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L'empire
des Keita
Depuis plusieurs siècles, les mansa
ou rois du Manding, qui tous appartenaient à la lignée du
clan des Keïta, menaient à Kangaba
une existence obscure, lorsque, aux environs de 1050,
Baramendena, celui qui régnait alors fut converti à l'islam
par un Almoravide
( L'Empire du Ghâna ),
fit le pèlerinage de La Mecque et commença
à nouer avec les États voisins des relations qui furent favorables
à l'accroissement de sa puissance et au développement de
son pays, en même temps qu'il cessait de se considérer comme
un vassal de l'empereur de Ghâna .
Jusque-là, c'était surtout le Bambouk qui fournissait la
poudre d'or dont le commerce enrichissait Ghâna et entretenait des
échanges actifs et continuels entre le Soudan et l'Afrique du Nord.
Les Almoravides ayant appris à connaître le chemin du Manding
et l'ayant enseigné aux caravanes marocaines, ce fut le Bouré
qui, désormais, devint la principale source de production du métal
précieux, ce qui ne contribua pas peu à remplir le
trésor du roi du Manding et à ouvrir à son peuple
des horizons nouveaux.
Plusieurs auteurs arabes nous apprennent,
qu'en 1213, un mansa du Manding, nommé
selon les uns Moussa et selon d'autres Allakoï, se rendit en pèlerinage
à La Mecque. Il y retourna trois fois
durant son règne, ce qui indique qu'il disposait d'une certaine
fortune et ce qui ne manqua pas de grandir son prestige.
Mais les richesses du roi de Kangaba
et la réputation des mines d'or du Bouré devaient exciter
des convoitises. Profitant de la mollesse des successeurs immédiats
de Moussa-Allakoï, le roi de Sosso Soumangourou entreprit et réalisa,
vers 1224, la conquête du Manding,
qu'il annexa brutalement à son État. Cependant Soundiata
Keïta, appelé aussi Maridiata, petit-fils de Moussa, résolut
de rendre l'indépendance à son pays et y réussit.
Après s'être procuré l'alliance des chefs mandingues
qui résidaient à l'Ouest, au Sud et à l'Est de Kangaba
et les avoir amenés, de gré ou de force, à lui obéir,
il recruta chez eux les éléments d'une puissante armée,
à la tête de laquelle il marcha contre son éphémère
suzerain. Les deux princes se rencontrèrent en 1235
à Kirina, non loin de près du Niger, où Soumangourou
fut défait et tué. Sans perdre de temps, Soundiata continua
sa marche victorieuse, entra en maître à Sosso, poussa jusqu'à
Ghâna qu'il prit. et détruisit (1240),
surtout dans le but de faire reporter sur lui-même la renommée
qui s'attachait à cette antique capitale d'un glorieux empire, et
jeta ainsi les bases. d'un puissant État. Il ne se contenta pas
d'être un grand guerrier les traditions disent qu'il donna tous ses
soins au développement de l'agriculture, qu'il introduisit dans
son pays la culture et le tissage du coton et qu'il fit régner la
sécurité la plus absolue d'un bout à l'autre de son
royaume. Ce prince si remarquable périt en 1255
dans sa capitale, victime un accident survenu au cours d'une fête
publique.
Son successeur, le mansa Oulé,
renouvela la tradition inaugurée par Baramendana et se rendit à
La
Mecque, tout en reportant plus loin vers l'Ouest les limites de l'empire
naissant et en y incorporant le Bambouk, le Boundou et la majeure partie
de la vallée de la Gambie.
Intermède.
De 1285
à 1300 régna un usurpateur,
le seul qui soit mentionné au cours de la longue lignée des
Keïta. C'était un serf ou un esclave affranchi nommé
Sakoura. Il ne fit d'ailleurs que continuer l'oeuvre de ses maîtres
et prédécesseurs, poussant la conquête mandingue vers
le Nord-Est dans le Massina et la province de Djenné et vers le
Nord-Ouest jusqu'au bas Sénégal, disputant le Tekrour aux
rois de Diâra et faisant de ceux-ci ses vassaux, engageant des négociations
commerciales directes avec la Tripolitaine
et le Maroc
et accomplissant lui aussi le pèlerinage de La
Mecque, pour être assassiné au retour, près de
Djibouti, par des Danakil qui en voulaient à son or. Ses compagnons
firent dessécher son corps afin de le conserver et le rapportèrent
par le Ouadaï jusqu'à Kouka ,
dans le Bornou ;
le roi de ce dernier pays expédia des messagers au Manding pour
informer la cour et le peuple de la nouvelle et une ambassade fut dépêchée
de Kangaba
à Kouka, qui ramena les restes de Sakoura; on fit à celui-ci
les honneurs de la sépulture royale des Keïta.
Le
règne de Gongo-Moussa
Les Keita réoccupèrent ensuite
le trône. L'un d'eux, que l'on désignera ici sous le nom de
Gongo-Moussa (on trouve aussi les orthographes : Kango-Moussa, Kankan-Moussa
ou Kankan Musa, Mansa Musa, etc.), qui régna de 1307
à 1332, porta à son apogée
la puissance de l'empire mandingue. Vers la fin de sa vie, en 1324;
il se rendit à La Mecque en grand cortège,
passant par le Touât
et le Caire et soulevant partout sur son passage
l'intérêt et la curiosité. Il rencontra aux Lieux-Saints
un Arabe d'une famille de Grenade, nommé
Ibrahim es-Sahéli, qu'il détermina à l'accompagner
au Soudan. Le retour eut lieu l'année suivante, par Ghadamès ,
où el-Mâmer, descendant du fondateur de la dynastie des Almohades ,
s'était rendu au devant du souverain noir; à la prière
de celui-ci, el-Mâmer se joignit au cortège impérial
et alla avec lui jusqu'au Manding.
Avant que Gongo-Moussa ne fût parvenu
au Niger, il apprit que son lieutenant Sagamandia venait, en son absence,
de s'emparer de Gao
(1325); il décida alors de se
rendre dans cette ville pour y recevoir l'hommage du dia Assibaï,
qui lui remit comme otages ses deux fils, dont l'un devait, dix ans après,
revenir à Gao, y fonder la dynastie des sonni et secouer
la tutelle du Manding. Comme El-Mâmer s'était montré
choqué de la médiocrité du bâtiment - une simple
hutte à toit de paille - qui servait de mosquée
aux musulmans
de Gao, le mansa pria es-Sahéli, qui cumulait le métier d'architecte
avec celui de poète, de bâtir une maison de prière
plus digne du Très-Haut, es-Sahéli construisit donc à
Gao une mosquée en briques, à terrasse crénelée
et à minaret
pyramidal, qui aurait été, selon la tradition, le premier
édifice soudanais de ce type aujourd'hui si répandu.
L'architecture
d'Es-Sahéli.
Gongo-Moussa se rendit ensuite à
Tombouctou,
qu'il annexa à son empire, en même temps que Oualata. Es-Sahéli
bâtit également à Tombouctou une mosquée à
terrasse et à minaret; il y construisit aussi, pour servir de salle
d'audience au souverain du Manding lorsqu'il voudrait séjourner
à Tombouctou, une grande maison carrée à terrasse
et à coupole qu'on appela le mâdougou ( = terre du
maître) et dont on montre encore aujourd'hui l'emplacement. Ce fut
l'occasion d'une importante transformation dans l'architecture soudanaise
jusque-là, au témoignage d'El-Mâmer, qui fit plus tard
le récit de son voyage à son ami Ibn
Khaldoun, on ne connaissait que la hutte cylindrique à toiture
conique en paille, encore répandue de nos jours dans presque toute
l'Afrique noire; à Ghâna
même, d'après Bekri, c'était le seul type d'habitation
qui eût jamais existé, en dehors des maisons en pierre du
quartier royal; à Tombouctou, à Djenné, à Kangaba ,
il en était de même; le mâdougou et les mosquées
édifiées par Es-Sahéli furent trouvés remarquables,
on s'efforça de les imiter dans tous les centres soudanais et ce
genre de constructions, auquel on a voulu bien à tort attribuer
une origine égyptienne, ne tarda pas à se généraliser
et à pénétrer même chez les populations de la
vallée de la Volta, où il revêtit d'ailleurs l'aspect
un peu spécial d'une manière de châteaux-forts .
On raconte que Gongo-Moussa, très
satisfait du travail de son architecte, lui remit en paiement 12 000 mithkals
d'or d'après Ibn Khaldoun ou 40 000
mithkals d'après Ibn Batouta, c'est-à-dire
54 kilos du précieux métal selon le premier ou 180 kilos
selon le second. Es-Sahéli suivit son généreux maître
jusqu'à Kangaba, lui construisant en route un autre mâdougou
à Niani, qui était à cette époque la
capitale de l'empire et dont on montre l'emplacement, désigné
encore sous le nom de « Niani-Mâdougou », entre Niamina
et Koulikoro. Ensuite l'architecte arabe retourna à Tombouctou,
où il mourut en 1346.
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Un
exemple de l'architecture d'es-Saheli.
La
chute
Gongo-Moussa était mort lui-même
en 1332. A cette date, l'empire mandingue
occupait à peu près la même superficie que l'ensemble
des territoires de la future Afrique Occidentale Française et des
colonies étrangères qui y étaient enclavées,
à l'exception des pays du Sud couverts par la forêt dense
et des régions situées au centre de la Boucle du Niger. Les
Mossi
et les Dogon, apparentés au Keita (dans la région falaises
de Bandiagara, au Sud-Est de l'actuel Mali) furent ainsi pratiquement les
seuls dans ce vaste espace à préserver leur indépendance.
Le maître l'Empire était en relations amicales et suivies
avec les plus grands potentats musulmans de l'Afrique du Nord et notamment
avec le sultan mérinide
du Maroc. Peu de temps avant sa mort, Gongo-Moussa avait envoyé
une ambassade à Fès,
pour féliciter Aboul-Hassane de la victoire qu'il venait de remporter
sur Tlemcen, et, le sultan de Fès en
avait dépêché une en retour au Manding, où elle
arriva en 1336 sous le règne
du frère de Gongo-Moussa, le mansa Souleimân (1336
-1359);
celui-ci ne voulut pas demeurer en reste de politesse et expédia
de somptueux cadeaux à son homologue marocain.
C'est sous le règne de ce Souleimân
que le célèbre voyageur et géographe arabe Ibn
Batouta visita le Manding, en 1352-53,
depuis Oualata jusqu'à la capitale de l'empire, pour s'en
retourner par Tombouctou, Gao ,
l'Aïr et le Touat. Il a laissé de son voyage une relation
détaillée et apparemment véridique, dans laquelle
il se plaît à constater la bonne administration de l'État;
sa prospérité, la courtoisie et la discipline des fonctionnaires
et gouverneurs de provinces, l'excellente situation des finances publiques,
le faste et l'étiquette rigoureuse et compliquée des réceptions
royales, le respect accordé aux décisions de justice et à
l'autorité du souverain. On a, en lisant son récit, l'impression
que l'empire mandingue était un État dont l'organisation
et la civilisation se pouvaient comparer avec celles des royaumes musulmans
et de bien des royaumes chrétiens de la même époque.
Le grand historien Ibn Khaldoun, se trouvant
à Biskra en 1353, y apprit de
gens bien informés que le pouvoir du mansa du Mali s'étendait
sur tout le Sahara ,
que le roi de Ouargla lui témoignait de la déférence
et que l'ensemble des Touareg lui payait, tribut.
Cependant Gao
avait recouvré son indépendance entre la mort de Gongo-Moussa
et l'avènement de Souleimân et, une mauvaise administration
commence à miner l'État pendant les règnes suivants.
Le mansa Maghan (Mari-Diata), au pouvoir entre
1360
et 1374 augmente les impôts et
gaspille toutes les ressources de l'État. Moussa II, son fils, qui
règne de 1374 à 1387,
tente de rétablir la situation. Son armée
montra s'en va guerroyer jusque dans l'Est de Gao et pousse même
l'audace jusqu'à s'attaquer à Omar ben Idris, sultan du Bornou .
Ibn
Khaldoun, qui, acheva d'écrire son Histoire des Berbères
vers 1395,
dit que, de son temps le Tekrour était encore vassal du prince du
Mali Magan-Mamoudou et que les « Zenaga voilés du désert»
lui payaient tribut et lui fournissaient des contingents militaires. Une
cinquantaine d'années plus tard, des Ouolofs affirmaient au Portugais
Diego Gomez que tout les pays qu'ils connaissaient appartenaient au mansa
du Manding. Cadamosto, en 1455,
confirme que le pouvoir de ce dernier s'étendait jusqu'à
la basse Gambie au milieu du XVe
siècle.
Mais il est trop tard. L'empire du Mali
conserve sans doute beaucoup de son prestige. On sait ainsi qu'eut lieu
quelque temps après, par l'intermédiaire
des officiers portugais du Rio de Cantor (Gambie) et d'Elmina (Ghana actuel),
un échange de présents, de messages et d'ambassades entre
l'empereur du Manding, qui s'appelait alors Mahmoud ou Mamoudou d'après
Joao
de Barros, et le roi du Portugal Jean Il, lequel était monté
sur le trône en 1481
et y demeura jusqu'en 1495.
Mais la puissance mandinge était bien déjà entrée
depuis plusieurs décennies dans un déclin irrémédiable
que vont accélérer les coups du Songhaï ,
la puissance montante. En 1430, déjà,
Tombouctou
était tombée entre les mains des Touareg. En 1435,
le chef touareg Akil contrôlait, en plus de Tombouctou, Araouân
et de Oualata, et les Touareg commencaient à se partager
le territoire du vieil empire avec les Mossi .
L'agonie du Mali, ou de ce qu'il en restait, durera encore jusqu'au début
du XVIIIe siècle,
quand les Bambara, lui porteront le coup de grâce. Au siècle
suivant plusieurs petits royaumes mandingues se reformeront. Les principaux
seront le Kaarta, le Bambouk, le Dentilia, le Tenda, l'Oulli, le Yani,
le Saloum et le Fouini. Aucun n'aura cependant un rayonnement comparable,
même de loin, à celui de l'ancien Mali. (Delafosse). |
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