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Les Magyars
Hongrois
Les Magyars (comme ils se nomment eux-mêmes) ou Hongrois (nom que leur donnent les peuples étrangers)  sont des populations parlant, comme les Finnois, une langue du groupe finno-ougrien, qui appartient à la famille des langues ouralo-altaïques. Les premiers premiers documents nous les montrent vivant de leur chasse dans les régions de l'Oural, non loin de la Volga. Ces tribus nomades errant dans les plaines immenses de la Russie orientale, se rapprochèrent peu peu à peu de l'Occident, et s'établirent d'abord vers les bords de la mer Noire : là, sept tribus auraient conféré le commandement suprême à un jeune chef, jeune chef, Arpad, qui devint le fondateur d'une dynastie. Evidemment  la richesse de l'Europe attirait ces nomades comme l'Italie avait jadis jadis attiré les Germains. L'imprudence des souverains occidentaux allait leur ouvrir une route facile jusqu'au centre de ces régions fortunées. D'abord, l'empereur de Constantinople implora leur alliance contre les Bulgares, puis ce fut Arnulf qui les appela contre Svatopluk.

La région danubienne où ils arrivaient avait depuis deux siècles été ravagée et occupée par une autre population ouralo-altaïque, les Huns. Les Huns d'Attila y avaient campé, puis les Avars s'y étaient établis depuis la fin du VIe siècle jusqu'à l'époque où Charlemagne avait détruit le grand hring situé entre le Danube et la Tisza où leur khan s'abritait (796). Les Magyars firent une première expédition, peu heureuse d'ailleurs, en 892, contre la Moravie. Deux ans plus tard, ils revinrent, et cette fois avec la ferme résolution de s'établir dans les pays qu'ils pourraient conquérir. 

"Dans toute l'histoire des invasions barbares, on trouverait peu d'exemples d'une aussi grande migration. Deux cent seize mille hommes en âge de porter les armes, ce qui supposerait une population totale de près d'un million, tels sont les chiffres adoptés par la tradition nationale, et l'on ajoute que cette multitude mit près de trois ans à traverser les Carpates. On ne doit s'étonner ni de cette lenteur, ni de ce nombre immense, quand on songe d'une part à tous les chariots, à tous les ustensiles, à tout le butin que tramait cette population mouvante, d'autre part aux fréquents déplacements des masses ouralo-altaïques.

Cette nation était conduite avec une exacte et savante discipline admirée par un illustre connaisseur byzantin. Ces corps vigoureux, habitués à toutes les privations du désert, ne succombaient ni au froid, ni à la chaleur, ni à la faim, ni à la soif. Durs au mal, aucune tâche ne leur semblait impossible. Toutes les armes leur étaient bonnes, l'épée, l'arc, la lance, car ils savaient lutter à cheval et à pied; mais, cavaliers bien plus que fantassins, ils préféraient combattre sur leurs montures petites, rapides, infatigables; les flèches étaient leurs armes favorites. Dans leur ordre de bataille, ils étaient divisés en troupes de mille hommes chacune, également prêtes à se rapprocher pour former une seule masse ou à fondre sur l'ennemi en escadrons mobiles de tous les côtés à la fois. Une nuée de flèches lancées d'une seule bordée préludait à l'attaque furieuse, irrésistible et souvent une fuite simulée achevait par une folle confiance la déroute de l'ennemi." (Sayous).

L'histoire légendaire des Magyars nous donne les noms de petits princes slaves qui cédèrent les premiers devant cette formidable invasion, le slovaque Zalan, le bulgare Menmarot dans l'est et le sud de la Hongrie actuelle. Mais elle ne nous dit rien sur la façon dont l'empire morave succomba. La fin du Xe siècle vit à la fois la ruine de cet empire et la domination des Magyars succéder à celle des Slaves, dans toute la contrée baignée au centre par le cours moyen du Danube et enveloppée au nord et à l'est par la chaîne des Carpates. Cette invasion devait avoir pour l'histoire de cette région les plus graves conséquences: 
"Ce n'était pas la simple immigration d'un nouveau peuple [ouralo-altaïque] destiné à disparaître comme les Huns et les Avares, ou à être absorbé comme les Bulgares par la population vaincue. Les qualités intellectuelles des Magyars, élite des peuples altaïques, leur vigueur physique, leur nombre immense, leur patriotisme déjà vivace devait les garantir contre toute chance de destruction lente ou rapide. "
L'établissement de ce peuple nouveau et la ruine de la Moravie furent un coup mortel pour les Slaves :
 L'invasion des Hongrois, dit l'historien tchèque Palacky, est le plus cruel malheur que notre peuple ait jamais subi. Du Holstein au Péloponnèse s'étendaient des peuples slaves peu unis et de moeurs différentes, mais partout actifs et préparés à la civilisation. Au milieu de cette ligne étendue, un noyau se formait par les efforts de Svatopluk. De même que sous l'influence latine la monarchie franque s'était formée en Occident, de même un empire slave pouvait sous l'influence byzantine se former en Orient; la destinée de l'Europe orientale fut devenue tout autre; l'arrivée des Magyars au coeur de l'organisme naissant anéantit toutes ces espérances."
Cependant les contrées où ils s'étaient établis ne suffisaient pas aux nouveaux conquérants : le pays danubien n'était pour eux qu'une étape, une base d'opérations pour des envahissements futurs. Les diverses hordes avaient apporté des instincts nomades et guerriers, que le temps et l'influence de la religion chrétienne pouvaient seuls transformer et mettre au service du la civilisation.

L'Italie, « à qui le ciel a fait le don malheureux de la beauté », attira tout d'abord leurs convoitises. Ils envahirent le pays vénitien, mais échouèrent devant la cité des lagunes qui avait déjà défié les Huns. En 907, Arpad mourut et, suivant la tradition, ses restes reposent au pied du rocher de Bude où il avait établi sa capitale ou son campement. Sous son jeune fils Zoltan, les excursions continuèrent : les Allemands subirent une sanglante défaite à Presbourg en 907, puis près d'Augsbourg (910), mais ils repoussèrent les Magyars devant Wels. S'il faut en croire leurs récits, quatre-vingt-six Magyars auraient seuls échappé : une vieille poésie allemande célèbre superbement cette victoire. 

"On combattit un combat terrible; maint Hongrois perdit la vie : les Bavarois vengèrent leurs femmes et leurs enfants. On tua tellement de Hongrois que personne ne peut le dire, ni compter les morts. Ils s'enfuirent nuit et jour jusqu'à la Leitha. Cependant ils n'étaient pas encore las de combattre."
Ce fut aussi en 910 que les Magyars envahirent la France pour la première fois. Charles le Simple était alors roi. La Lorraine fut dévastée; les monastères de Remiremont, Saint-Dié, Moyenmoutiers, Etival, Liepsies, furent pillés.

En 915, les Magyars revinrent; cette fois, l'Alsace, la Lorraine, la Bourgogne, furent saccagées. Charles le Simple, abandonné de tous ses vassaux, ne put empêcher les envahisseurs de rester près de trois ans dans ces provinces, et d'y exercer d'affreux ravages. Flodoard dit que l'archevêque de Reims, Hérivée, fut le seul de tous les princes ecclésiastiques qui vint se joindre au roi avec quinze cents hommes. Avec cette faible troupe, Charles n'osa pas s'écarter de la montagne de Laon, sa résidente habituelle, et il attendit que les Hongrois, chargés de butin, se fussent retirés d'eux-mêmes.

En 924, les Magyars venaient de ravager l'Italie, lorsque Bérenger les appela contre son rival, Hugues de Provence. Ils se jetèrent sur cette province, la ravagèrent ainsi que le Lan. guedoc, et ne se retirèrent que décimés par une épidémie, et poursuivis par Raymond, comte de Toulouse. Le pays, après leur départ, était désert, disent les auteurs du temps, et il ne restait plus de prêtres pour le service divin.

Deux ans plus tard, en 926, les Hongrois reviennent en France, dévastent Bâle, le Verdunois, pénètrent jusqu'à dix lieues de Reims; mais l'arrivée du roi Raoul les force à battre en retraite. Henri de Saxe les repoussa devant Mersebourg (933).

Ils ne reparaissent qu'en 936; cette invasion fut terrible : Dôle et les rives de la Saône furent dévastées; Lyon échappa, grâce au courage du comte Guillaume. Ils entrèrent en Italie par Nantua. Raoul les avait encore empêchés de pousser plus loin leurs ravages; mais l'année suivante, en 937, ils revinrent en France. Metz, Trèves, Aix-la-Chapelle, la Champagne, Sens, le Berri, l'Aquitaine, Autan, Langres, Besançon et Pontarlier furent mis à feu et à sang dans cette horrible incursion.

En 938, ils revinrent encore; cette fois ce fut en Flandre, dans le Hainaut, puis delà en Aquitaine, que les Hongrois portèrent leurs fureurs. Ils ne reparaissent plus jusqu'en 950, où ils envahissent l'Alsace, la Franche-Comté, et pillent Besançon. Conrad, roi d'Arles, parvint, au moyen d'un stratagème, à détruire cette horde. Cependant, en 951 ils reviennent en Aquitaine; en 953, ils reparaissent dans la Flandre, où il assiègent inutilement Cambrai. Le mouvement d'invasion continua encore sous le successeur de Zoltan. En 954, ils font leur dernière invasion dans la Lorraine, la Champagne et la Bourgogne. La victoire que l'empereur d'Allemagne, Othon le Grand, remporta sur les magyars, à Augsbourg, en 955.

Dès lors, les Magyars durent se replier sur eux-mêmes et se contenter des domaines qu'ils s'étaient assurés dans la vallée du Danube. Le roi Geiza (972-997) fut le premier souverain pacifique de la Hongrie païenne; sous son règne, les Hongrois essayèrent d'intervenir dans une querelle entre Henri de Bavière et l'empereur Oton II. L'empereur détacha de la Bavière l'Autriche actuelle en faveur de Léopold de Babenberg, qui vainquit les Hongrois et les rejeta près de Vienne. Un nouvel état militaire apparaissait, qui devait jouer un grand rôle dans l'histoire de ces contrées. 

La Hongrie était enfermée dans les limites qu'elle ne devait plus franchir; toutefois les Magyars n'étaient pas seuls dans ces régions; presque partout ils étaient entourés par des Slaves dont la langue et les institutions allaient exercer sur eux une durable influence : au sud-est, ils confinaient à l'élément romain ou valaque qui depuis les Colonies romaines de Trajan s'était développé dans ces contrées. De nombreux mariages avec ces peuples voisins modifièrent peu à peu le type primitif des Magyars; ils ont perdu depuis longtemps les pommettes saillantes et les yeux obliques des Mongols.

Moeurs et religion des anciens Magyars.

La religion.
La religion des Hongrois païens a laissé peu de traces, et il est difficile de dégager un système mythologique des superstitions populaires. Un dieu suprême (Isten) paraît les dominer : il est le père des hommes; au-dessous de lui, on trouve un certain nombre de génies secondaires, le démon ördôg, le mano esprit sinistre, puis les tünder*, les merveilles, les fées, les apparitions, agissant de diverses manières sur la destinée des hommes. 

« Quelque part dans les montagnes de Transylvanie se trouve le palais du roi des tünder avec la reine et de belles jeunes filles, palais d'argent et de cuivre protégé par un lion d'or, se mirant dans un lac resplendissant et entouré de grands bois où les oiseaux font entendre des mélodies ravissantes. Une tradition du comitat de Hont rapporte que dans un endroit aujourd'hui désert et pierreux, avec quelques vieilles racines, vivaient des fées qui au lever de l'aurore peignaient leurs cheveux d'or sur le pays, de telle sorte que tout le monde était riche; mais un avare ayant saisi une de ces fées pour lui couper sa chevelure, toutes s'enfuirent et la misère, la désolation succédèrent à l'abondance. Dans la ville de Deva, la fée bienfaisante apparaissait tous les sept ans; d'autres fées bâtissaient les murs pour les mortels et les enrichissaient de leurs trésors, mais toujours l'ingratitude humaine les décourageait et leur faisait quitter la place » (Sayous).
A côté des fées de la terre, il y avait les fées de l'air et les fées des eaux. Une des plus poétiques et des plus originales fantaisies de l'imagination magyare était Delibab, la fée du Midi, la personnification du mirage, fille de la plaine, soeur de la mer et amante du vent. Les lacs et les fleuves étaient peuplés de génies mystérieux. Les divers éléments étaient l'objet d'un culte. Un ordre sacerdotal partageait le pouvoir avec le prince. Les prêtres enraient à la divinité des chants, des prières, des sacrifices même humains dans les bois sacrés sur les autels.
" Dans l'ensemble des choses, l'âme humaine conservait son existence indestructible et immortelle; mais elle pouvait revenir sur la terre, surtout si elle avait appartenu à un illustre guerrier. L'âme passait à cheval sous la voûte de la mort et traversait un pont qui la conduisait au bonheur de l'autre monde : bonheur guerrier, comme les funérailles étaient guerrières » (Sayous).
L'organisation politique.
Un peuple nomade, comme l'étaient les Magyars avant leur conversion au christianisme, ne pouvait nécessairement avoir qu'une organisation très imparfaite. Elle était plus militaire que politique. La puissance du chef suprême ne reconnaissait d'autres limites que l'autonomie relative des tribus. Elle procédait d'une élection par acclamation, élection qui paraît avoir été héréditaire dans la famille d'Arpad, mais sans que l'ordre de primogéniture fût rigoureusement consacré par l'usage ou par la loi. Cette élection était consacrée par le suprême pouvoir judiciaire et par l'assemblée générale des chefs assistés de nombreux hommes libres.

Tous les membres de la famille et même de la tribu se regardaient comme frères; ils étaient tous libres et tous nobles. C'est là l'origine de la nombreuse petite noblesse qui a toujours été le nerf de la Hongrie. 

« Les chefs de famille et de tribu étaient, comme les ducs eux-mêmes, à moitié héréditaires, à moitié électifs ou acclamés. Les terres assignées à la tribu et à la famille par le duc ou par l'Assemblée de la nation étaient la propriété de tous, même lorsque les diverses branches de la famille se les étaient partagées pour y construire des huttes qui devinrent peu à peu des maisons, et pour y faire paître leurs troupeaux en attendant la culture. Les chefs n'avaient pas encore de domaine à part : ce n'est que plus tard, quand la Hongrie devint agricole, que les propriétés furent bien délimitées et que les chefs devinrent propriétaires pour une partie et seigneurs pour le reste. Dans les premiers temps, la tribu ducale, celle qui vivait sous l'autorité immédiate du prince, s'établit au centre de la contrée du côté de Pest et d'Albe royale. »
La vie intellectuelle.
Les anciens Magyars devaient naturellement goûter peu le séjour des villes; ils les abandonnaient soit aux habitants qui les avaient précédés, soit aux colons étrangers qu'ils appelèrent dans leur empire. Cette vie nomade était peu favorable au développement de la culture intellectuelle et artistique; l'archéologie nationale n'a retrouvé que fort peu de débris de l'époque païenne; pas un vers ne nous est arrivé des rapsodies chantées par les bardes en l'honneur des héros ou à l'occasion des fêtes et des mariages. On sait seulement que la musique jouait un grand rôle dans ces solennités. Les fameuses mélodies des Tsiganes nous ont peut-être gardé un écho affaibli de ces chants primitifs. (L. Léger).
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