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L'Empire Ottoman aux XVIIe et XVIIIe siècles
La temps du déclin
Le siècle de Soliman avait été celui de l'apogée de l'empire Ottoman. Les XVIIe et XVIIIe siècles ont été ceux d'un déclin progressif, où rien ne semble encore inéluctable. Cette décadence ne marcha d'abord que lentement : malgré une suite de sultans faibles et de fréquentes révolutions de palais (surtout de 1618 à 1622), qui sèment dans l'empire le germe de l'anarchie, malgré quelques pertes en Hongrie (1595-1608), la Turquie obtint  encore d'importants avantages : la guerre de Choczim lui donna quelques districts en Pologne. Sous Mehmet IV, l'avènement au pouvoir de la famille Kiuperli semble réveiller l'énergie de l'empire. Candie (La Crète) est conquise (1669); Vienne est assiégée une deuxième fois en 1683; la conquête de Bagdad marque la supériorité des Turcs sur les Persans.

Mais à partir de cet instant, la décadence va marcher plus rapidement : les trois régences (Alger, Tunis, Tripoli) et même l'Égypte deviennent presque libres de fait; la grande guerre de 1682 à 1699, que termine la paix de Carlowitz, arrache presque toute la Hongrie aux Turcs : le traité de Passarovitz leur enlève Temesvar et partie de la Serbie, que toutefois ils recouvrent par la paix de Belgrade (1740). Les Russes, avec lesquels ils sont en lutte depuis 1672, commencent à obtenir la supériorité. Romanzoff franchit le Danube; Orloff menace Constantinople; dans la baie de Tchesmé, les flammes dévorent la marine turque. 

Après le guerre de 1770 et 1774, où la Porte figure comme alliée de la Pologne, elle perd la Bukovine et la Petite-Tartarie, qui est reconnue indépendante par le traité de Kutchuk-Kaïnardji. Cette même Tartarie devient province russe en 1783; la guerre de 1790 à 1792 consacre cet état de choses et enlève à la Porte divers cantons du Caucase. L'intervention de la Prusse et de l'Angleterre, et la faiblesse de Potemkine (La Russie au XVIIIe siècle) sauvent seules la Turquie d'une ruine totale. Mais l'avenir (L'agonie de l'Empire ottoman et La question d'Orient) montrera que cet appui devra être payé au prix fort. 

Dates clés :

         1603-1618 - Conflit avec la Perse.

          1683 - Second Siège de Vienne; intervention de la Pologne.

1686 - Les Ottomans expulsés de Budapest.

1699 - Traité de Carlowitz; perte de la Hongrie.

1774: La Crimée est annexé par la Russie.

La désorganisation de l'empire

Mehmet III et Ahmed Ier
A la mort de Mourad III, sa favorite, Safiyé Sultane (la Vénitienne Baffa) fit proclamer son fils Mehmet  III (règne : 1595-1603). Le grand vizir Siman Pacha ayant été défait par les Valaques et rejeté au delà du Danube, et les Impériaux ayant repris Gran en Hongrie, Mehmet se décida à se rendre à la tête de l'armée (1596), prit Erlau et gagna d'une façon imprévue la bataille de Keresztes; après cela, il rentra à Istanbul. Schwarzenberg et Palfy prirent Raab par ruse (1598); le grand vizir Ibrahim sut rétablir la discipline parmi les troupes, et réussit à s'emparer de Kanischa (1600), dont la belle défense, l'année suivante, contraignit l'archiduc Ferdinand à une retraite désastreuse. En Asie Mineure, la révolte des Firaris (= fuyards), commandés par Kara-Yazidji qui prit le titre de Halim Chah, puis par son frère Déli-Husséïn, se termina par la soumission de celui-ci (1603). L'énergique souverain persan Chah-Abbâs Ier reprit Tabrizet assiégea Erivan. Sur ces entrefaites, Mehmet III mourut de maladie, laissant à son fils Ahmed Ier, né en 1589 (998 de l'hégire), âgé de quatorze ans, un État en pleine décadence à cause du désordre toujours croissant dans les finances, de l'altération des monnaies et des abus provenant de la vénalité des charges publiques.

Ahmed Ier continua la guerre contre la Perse; son armée fit le siège de Kars, dont Châh-Abbâs s'était emparé après avoir pris Erivan, et empêcha les Persans de prendre Van, mais l'armée turque finit par être battue (1605). Une grave rébellion, amorcée dès 1604, s'était produite en Asie mineure, ayant pour chef Kalender-Oghlou.  Le grand vizir Mourad Pacha réussit à exterminer les rebelles d'Asie (1608), et fut considéré comme le restaurateur de l'Empire. Il fallut néanmoins rétrocéder à la Perse les provinces frontières conquises (1612). 

Dans le même temps, une bataille une autre baille était menée sur le front européen. Lâlâ-Mohammed-Pâchâ assiégea Vacz, Gran et Pest et dégagea Bude que menaçait l'archiduc Mathias (1604). On essaya, sans pouvoir s'entendre, de négocier avec la Hongrie et la Transylvanie. Un noble Hongrois, Bocskaï, qui avait réussi à s'emparer de Neuhaeusel, fut reconnu par les Turcs comme roi de Hongrie. Une trêve défavorable avec l'Autriche fut enfin conclue à Sitvatorök (11 novembre 1606).  Cette trêve, renouvelée en 1616, dura vingt ans.

Quelques succès sur mer, balancés par la surprise de Sinope enlevée par les Cosaques, et une infructueuse campagne en Perse (1616), précédèrent de peu la mort d'Ahmed Ier (22 novembre 1617), prince faible, juste, décrit comme modéré et généreux, qui embellit les villes de la Mecque et de Médine, et construisit à Istanbul la mosquée qui porte son nom.

Moustafa Ier et Osman II 
Ahmed laissa un fils, Osman, âgé de treize ans, qui ne lui succéda pas immédiatement et monta sur le trône seulement quelques mois plus tard, après avoir été débarrassé de son oncle Moustafa ler. Celui-ci, successeur de son frère Ahmed, en avait aussi subi auparavant la méfiance et avait croupi quatorze ans dans ses geôles. Une captivité qui l'avait affaibli au point qu'il ne put  pas de garder le pouvoir, qui lui fut enlevé par une conspiration au bout de trois mois. Osman II  conclut la paix conclue avec la Perse (1618). L'intervention des Polonais en Moldavie se termina par leur défaite sur les bords du Dniestr (1620); néanmoins, la bataille de Choczim n'eut pas les suites heureuses que se promettait le jeune prince, qui ne rêvait rien moins que la conquête entière de la Pologne. L'annonce de son départ pour le pèlerinage de la Mecque eut pour effet immédiat le soulèvement des janissaires, qui s'emparèrent du palais, rétablirent Moustafa sur le trône, et assassinèrent Osman, à peine âgé de dix-huit ans (1621). Son avarice et sa cruauté lui avaient aliéné l'affection des prétoriens, mais le principal motif de sa chute fut le projet qu'on lui prêtait de vouloir supprimer cette milice, devenue redoutable aux souverains. Moustafa n'était pas guéri de sa maladie incurable; ce fut la sultane Validé, sa mère, qui régna sous son nom. Elle fu nottamment confrontée à Abaza Pacha  qui s'était révolté en Anatolie, avait confisqué les propriétés des janissaires dont il était l'ennemi déclaré, et s'était s'emparé d'Angora (auj.; Ankara), de Sivas et de Brousse (Bursa). 

Mourad IV et Ibrahim.
Moustafa fut définitivement relégué au fond du sérail, et, en 1623, Mourad IV, deuxième fils d'Ahmed ler, ceignit le sabre à l'âge de douze ans. Il était temps qu'un souverain énergique tente de relerver l'État en pleine décomposition. Chah-Abbâs venait de s'emparer de Bagdad, où dominait le janissaire Békir Agha. Hafyz Pacha, nominé grand vizir, défit à Césarée les troupes du rebelle Abaza; une entreprise des Ottomans contre le khan de Crimée fut moins heureuse et se termina par une déroute complète, tandis que des barques de Cosaques dévastaient le Bosphore (1624). L'entreprise de Hafyz Pacha pour reprendre Bagdad avorta. Khalil Pacha assiégea en vain Erzeroum, où se maintenait Abaza. Celui-ci capitula plus tard à la suite d'une surprise de Khosrev Pacha, et fut à la fin l'objet du pardon du sultan. Il justifia même par son dévouement, à la tête du gouvernement de Bosnie, la confiance que Mourad avait mise dans sa valeur.

L'insuccès de la campagne de Khosrev contre Bagdad amena dans la capitale de sanglantes émeutes qui faillirent renverser Mourad, et qui ne prirent fin que quand celui-ci parvint à se défaire, par une exécution, de Rédjeb Pacha, instigateur secret des troubles (1632); accompagné d'une garde dévouée et revêtu d'une armure, il ne craignit pas de parcourir lui-même la ville et de dissiper les rassemblements qu'il y rencontrait. Fakhr-ed-din ben Maan, prince druze du Liban, qui s'était rendu indépendant, fut poursuivi dans les montagnes de la Syrie et obligé de se rendre; reçu d'abord avec beaucoup d'honneurs, il fut décapité plus tard sous le prétexte de la révolte de son petit-fils Melhem.

Mourad prit lui-même le commandement de l'armée destinée à opérer contre la Perse; il se rendit célèbre par sa sévérité inouïe, qui le faisait marcher au milieu des supplices; Erivan capitula, Tabriz fut pillée et détruite par l'incendie (1635); les Persans reprirent l'avantage lors du retour du sultan dans sa capitale, mais le siège de Bagdad, qui capitula après un assaut des plus violents, attribua définitivement cette ville à l'Empire ottoman (25 décembre 1638). La santé de Mourad, ruinée par l'excès du vin, le conduisit au tombeau à vingt-neuf ans (9 févier 1640). Son frère Ibrahim lui succède.

Ibrahim, prince faible et d'une santé délicate, laissa gouverner la sultane Validé et son grand vizir Kara-Moustafa, qui réduisit le rebelle Husséïn, fils de Nassouh Pacha, mais périt bientôt victime d'une intrigue de palais. L'île de Crète fut envahie par surprise et conquise, à l'exception de Candie (Héraklion), qui ne succomba que vingt-cinq ans plus tard (1646). Les moeurs dissolues d'Ibrahim eurent pour résultat sa déposition, puis son assassinat dix jours après et son remplacement par son fils Mehmet (Mohammed) IV, né en 1642.

Mehmet IV.
Des révoltes fréquentes troublèrent les premières années du règne de ce souverain qui n'avait que sept ans quand il fut intronisé. Et de fréquents changements de ministres, dus à des influences du harem, marquèrent aussi les débuts de Mehmet IV.  Sa minorité fut une longue anarchie et des troubles éclatèrent en Asie Mineure; en 1649, la flotte ottomane était battue devant Candie (Crète). Mocenigo détruisit la flotte devant les Dardanelles (1656); les affaires ne se rétablirent qu'à l'arrivée au grand vizirat de Kiuprulu-Mohammed Pacha; l'énergique vieillard chassa la flotte vénitienne des Dardanelles; la bataille coûta la vie à Mocenigo; Ténédos et Lemnos furent conquises sur les Vénitiens (1660). La Transylvanie ravagée, le rebelle Abaza-Hasan, vainqueur à Ilghin du séraskier Mourtéza, fut attiré à Alep et massacré; l'amiral Abd-ul-Kadir, malgré sa défaite navale devant Milo, s'empara du gouverneur révolté d'Adalia (1661); La même année, Peterwardein fut enlevée aux Autrichiens, et les Tatars de Crimée ravagèrent la Russie

Kiuprulu Mohammed Pacha, qui avait été grand vizir pendant cinq ans, s'était rendu redoutable par sa cruauté, et n'avait pas craint de faire bâtonner et emprisonner M. de Vautelet, fils de M. de La Haye, ambassadeur de France, pour tâcher d'obtenir de lui la clef des dépêches chiffrées qu'il avait saisies, laissa en mourant ses fonctions et son pouvoir à son fils Kupruli-Ahmed (1661). La guerre reprit en Hongrie, Neuhaeusel fut prise (1663) et les pays environnants dévastés. La bataille de Saint-Gothard contre l'armée franco-autrichienne arrêta court les progrès des Ottomans (31 juillet 1664), et la paix fut conclue à Vasvar (10 août 1664), laissant aux Turcs leurs conquêtes. Un traité qui n'empêcha pas la France de continuer la lutte, et les escadres de Louis XIV ravagèrent les pays barbaresques. Candie capitula après un long siège (27 septembre 1669), ce qui mit fin à la guerre de Crète, qui avait duré vingt cinq ans.

Sur ces entrefaites, les Cosaques commandés par l'hetman Doroszenko offrirent au sultan la suzeraineté de l'Ukraine et se soumirent à la Turquie. Mais le roi de Pologne n'y ayant pas acquiescé, la guerre éclata entre la Turquie et la Pologne. Cette fut d'abord heureuse pour les Ottomans. Kaminiec (Kamenetz) capitula (1672), Leopol et d'autres villes furent prises par les Turcs, et une paix avantageuse pour la Porte fut signée cette même année à Busacs grâce à l'intervention du khan de Crimée. L'année suivante, les Polonais refusèrent de payer le tribut qui leur avait été imposé, le roi Sobieski battit Husseïn Pacha, et à la mort de Michel fut élu roi à Varsovie. En 1674, les succès furent balancés; l'année suivante, Sobieski défit Chichman Ibrahim Pacha sous les murs de Leopol (Lemberg). Néanmoins les Turcs gardèrent l'avantage, et la paix de Zurawna leur acquit une partie de l'Ukraine et la Podolie (26 octobre 1676). La mort d'Ahmed-Kiuprulu, survenue cette année, marqua le terme des victoires ottomanes. 

En 1677, la Russie ayant pris sous sa protection l'hetman des Cosaques, la Turquie lui fit la guerre; le tsar Fédor III fut trois fois vainqueur, et la trêve de Radzin fut achetée par la cession aux Russes de territoires de la rive gauche du Dniestr (1681). Tékéli s'étant révolté en Hongrie contre l'empereur Léopold, la Porte soutint ses prétentions, d'accord avec Louis XIV; Kara-Moustafa se porta sur Vienne et l'assiégea inutilement; l'entrée en scène de Sobieski et l'issue désastreuse de la bataille de Kahlenberg (12 septembre 1683) sauvèrent la capitale de l'Empire. 

Une ligue se forma contre la Porte, Composée de l'Autriche, cela Pologne, de Venise, de Malte, du Saint-Siège et de la Russie, et les escadres françaises dévastèrent les côtes de la Méditerranée. Alger fut brûlée en 1684, Tripoli en 1685. Cette même année, les Vénitiens commandés par Morosini s'emparaient de la Dalmatie, de la Morée, de Corinthe et d'Athènes. Les campagnes de 1684, 1685, 1686, contre l'Autriche, furent désastreuses. Le duc de Lorraine délivra Gran et reprit Neuhaeusel; il enleva d'assaut la capitale de la Hongrie, Bude (2 septembre 1686), ce qui entraîna la reddition dénombre de villes; malgré sa capacité, le grand vizir Suléiman Pacha fut défait à Mohacz (1687), Peterweiden et la Hongrie entière furent perdus, tandis que Morosini conquérait la Morée. Ces nombreux revers qui accablaient les armes ottomanes provoquèrent le mécontentement de l'armée. Mehmet IV fut déposé le 8 novembre 1687 par le cheik-ul-islam. Son son frère Suleïman (Soliman)  II monta sur le trône.

Les désordres que la soldatesque commit cette année-là à Istanbul n'étaient pas pour rétablir la fortune des armes; le trésor était vide, la vente de plus de trente mille emplois et l'établissement de nouveaux impôts permirent à peine de faire face aux exigences de la campagne. Belgrade avait été occupée par l'électeur de Bavière (8 septembre 1688) pendant que le margrave Louis de Bade battait le pacha de Bosnie; les succès momentanés des Ottomans et leurs dévastations ne purent compenser ces deux grands échecs.

Négrepont résista victorieusement aux entreprises de Morosini; les Impériaux furent arrêtés dans les Balkans, à Dragoman, après s'être emparés de Nissa. Le grand vizir Moustafa, frère de Kiuprulu-Ahmed, régla le cours des monnaies et envoya à la fonte son argenterie ainsi que le superflu de la vaisselle plate du sérail; il se mit à la tête de l'armée, reprit Nissa et Widdin, et termina la campagne en occupant Belgrade (1691). Suleïman II, qui était atteint d'hydropisie, étant mort le 23 juin, fut remplacé par son frère Ahmed II (1691-95) qui confirma Kiuprulu Moustafa dans les fonctions de grand vizir, qu'il ne conserva pas longtemps, ayant été tué à la bataille de Salankemen (19 août). Deux incendies qui dévorèrent une partie de la capitale, des troubles intérieurs causés par un faux mahdi à Andrinople (Edirne) et par d'autres individus, l'île de Chio conquise par les Vénitiens, le pillage des caravanes sur la route de la Mecque par les Arabes de l'émir Saad, attristèrent les derniers jours d'Ahmed II, malade d'hydropisie (6 février 1695).

La pression russe

Mustafa II.
Mustafa (Moustafa) Il, fils de Mehmet IV (né à Istanbul le 2 juin 1664,  le 31 décembre 1703)succéda  dès le 6 février 1695à son oncle Ahmed II. En montant sur le trône, il annonça sa ferme résolution de gouverner son empire par lui-même et de prendre le commandement de ses armées au lieu de rester enfermé dans le sérail. 

Poussés par le grand vizir Sourméli-Ali Pacha, les janissaires se révoltèrent contre l'autorité du nouveau sultan. Mustafa vint facilement à bout de cette émeute et le grand vizir pava sa rébellion de sa tête; il fut remplacé dans sa charge par Mohammed-Elmas Pacha. Malgré sa courte durée, le règne du sultan Mustafa Il est l'un des plus importants qu'eurent à enregistrer les annales ottomanes. En 1695, peu de jours après son avènement, Hoseïn Mezzomorto triomphait des Vénitiens dans deux batailles navales et leur enlevait l'île de Chio, tandis que le khan de Crimée ravageait la Pologne et s'avançait jusqu'à Lemberg. 

Mustafa marcha ensuite contre les Impériaux et les rencontra sur la Tisza, entre Lippa et Luges; ils furent complètement battus (22 septembre 1695), et le sultan rentra triomphalement le 10 novembre suivant à Istanbul, où il apprit que le kapoudan pacha, Hoseïn-Mezzomate, avait remporté deux nouvelles victoires sur les Vénitiens.  Un peu auparavant, le 13 octobre 1695, le tsar Pierre le Grand avait du lever le siège d'Azov (L'Empire de Pierre). L'année suivante, le sultan entreprit une nouvelle campagne contre les Impériaux et battit l'électeur de Saxe, Frédéric-Auguste le Fort, à Olasch, près de Temesvar (20 août 1696); presque en même temps, la ville d'Azov tombait entre les mains du tsar. La prise de cette ville par les Russes était l'un des échecs les plus graves que les Osmanlis eussent subis depuis bien longtemps; pour en atténuer les conséquences, Mustafa fit bâtir une forteresse à l'embouchure du Kouban et renforça la flotte de la mer Noire ainsi que l'escadre du Danube. La campagne de 1697 contre les Impériaux se termina par un désastre; le sultan, secondé par Mohammed-Elmas Pacha, remporta tout d'abord quelques avantages sur le comte d'Auersperg, mais il fut complètement battu sur la Zentavarad (11 septembre 1697) par le prince Eugène de Savoie; le grand vizir Elmas périt dans l'action et fut remplacé par Hoseïn Koeprili (HusséïnKiuprulu). 

L'effet de cette déroute fut un peu compensé par deux victoires remportées sur les Vénitiens qui durent lever le siège de Dulcigno et par la réoccupation de la ville de Bassorah. Au mois de janvier 1699, le sultan conclut un armistice avec Pierre le Grand, et le 26 janvier 1699, il signa avec l'Autriche, la république de Venise et la Pologne, le traité de paix signé à Karlowitz (Karlovic), en Croatie.  Par ce traité la Porte, conservait le banat de Temesvar, mais abandonnait Azov à la Russie et renonçait en outre à ses prétentions sur la Transylvanie, cédée à l'empereur Léopold, et évacuait la Hongrie où elle ne gardait plus qu'un petit territoire entre le Tisza et la Maros; la Pologne rentrait en possession de la Podolie et du reste de l'Ukraine, Venise gardait la Morée jusqu'à l'isthme; Leucade et Egine, six places fortes de Dalmatie, et les îles de l'Archipel qu'elle possédait avant la guerre mais rendait Lépante et Preveza.

Mustafa consacra les années qui suivirent la signature de ce traité de paix à de nombreuses améliorations dans le régime intérieur de la Turquie, il fit restaurer et construire de nombreuses forteresses et régla les affaires des deux villes saintes (la Mecque et Médine). En 1701, il dut réprimer deux révoltes qui avaient éclaté contre le khan Dewlet-Ghiraï, et, après avoir pacifié le Kurdistan et la Tripolitaine, il essaya, mais en vain, d'imposer sa suzeraineté au chérif du Maroc, Moulaï-Ismaïl. Le grand vizir Koeprili fut obligé de résigner sa charge, par suite d'une prétendue liaison de son cousin avec une sultane (septembre 1702); il fut remplacé par Mustafa-Daltaban, à qui le sultan, vieilli et aigri par les défaites des dernières années, abandonna entièrement les rênes du pouvoir. Le vizir en abusa à un tel point que le sultan dut signer son arrêt de mort; le nouveau grand vizir, Rami-Mohammed Pacha, continua les réformes de Koeprili, mais il s'attira la haine des hauts fonctionnaires en empêchant leurs exactions. De plus, la solde arriérée provoqua une émeute qui s'aggrava très vite; les mutins se mirent en marche pour Andrinople, où séjournait le sultan; celui-ci, n'ayant pu leur résister, résigna le pouvoir entre les mains de son frère Ahmed III (22 août 1703).Charge à lui désormais d'affronter une nouvelle étape de l'histoire ottomane, marquée par une confrontation grandissante avec la puissance russe.

Ahmed III.
Après avoir pactisé avec les révoltés, Ahmed III (règne : 1703-30) sut, par des mesures énergiques, éloigner ou anéantir les meneurs des janissaires. Charles XII, roi de Suède, étant venu se réfugier en Turquie après la bataille de Poltava; s'établit à Bender; le grand vizir Baltadji Mohammed Pacha, étant entré dans les vues de l'illustre Suédois, déclara la guerre à la Russie; Pierre le Grand (L'empire de Pierre) se laissa enfermer entre le Pruth et des plaines marécageuses et aurait été contraint de capituler devant le khan des Tatars, si l'impératrice Catherine Ire(Le Printemps des tsarines) n'avait trouvé le moyen d'acheter la paix par un présent considérable offert au grand vizir, qui ne tarda pas à être exilé à Mételin. 

Les Turcs se contentèrent de la restitution d'Azov (1711). Charles XII refusant toujours de quitter Bender se vit assiéger dans sa maison et conduire comme prisonnier à Démotika (auj. Didhimothikon) qu'il ne quitta qu'à la fin de 1714. Les Vénitiens perdirent leurs possessions de l'Archipel et de la Morée, à la suite d'une campagne de huit mois dirigée par Damad-Ali Pacha (1715); mais l'Autriche reprit les armes, et Damad-Ali, ayant voulu se mesurer avec le prince Eugène, périt devant Peterwardein (5 août 1716); Temesvar se rendit; Belgrade fut assiégée et prise après une bataille perdue par Khalil pacha. La paix avec l'empereur et Venise, signée à Passarowitz (21 juillet 1748), coûta à l'Empire ottoman le banat de Temesvar, une partie de la Serbie avec Belgrade, la Petite-Valachieà l'Ouest de l'Aluta, une partie de la Bosnie cédés à l'Autriche; la Turquie garda la Morée, en échange de territoires dalmates cédés à Venise. 

lbrahim Pacha essaya de régulariser la rentrée des impôts et de licencier les corps de troupes connus par leur turbulence. La conquête de la Perse par les Afghans fournit aux Ottomans l'occasion de s'entendre avec la Russie pour le démembrement de l'empire des Séfévis; Hamadan et Erivan se rendirent (1724); Tabriz, assiégée, fit de même l'année suivante; mais Echref, qui venait de succéder à son cousin Mahmoud, remporta un avantage qui décida la Porte à conclure un traité par lequel elle gardait toutes ses conquêtes de Perse. En 1730, L'envahissement de frontières par Tahmasp-Kouly Khan, qui n'avait pas encore pris le titre de Nadir Chah, décida le sultan Ahmed III à partir pour l'Anatolie; il était à peine arrivé à Scutari qu'une révolte des janissaires, conduite par Patrona-Khalil, l'obligea à revenir sur ses pas pour se voir détrôner et remplacer par son neveu Mahmoud Ier

Mahmoud Ier.
Vingt-septième sultan de la famille d'Othman, Mahmoud Ier succéda le 23 septembre 1730 à son oncle Ahmed III. Patrona-Khalil ne tarda pas à devenir insupportable au sultan qui le fit massacrer. On continua la guerre avec la Perse; Chah-Tahmasp fut vaincu dans la plaine de Koridjan (Koadjan) et conclut la paix (10 janvier (ou juin?) 1732) qui laissait à la Perse tout l'Azerbaïdjan et donnait à la Turquie la Géorgie. Ce traité dura jusqu'au moment où Nadir Chah, levant le masque, se déclara régent du royaume et marcha sur Bagdad. Topal-Osman, nommé généralissime, le vainquit à Djuldjeilik où il fut grièvement blessé (19 juillet 1733) et délivra la ville; mais bientôt les généraux ottomans furent à leur tour battus par Nadir. Les Persans occupèrent Chéhrizor et Kirkouk. Un traité enleva à la Porte toutes ses conquêtes sur les frontières de Perse.

En Europe, Mahmoud ne fut pas plus heureux. En mars 1736, la Russie, prétextant une violation de frontières par les Tatars de Crimée, déclara la guerre à la Porte. La Crimée fut envahie et dévastée : Azov fut prise, ainsi que Baghtché-Séraï, Oczakov, Chotin et lassy. L'Angleterre, l'Autriche et la Hollande offrirent leur médiation, et l'Autriche fit traîner les conférences de Niemvon jusqu'au moment où elle eut mobilisé ses troupes à la Frontière. Les généraux autrichiens envahirent la Serbie, la Valachieet la Bosnie; mais, écrasés par les armées turques devant Banyalouka, ils furent obligés d'abandonner leurs conquêtes. En revanche, la défaite des Impériaux à Krozka (23 juillet 1739) et l'ouverture de la tranchée devant Belgrade amenèrent, par l'intervention de Villeneuve, ambassadeur français, la signature de la paix (traité de Belgrade, 1er septembre 1739), qui rendit aux Turks la Serbie et la Petite-Valachie; mais ils perdirent Azov.  C'est  aussi de cette époque que datent les nouvelles conventions modifiant les capitulations de 1673, et qui règleront jusqu'à la Première Guerre mondiale les rapports de la France avec  l'empire turc. Peu de temps après, la France, en lutte avec l'impératrice Marie-Thérèse, offrait à Mahmoud de prendre l'Autriche à revers et d'envahir la Hongrie qu'il garderait pour sa part.  Le sultan, fidèle observateur des traités, perdit son temps à vouloir imposer sa médiation aux belligérants. En 1748, le Divan signa avec l'Autriche et la Russie un traité de paix perpétuelle.

La politique intérieure de Mahmoud était aussi malheureuse que sa politique extérieure. Ce fut sous son règne que les Grecs Fanariotes remplacèrent les Boyards indigènes dans le gouvernement de la Valachie et de la Moldavie. Cette mesure ruina complètement les deux provinces dont les habitants devaient s'habituer à regarder les Russes comme des sauveurs. Une imprudence de Mahmoud, qui voulut monter à cheval pour la prière du vendredi malgré la maladie dont il était atteint, le mit au tombeau (13 décembre 1754). C'est sous son règne que l'imprimerie fut introduite à Istanbul par le renégat hongrois Ibrahim Efendi.

Osman III, Moustafa III et Abd-ul-Hamid Ier.
Osman III, frère de Mahmoud, lui succéda. Il n'était plus jeune, avait un caractère puéril, et il fut  vite la victime des intrigues de cour. Les ministres se succédèrent rapidement les uns aux autres. L'événement le plus remarquable de son règne de trois ans fut un incendie qui détruisit les deux tiers d'Istanbul et fit périr une grande partie de la population. En 1756, Osman III ayant succombé aux suites de l'extraction d'une loupe qu'il avait à la cuisse, fut remplacé par Moustafa III, fils aîné d'Ahmed III, qui conserva comme grand vizir Raghib Pacha, lequel réussit à rétablir l'ordre dans les finances et dans l'administration. Lorsqu'il eût disparu, la décadence fut rapide. 

Moustafa et le Divan suivirent avec anxiété, mais sans oser y intervenir, les menées de Catherine Il en Pologne. Mais l'invasion de ce pays par l'armée russe, envoyée contre les Confédérés de Bar, amena la guerre. Les Cosaques, non contents de violer le territoire ottoman, vinrent y brûler la ville de Balta (1768). Encouragé par la France et l'Autriche, le sultan déclara la guerre. L'ambassadeur de Russie fut envoyé au château des Sept Tours; une armée massée sur le Dniestr. Le khan de Crimée, Krym-Ghéraï, fit une incursion hardie (1769) et ramena un butin considérable et de nombreux prisonniers. Mais l'Empire ottoman n'était plus en mesure de soutenir une guerre contre une des grandes puissances européennes. Le prince Galitzine défit l'armée turque du Dniestr et prit Chotin; son successeur Roumanzov s'avança jusqu'au Danube; des émissaires russes soulevaient les chrétiens de Moldo-Valachie et de Grèce. On prêta serment à la tsarine à Bucarest. Un retour offensif des Turcs fut arrêté par la défaite de Kaghoul (1er  août 1770); Bender fut enlevé d'assaut par Panine.

D'un autre côté, Catherine, profitant des intrigues nouées en Morée par les Grecs Papas-Oghlou et Benaki, avait envoyé dans la Méditerranée une escadre qui essaya de soulever les Hellènes; mais le petit nombre de ceux qui se rallièrent aux Russes amena l'échec complet de cette campagne l'escadre ottomane, réfugiée dans la baie de Tchesmé sur les côtes de l'Asie Mineure, y fut détruite par l'incendie que les brûlots russes avaient allumé (7 juillet 1770). Hassan-Bey, par un coup de surprise, ravitailla Lemnos et força les Russes à se rembarquer : il fut à la suite de ce fait d'armes créé grand amiral. L'Empire ottoman était en danger; Dolgorouki se rendit maître de la Crimée où il installa comme khan un protégé russe. Daher se proclamait indépendant en Syrie; Ali-bey, soutenu par les mamelouks, faisait de même en Égypte. Mais dès ce moment, les puissances européennes ne voulaient pas laisser l'une d'entre elles recueillir tout l'héritage des Turcs ottomans. La Prusse et l'Autriche intervinrent en Pologne pour ne pas la laisser devenir russe; le résultat fut le premier partage de la Pologne (1772). Ces événements donnèrent du répit à la Turquie. En 1771 une trêve fut conclue, les négociations de Focsani et Bucarest ayant échoué, la lutte reprit en 1773; d'abord les succès furent balancés de part et d'autre sur le Danube; plusieurs tentatives des Russes pour passer le fleuve ayant échoué, l'amiral Hassan Bey leur enleva leur artillerie et leurs munitions. Sur ces entrefaites, Moustafa III mourut (21 janvier 1774).

Le frère de Moustafa III, Abdul-Hamid Ier fut appelé à lui succéder. Faible et timide, il n'était guère à la hauteur des circonstances dans lesquelles se débattait l'Empire ottoman. Romanzov ayant passé le Danube et ayant coupé l'armée turque de sa base d'opérations, qui était Varna, les Ottomans se débandèrent, ce qui obligea le sultan à signer la paix de Koutchouk-Kaïnardji (21 juillet 1774), qui cédait Kinburn et lénikalé aux Russes, garantissait aux chrétiens les principautés du Nord du Danube et généralement aux Grecs orthodoxes leurs libertés, sous le patronage de l'ambassadeur russe à Constantinople, et détachait de la Turquie les Tatars de Crimée et du Kouban; ceux-ci, réduits à leurs propres forces, se soumirent bientôt à leur puissant voisin (1783). Les princes de Géorgie passèrent du vasselage turc au russe, le sultan n'osa résister et signa même un traité de commerce qui accordait aux Russes la libre navigation sur la mer Noire et sur tous les fleuves de son Empire.

Mais la diplomatie européenne intervint : à partir de ce moment elle jouera dans l'histoire turque un rôle prépondérant. Une étape des relations entre la Turquie et les puissance européennes, connue sous le nom de Question d'Orient, qui restera au centre de la diplomation du siècle suivant, et qu'Abdul-Hamid Ier, mort le 7 avril 1789, laissera donc en héritage à ses successeurs. (Cl. Huart / J. Preux / E. Blochet).



En librairie  - Black, La guerre au XVIIIe siècle : l'Europe et l'Empire ottoman, etc., Autrement, 2003.

Faruk Bilici, Louis XIV et son projet de conquête d’Istanbul (bilingue : français et turc), éditeur : Türk Tarih Kurumu (Ankara, 2004, ISBN : 9751617014). Un éclairage sur l'ancienneté des ambitions impériales de la France au Proche-Orient.

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