville d'Azov tombait entre les mains du tsar.
La prise de cette ville par les Russes était l'un des échecs les plus
graves que les Osmanlis eussent subis depuis bien longtemps; pour en atténuer
les conséquences, Mustafa fit bâtir une forteresse à l'embouchure du
Kouban et renforça la flotte de la mer Noire ainsi que l'escadre du Danube.
La campagne de 1697
contre les Impériaux se termina par un désastre; le sultan, secondé
par Mohammed-Elmas Pacha, remporta tout d'abord quelques avantages sur
le comte d'Auersperg, mais il fut complètement battu sur la Zentavarad
(11 septembre 1697)
par le prince Eugène de Savoie; le grand vizir Elmas périt dans l'action
et fut remplacé par Hoseïn Koeprili (HusséïnKiuprulu).
L'effet de cette
déroute fut un peu compensé par deux victoires remportées sur les Vénitiens
qui durent lever le siège de Dulcigno et par la réoccupation de la ville
de Bassorah .
Au mois de janvier 1699,
le sultan conclut un armistice avec Pierre le Grand, et le 26 janvier 1699,
il signa avec l'Autriche, la république de Venise
et la Pologne, le traité de paix signé à Karlowitz (Karlovic), en Croatie.
Par ce traité la Porte, conservait le banat
de Temesvar, mais abandonnait Azov
à la Russie
et renonçait en outre à ses prétentions sur la Transylvanie ,
cédée à l'empereur Léopold, et évacuait la Hongrie où elle ne gardait
plus qu'un petit territoire entre le Tisza et la Maros; la Pologne rentrait
en possession de la Podolie
et du reste de l'Ukraine, Venise gardait la Morée jusqu'à l'isthme; Leucade
et Egine, six places fortes de Dalmatie ,
et les îles de l'Archipel qu'elle possédait avant la guerre mais rendait
Lépante et Preveza.
Mustafa consacra
les années qui suivirent la signature de ce traité de paix à de nombreuses
améliorations dans le régime intérieur de la Turquie, il fit restaurer
et construire de nombreuses forteresses et régla les affaires des deux
villes saintes (la Mecque
et Médine). En 1701,
il dut réprimer deux révoltes qui avaient éclaté contre le khan Dewlet-Ghiraï,
et, après avoir pacifié le Kurdistan
et la Tripolitaine,
il essaya, mais en vain, d'imposer sa suzeraineté au chérif du Maroc,
Moulaï-Ismaïl. Le grand vizir Koeprili fut obligé de résigner sa charge,
par suite d'une prétendue liaison de son cousin avec une sultane (septembre
1702);
il fut remplacé par Mustafa-Daltaban, à qui le sultan, vieilli et aigri
par les défaites des dernières années, abandonna entièrement les rênes
du pouvoir. Le vizir en abusa à un tel point que le sultan dut signer
son arrêt de mort; le nouveau grand vizir, Rami-Mohammed Pacha, continua
les réformes de Koeprili, mais il s'attira la haine des hauts fonctionnaires
en empêchant leurs exactions. De plus, la solde arriérée provoqua une
émeute qui s'aggrava très vite; les mutins se mirent en marche pour Andrinople ,
où séjournait le sultan; celui-ci, n'ayant pu leur résister, résigna
le pouvoir entre les mains de son frère Ahmed III (22 août 1703).Charge
à lui désormais d'affronter une nouvelle étape de l'histoire ottomane,
marquée par une confrontation grandissante avec la puissance russe.
Ahmed III.
Après avoir pactisé
avec les révoltés, Ahmed III (règne : 1703-30)
sut, par des mesures énergiques, éloigner ou anéantir les meneurs des
janissaires. Charles
XII, roi de Suède, étant venu se réfugier en Turquie après la bataille
de Poltava ;
s'établit à Bender ;
le grand vizir Baltadji Mohammed Pacha, étant entré dans les vues de
l'illustre Suédois, déclara la guerre à la Russie ;
Pierre le Grand ( L'empire
de Pierre) se laissa enfermer entre le Pruth et des plaines marécageuses
et aurait été contraint de capituler devant le khan des Tatars, si l'impératrice
Catherine Ire( Le
Printemps des tsarines) n'avait trouvé le moyen d'acheter la paix
par un présent considérable offert au grand vizir, qui ne tarda pas Ã
être exilé à Mételin.
Les Turcs se contentèrent
de la restitution d'Azov
(1711).
Charles XII refusant toujours de quitter
Bender se vit assiéger dans sa maison et conduire comme prisonnier Ã
Démotika (auj. Didhimothikon) qu'il ne quitta qu'à la fin de 1714.
Les Vénitiens perdirent leurs possessions de l'Archipel et de la Morée,
à la suite d'une campagne de huit mois dirigée par Damad-Ali Pacha (1715);
mais l'Autriche reprit les armes, et Damad-Ali, ayant voulu se mesurer
avec le prince Eugène, périt devant Peterwardein (5 août 1716);
Temesvar se rendit; Belgrade
fut assiégée et prise après une bataille perdue par Khalil pacha. La
paix avec l'empereur et Venise, signée Ã
Passarowitz (21 juillet 1748),
coûta à l'Empire ottoman le banat
de Temesvar, une partie de la Serbie
avec Belgrade, la Petite-Valachie Ã
l'Ouest de l'Aluta, une partie de la Bosnie
cédés à l'Autriche ;
la Turquie garda la Morée, en échange de territoires dalmates cédés
à Venise.
lbrahim Pacha essaya
de régulariser la rentrée des impôts et de licencier les corps de troupes
connus par leur turbulence. La conquête de la Perse
par les Afghans
fournit aux Ottomans l'occasion de s'entendre avec la Russie
pour le démembrement de l'empire des Séfévis; Hamadan et Erivan se rendirent
(1724);
Tabriz ,
assiégée, fit de même l'année suivante; mais Echref, qui venait de
succéder à son cousin Mahmoud, remporta un avantage qui décida la Porte
à conclure un traité par lequel elle gardait toutes ses conquêtes de
Perse. En 1730,
L'envahissement de frontières par Tahmasp-Kouly Khan, qui n'avait pas
encore pris le titre de Nadir Chah, décida le sultan Ahmed III à partir
pour l'Anatolie; il était à peine arrivé à Scutari qu'une révolte
des janissaires, conduite par Patrona-Khalil,
l'obligea à revenir sur ses pas pour se voir détrôner et remplacer par
son neveu Mahmoud Ier .
Mahmoud Ier.
Vingt-septième
sultan de la famille d'Othman, Mahmoud Ier
succéda le 23 septembre 1730 à son oncle Ahmed III. Patrona-Khalil ne
tarda pas à devenir insupportable au sultan qui le fit massacrer. On continua
la guerre avec la Perse ;
Chah-Tahmasp fut vaincu dans la plaine de Koridjan (Koadjan) et conclut
la paix (10 janvier (ou juin?) 1732)
qui laissait à la Perse tout l'Azerbaïdjan et donnait à la Turquie la
Géorgie. Ce traité dura jusqu'au moment où Nadir Chah, levant le masque,
se déclara régent du royaume et marcha sur Bagdad. Topal-Osman, nommé
généralissime, le vainquit à Djuldjeilik où il fut grièvement blessé
(19 juillet 1733)
et délivra la ville; mais bientôt les généraux ottomans furent à leur
tour battus par Nadir. Les Persans occupèrent Chéhrizor et Kirkouk .
Un traité enleva à la Porte toutes ses conquêtes sur les frontières
de Perse.
En Europe, Mahmoud
ne fut pas plus heureux. En mars 1736,
la Russie ,
prétextant une violation de frontières par les Tatars de Crimée, déclara
la guerre à la Porte. La Crimée fut envahie et dévastée : Azov
fut prise, ainsi que Baghtché-Séraï, Oczakov, Chotin et lassy. L'Angleterre,
l'Autriche et la Hollande offrirent leur médiation, et l'Autriche fit
traîner les conférences de Niemvon jusqu'au moment où elle eut mobilisé
ses troupes à la Frontière. Les généraux autrichiens envahirent la
Serbie, la Valachie et
la Bosnie; mais, écrasés par les armées turques devant Banyalouka, ils
furent obligés d'abandonner leurs conquêtes. En revanche, la défaite
des Impériaux à Krozka (23 juillet 1739)
et l'ouverture de la tranchée devant Belgrade amenèrent, par l'intervention
de Villeneuve, ambassadeur français, la signature de la paix (traité
de Belgrade, 1er septembre 1739),
qui rendit aux Turks la Serbie et la Petite-Valachie; mais ils perdirent
Azov. C'est aussi de cette époque que datent les nouvelles
conventions modifiant les capitulations
de 1673,
et qui règleront jusqu'à la Première Guerre
mondiale les rapports de la France avec l'empire turc. Peu de
temps après, la France, en lutte avec l'impératrice Marie-Thérèse,
offrait à Mahmoud de prendre l'Autriche à revers et d'envahir la Hongrie
qu'il garderait pour sa part. Le sultan, fidèle observateur des
traités, perdit son temps à vouloir imposer sa médiation aux belligérants.
En 1748,
le Divan signa avec l'Autriche et la Russie un traité de paix perpétuelle.
La politique intérieure
de Mahmoud était aussi malheureuse que sa politique extérieure. Ce fut
sous son règne que les Grecs Fanariotes remplacèrent les Boyards indigènes
dans le gouvernement de la Valachie
et de la Moldavie .
Cette mesure ruina complètement les deux provinces dont les habitants
devaient s'habituer à regarder les Russes comme des sauveurs. Une imprudence
de Mahmoud, qui voulut monter à cheval pour la prière du vendredi malgré
la maladie dont il était atteint, le mit au tombeau (13 décembre 1754).
C'est sous son règne que l'imprimerie fut introduite à Istanbul par le
renégat hongrois Ibrahim Efendi.
Osman III, Moustafa
III et Abd-ul-Hamid Ier.
Osman III, frère
de Mahmoud, lui succéda. Il n'était plus jeune, avait un caractère puéril,
et il fut vite la victime des intrigues de cour. Les ministres se
succédèrent rapidement les uns aux autres. L'événement le plus remarquable
de son règne de trois ans fut un incendie qui détruisit les deux tiers
d'Istanbul et fit périr une grande partie de la population. En 1756,
Osman III ayant succombé aux suites de l'extraction d'une loupe qu'il
avait à la cuisse, fut remplacé par Moustafa III, fils aîné d'Ahmed
III, qui conserva comme grand vizir Raghib Pacha, lequel réussit à rétablir
l'ordre dans les finances et dans l'administration. Lorsqu'il eût disparu,
la décadence fut rapide.
Moustafa et le Divan
suivirent avec anxiété, mais sans oser y intervenir, les menées de Catherine
Il en Pologne. Mais l'invasion de ce pays par l'armée russe, envoyée
contre les Confédérés de Bar ,
amena la guerre. Les Cosaques, non contents de violer le territoire ottoman,
vinrent y brûler la ville de Balta
(1768).
Encouragé par la France et l'Autriche, le sultan déclara la guerre. L'ambassadeur
de Russie
fut envoyé au château des Sept Tours; une armée massée sur le Dniestr.
Le khan de Crimée, Krym-Ghéraï, fit une incursion hardie (1769)
et ramena un butin considérable et de nombreux prisonniers. Mais l'Empire
ottoman n'était plus en mesure de soutenir une guerre contre une des grandes
puissances européennes. Le prince Galitzine
défit l'armée turque du Dniestr et prit Chotin; son successeur Roumanzov
s'avança jusqu'au Danube; des émissaires russes soulevaient les chrétiens
de Moldo-Valachie
et de Grèce. On prêta serment à la tsarine à Bucarest .
Un retour offensif des Turcs fut arrêté par la défaite de Kaghoul (1er
août 1770);
Bender fut enlevé d'assaut par Panine.
D'un autre côté,
Catherine, profitant des intrigues nouées en Morée par les Grecs Papas-Oghlou
et Benaki, avait envoyé dans la Méditerranée une escadre qui essaya
de soulever les Hellènes; mais le petit nombre de ceux qui se rallièrent
aux Russes amena l'échec complet de cette campagne l'escadre ottomane,
réfugiée dans la baie de Tchesmé sur les côtes de l'Asie Mineure, y
fut détruite par l'incendie que les brûlots russes avaient allumé (7
juillet 1770).
Hassan-Bey, par un coup de surprise, ravitailla Lemnos et força les Russes
à se rembarquer : il fut à la suite de ce fait d'armes créé grand amiral.
L'Empire ottoman était en danger; Dolgorouki se rendit maître de la Crimée
où il installa comme khan un protégé russe. Daher se proclamait indépendant
en Syrie; Ali-bey, soutenu par les mamelouks,
faisait de même en Égypte. Mais dès ce moment, les puissances européennes
ne voulaient pas laisser l'une d'entre elles recueillir tout l'héritage
des Turcs ottomans. La Prusse
et l'Autriche intervinrent en Pologne pour ne pas la laisser devenir russe;
le résultat fut le premier partage de la Pologne (1772).
Ces événements donnèrent du répit à la Turquie. En 1771
une trêve fut conclue, les négociations de Focsani et Bucarest
ayant échoué, la lutte reprit en 1773;
d'abord les succès furent balancés de part et d'autre sur le Danube;
plusieurs tentatives des Russes pour passer le fleuve ayant échoué, l'amiral
Hassan Bey leur enleva leur artillerie et leurs munitions. Sur ces entrefaites,
Moustafa III mourut (21 janvier 1774).
Le frère de Moustafa
III, Abdul-Hamid Ier
fut appelé à lui succéder. Faible et timide, il n'était guère à la
hauteur des circonstances dans lesquelles se débattait l'Empire ottoman.
Romanzov ayant passé le Danube et ayant coupé l'armée turque de sa base
d'opérations, qui était Varna, les Ottomans se débandèrent, ce qui
obligea le sultan à signer la paix de Koutchouk-Kaïnardji (21 juillet
1774),
qui cédait Kinburn
et lénikalé aux Russes, garantissait aux chrétiens les principautés
du Nord du Danube et généralement aux Grecs orthodoxes leurs libertés,
sous le patronage de l'ambassadeur russe à Constantinople,
et détachait de la Turquie les Tatars de Crimée et du Kouban; ceux-ci,
réduits à leurs propres forces, se soumirent bientôt à leur puissant
voisin (1783).
Les princes de Géorgie passèrent du vasselage turc au russe, le sultan
n'osa résister et signa même un traité de commerce qui accordait aux
Russes la libre navigation sur la mer Noire et sur tous les fleuves de
son Empire.
Mais la diplomatie
européenne intervint : à partir de ce moment elle jouera dans l'histoire
turque un rôle prépondérant. Une étape des relations entre la Turquie
et les puissance européennes, connue sous le nom de Question
d'Orient, qui restera au centre de la diplomation du siècle suivant,
et qu'Abdul-Hamid Ier,
mort le 7 avril 1789,
laissera donc en héritage à ses successeurs. (Cl. Huart
/ J. Preux / E. Blochet).
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En
librairie - Black, La guerre
au XVIIIe siècle : l'Europe et l'Empire ottoman, etc., Autrement,
2003.
Faruk
Bilici, Louis XIV et son projet de conquête d'Istanbul (bilingue
: français et turc), éditeur : Türk Tarih Kurumu (Ankara, 2004, ISBN
: 9751617014). Un éclairage sur l'ancienneté des ambitions impériales
de la France au Proche-Orient.
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