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La guerre franco-allemande de 1870-1871
Les origines de la Guerre de 1870
Aperçu Origines de la guerre Fin du Second Empire Débuts de la IIIe République Traité de Francfort
Aussitôt après avoir réalisé l'unité de l'Allemagne du Nord au moyen d'une guerre avec l'Autriche, Bismarck s'était préoccupé d'y faire entrer les Etats du Sud, qui se révélaient impuissants à se constituer en Confédération particulière. Il les tenait dans sa dépendance militaire par les traités d'alliance imposés à leur faiblesse en 1867, et dans sa dépendance économique par le renouvellement du Zollverein, auquel il fit donner comme organe un Parlement douanier élu au suffrage universel, et destiné dans sa pensée à devenir un instrument d'unification politique. Mais quand cette Assemblée se réunit pour la première fois à Berlin (mai 1868), les députés du Sud, en majorité particularistes, refusèrent énergiquement de se laisser entraîner en dehors de leur rôle économique. Si la cause de l'union avec le Nord fit l'année suivante quelques progrès dans le Wurtemberg, et surtout à Bade, elle subit une défaite éclatante en Bavière, par la chute du ministère Hohenlohe qui la personnifiait. Cet échec de sa politique affermit Bismarck dans le dessein de provoquer une guerre avec la France pour compléter et étendre à toute l'Allemagne l'oeuvre de 1866 : il en faisait l'aveu, dès le mois de janvier 1868, dans un entretien avec un républicain allemand réfugié en Amérique, Carl Schurz.

Cette guerre, le gouvernement français la sentait venir et la croyait inévitable, surtout après qu'un projet de désarmement mis en avant par le ministère Ollivier eût été repoussé à Berlin (février 1870). Il chercha pour s'y préparer des alliances avec l'Italie, son obligée, comme avec l'Autriche, rivale naturelle de la Prusse. Il y eut avec cette puissance un rapprochement personnel des deux souverains, à l'entrevue de Salzbourg (août 1867); puis, au printemps de 1869, un projet officieux de Triple-Alliance diplomatique, où entrerait l'Italie et dont le principe seul fut posé par un échange de lettres; enfin, au printemps de 1870, un plan de coopération militaire, discuté au cours d'une double mission de l'archiduc Albert à Paris et du général Lebrun à Vienne. Toutes ces négociations n'aboutirent à aucun résultat pratique, Victor-Emmanuel se refusant à prendre aucun engagement ferme sans obtenir de concessions sur la question romaine. La France devait, au jour du danger, se trouver seule en face de la Prusse.

Le déclenchement de la guerre

Il y avait un an que Bismarck en machinait l'explosion. Pour la provoquer, celui-ci employa le même stratagème qu'autrefois contre le Danemark, en suscitant une candidature princière dont le retrait opportun lui donnerait les apparences de la modération, mais dont la seule annonce suffirait à déchaîner des passions nationales impossibles à refréner. 

La candidature Hohenzollern. 
La reine d'Espagne, Isabelle, avait été renversée en 1868.  Les Cortès s'étant prononcés pour le maintien du régime monarchique, les chefs de la révolution cherchèrent un roi dans les familles souveraines d'Europe. L'un deux, Salazar, eut l'idée de s'adresser au prince Léopold de Hohenzollern, frère du roi de Roumanie, appartenant à la branche cadette de la maison de Prusse. Bismarck s'employa aussitôt, et dans le plus grand secret, au succès d'une candidature qui serait un échec pour la France et peut-être l'occasion cherchée d'un conflit avec elle. Après deux premières tentatives infructueuses, il finit par obtenir l'assentiment à cette combinaison du principal intéressé, qu'effrayait d'abord l'opposition probable de Napoléon III, et du roi Guillaume lui-même, qui ne manifestait pas au début plus d'enthousiasme (juin 1870).

Quand cette nouvelle fut brusquement connue à Paris, elle produisit sur l'opinion l'effet d'un coup de tonnerre et d'une menace pour la sécurité de la France. Le prince avait des liens de famille avec les Bonaparte; son frère aîné avait été fort aidé par Napoléon III à devenir prince de Roumanie. Mais un Hohenzollern à Madrid, c'était tout autre chose qu'un Hohenzollern à Bucarest. Dès que le nom du prince Léopold fut prononcé, le cabinet des Tuileries, sans s'arrêter aux relations de famille du prince avec l'empereur, déclara à Berlin que la candidature rencontrerait l'opposition de la France.

Bismarck répondit que c'était une question espagnole et non allemande, qu'il s'en désintéressait, que le prince ne se laisserait pas tenter par une souveraineté éphémère; puis il continua de travailler en souterrain par son agent Lothar Bucher, qu'il envoya en Espagne. Comme le prince était peu tenté par l'aventure, Bismarck eût voulu que le roi lui en fit un devoir patriotique. Le roi s'y refusa ; il avait soixante-treize ans et ne suivait pas sans inquiétude la nouvelle intrigue de son ministre. Le prince déclina les offres espagnoles (avril 1870).

Bismarck, qui tenait son brandon, ne le lâcha pas. Le maréchal Prim, dont les autres combinaisons avaient échoué, se laissa gagner à la candidature, et le prince finalement convaincre que l' «  intérêt allemand » lui commandait d'aller à Madrid. Le roi, après « de grands combats intérieurs », donna son approbation (20 juin). La nouvelle éclata le 3 juillet. Bismarck partit pour sa campagne de Varzin afin de donner à croire, par ce change assez grossier, qu'il était étranger à l'affaire.

La réponse du conseiller Thile. 
Dès qu'on connut la candidature du prince de Hohenzollern, il n'y eut qu'une voix pour déclarer que l'entreprise d'asseoir un Allemand sur le trône d'Espagne ne pouvait être tolérée, que c'était une insolence et un défi. Au dehors, surtout en Angleterre, la manoeuvre de Bismarck fut généralement blâmée.

Le duc de Gramont, ancien ambassadeur à Vienne, qui avait remplacé Daru au ministère des Affaires étrangères après le plébiscite, commença par demander des explications à Berlin. Le conseiller Thile, en l'absence de Bismarck, répondit que « le gouvernement répudiait toute responsabilité à l'égard de la candidature du prince Léopold ». Thile avait fait partie du conseil qui décida la candidature.

Gramont, sans s'arrêter au mensonge, ne commit pas l'erreur de porter ses réclamations à Madrid ni celle de généraliser la querelle, comme le voulait le parti de la guerre. Il s'enferma dans la question particulière et poursuivit seulement le retrait de la candidature.

Déclaration de Gramont.
Thiers, qui aimait à dire qu' « on peut être franc quand on veut une chose juste », provoqua, par une interpellation qu'il fit déposer, une déclaration de Gramont (6 juillet).

Le ministre ne dit que peu de mots, protestant de ses sympathies pour le peuple espagnol « qui ne s'était pas encore prononcé », et, aussi, de sa confiance « dans la sagesse du peuple allemand »; mais il n'était pas possible de « souffrir qu'une puissance étrangère, en plaçant un de ses princes sur le trône de Charles-Quint, pût déranger l'équilibre de l'Europe au détriment de la France et mettre en péril ses intérêts et son honneur ». Il avait le ferme espoir que l'éventualité ne se réaliserait pas. Sinon, il saurait remplir son devoir «sans hésitation et sans faiblesse ». Le ton de la déclaration était vif, le fond irréprochable.

Négociations d'Ems. 
En même temps que le gouvernement portait à la tribune cette sorte d'ultimatum, il négociait de toutes parts : à Londres, à Vienne et à Pétersbourg pour réclamer les bons offices des grandes puissances; à Madrid où le régent Serrano et Prim souhaitaient maintenant le retrait de la candidature; à Ems où était le roi de Prusse, très préoccupé de la tempête qui s'était élevée.

Le roi reçut courtoisement Benedetti et n'objecta pas à l'insolite négociation d'un ambassadeur avec un souverain. Il déclina de donner un ordre, ou, même, un conseil à ses cousins, mais il envoya un officier au prince Antoine, père de Léopold, pour lui faire part de son désir d'éviter la guerre. Strat, ambassadeur de Roumanie à Paris, s'était déjà rendu à Sigmaringen pour presser sur les deux princes.

Retrait de la candidature. 
Le prince Antoine ne fit pas beaucoup de défense, puis imposa sa volonté à son fils. Il télégraphia aussitôt à Prim, au nom du prince Léopold, qu'en raison de l'émotion causée par toute l'Europe, la candidature était retirée (11 juillet).

Bismarck, rentrant à Berlin en route pour Ems où il avait annoncé sa venue, apprit la nouvelle au débotter. Son premier mouvement fut de donner sa démission de chancelier allemand et de premier ministre prussien. Au contraire, le roi, à Ems, éprouva un grand soulagement; il écrivit à la reine : 

« Cela m'ôte une pierre du coeur. » (12 juillet).
La victoire diplomatique et les partis.
 C'était la paix, par la disparition de l'objet du litige, et «une belle victoire diplomatique-», s'écria Guizot. L'empereur dit à son aide de camp Bourbaki : « Sur quoi continuerait-on à se quereller? »  Et Ollivier à Thiers :
« Nous tenons la paix, nous ne laisserons pas échapper  ».
Quelques heures après, l'Empire lui-même allait fournir à Bismarck une tragique revanche; la guerre que l'auteur du guet-apens espagnol poursuit et qu'il vient de manquer, il se la fera déclarer.

Parce que les meneurs de la droite du Corps législatif, hostiles au ministère Ollivier et d'autant plus belliqueux qu'Ollivier lui-même l'était moins, et parce que les journaux qui faisaient leur politique, des échauffés de toutes sortes, des militaires brûlant d'en découdre avec les vainqueurs de Sadowa, et surtout le monde de la cour avec l'impératrice, trouvaient insuffisante la solution que Bismarck considérait comme une insupportable défaite, ce n'était pas une raison pour le souverain et pour ses ministres de se laisser détourner de la voie qu'ils n'auraient pas hésité à suivre, si ces agitations et bouillonnements ne s'étaient point produits.

La demande de garanties. 
C'est cette faiblesse qu'ils eurent; les préoccupations de la politique intérieure dominèrent la politique étrangère. D'abord, Gramont, en présence et avec l'assentiment d'Ollivier, et à l'insu de l'empereur, demanda à l'ambassadeur prussien, le baron de Werther, que le roi écrivît lui-même à Napoléon Ill qu'en autorisant la candidature du prince Léopold, « il ne croyait pas porter atteinte aux intérêts ni à la dignité de la nation française ».

Puis, quelques heures plus tard, cette fois à l'insu d'Ollivier, après avoir conféré à Saint-Cloud avec l'empereur et avec l'impératrice, Gramont télégraphia à Benedetti de se rendre « immédiatement auprès du roi » et d'obtenir de lui une déclaration où « il s'associerait à la renonciation du prince Antoine » et « donnerait l'assurance qu'il n'autoriserait pas de nouveau la candidature du prince Léopold. » (12 juillet).

L'entrevue d' Ems.
Pour inconsidérées que fussent ces exigences, elles n'auraient pas amené la guerre si Bismarck n'avait pas guetté de Berlin l'occasion de réparer les « défaillances  » du roi.

En effet, dans la matinée du jour suivant, quand Benedetti, l'abordant dans une allée du parc d'Ems, lui exposa la mission dont il était chargé, le roi ne marqua qu'un peu de surprise; il fit le refus le plus courtois; « l'affaire lui avait causé de trop grands ennuis pour qu'il fût tenté de la faire renaître ».

Dans la journée, il envoya à l'ambassadeur par son aide de camp, le prince Radziwill, l'annonce officielle de désistement qu'il venait de recevoir de Sigmaringen.

Benedetti ayant alors insisté pour une nouvelle audience, parce que Gramont l'en pressait par dépêche, le roi lui fit répondre par le même aide de camp « qu'il avait consenti à donner son approbation entière et sans réserve au désistement du prince de Hohenzollern et qu'il ne pouvait faire davantage ». Toutefois, partant le lendemain, il autorisait l'ambassadeur à venir prendre congé de lui à la gare.

Une fausse démarche ébréchait la victoire, mais il n'y avait eu à Ems ni insulteur, ni insulté.

La dépêche d'Ems.
Le roi, comme il le devait, informa Bismarck resté à Berlin de ces incidents, le laissant libre d'en faire communication à la presse. 

La dépêche du conseiller de légation Abeken était si conforme à la simple vérité que, Bismarck en ayant donné lecture à Moltke et à Roon qui dînaient chez lui, ils «-changèrent de physionomie » et « furent si atterrés qu'ils en oublièrent de boire et de manger ».

La manipulation de la dépêche.
Cependant Bismarck, ayant réfléchi, demanda à ses deux convives : « Sommes-nous prêts? »; puis, sur leur réponse affirmative, il s'assit à une petite table et il tronqua, sans pourtant la falsifier au sens propre du terme, la dépêche; il en réduisit la teneur à des mentions assez sèches pour que la dernière réponse du roi à l'ambassadeur de France apparût, non comme la conclusion naturelle d'une négociation, mais comme un refus insolent opposé à une demande insolite.

« L'ambassadeur français a demandé à Sa Majesté le roi de l'autoriser à télégraphier à Paris que Sa Majesté à tout jamais s'engageait à ne plus donner son consentement si les Hol'enzollern devaient revenir sur leur candidature. Là-dessus Sa Majesté a refusé de recevoir encore l'ambassadeur français et lui a fait dire par l'aide de camp de service que Sa Majesté n'avait plus rien à lui communiquer. »
Il lut le nouveau texte à haute voix « Ah! s'écria Moltke, tout à l'heure, j'avais cru entendre battre la chamade; maintenant, c'est une fanfare. »

On se remit à manger. Et Bismarck expliqua, prophétisa : 

« Si j'envoie la dépêche aux journaux et si, en outre, je la télégraphie à toutes nos ambassades, elle sera connue à Paris avant minuit; et non seulement par ce qu'elle dit, mais aussi par la façon dont elle aura été répandue, elle produira là-bas, sur le taureau gaulois, l'effet du manteau rouge » (13 juillet).
Tout cela, d'après le propre récit de Bismarck, dans ses Pensées et Souvenirs, récit qu'on ne saurait récuser qu'en vertu de l'adage latin
« Que nul n'est entendu, alléguant sa turpitude. »
La déclaration de guerre. 
Le méphistophélique calcul se trouva juste. Dans l'atmosphère de fièvre patriotique où vivait depuis quinze jours le public français, il n'en fallut pas plus pour soulever à Parisune tempête d'indignation et emporter les résistances des derniers partisans d'une solution pacifique.

Le lendemain, dès que Gramont connut la dépêche falsifiée, qui, publiée par l'agence Wolff, avait soulevé en Allemagne une tempête guerrière, il se considéra comme «-souffleté ». Il alla le dire en ces termes à Ollivier qui, sans autre examen, donna au piège.

Au Conseil des ministres, comme le ministre de la Guerre, Le Boeuf, garantissait la victoire, on décida que la France avait été insultée dans la personne de Benedetti et que ce qui venait de se passer à Berlin constituait une déclaration de guerre. La mobilisation fut aussitôt ordonnée (14 juillet).

La séance du 15 juillet. 
Quand la Chambre se réunit (15 juillet), Ollivier  apporta une demande de crédits de 50 millions dont le vote impliquait la guerre, il fut acclamé par les trois quarts de la Chambre. Seuls, les républicains, et surtout Thiers, protestèrent.

« Est-il vrai, demandait Thiers, que, sur le fond, c'est-à-dire sur la candidature du prince de Hohenzollern, votre réclamation a été écoutée, et qu'il y a été fait droit? Voulez-vous que l'Europe tout entière dise que le fond était accordé et que, pour une question de forme, vous vous êtes décidés à verser des torrents de sang? »
Des clameurs étouffèrent sa voix, des bancs de la droite partaient des cris de «Traître! Émigré! ». Il lutta, avec l'énergie du désespoir, contre la tragique aventure.

Ollivier, lui répondant, laissa échapper le mot qui resta collé toute sa vie à son nom :

« Oui, de ce jour commence pour mes collègues et pour moi une grande responsabilité. Nous l'acceptons le coeur léger. »
Buffet, hier encore ministre, et Jules Favre réclamèrent le texte de la dépêche prussienne aux cours étrangères, dépêche qui, selon Gramont et Ollivier, constituait l'injure. Il eût fallu avouer qu'elle était identique à celle de l'agence officieuse, publiéed'abord par la Gazette de l'Allemagne du Nord, que tout le monde avait lue.

Ollivier ne consentit à communiquer les pièces qu'à la Commission des crédits qui n'exigea pas de les  connaître au complet.

Benedetti était à Paris; on ne l'appela pas. Le Boeuf dit que l'armée était prête, « qu'il ne manquait pas un bouton de guêtre»; Gramont que les ambassadeurs d'Autriche et d'Italie sortaient de son cabinet.

En séance, Gambetta insista encore : 

« S'il est vrai que cette dépêche soit assez grave pour avoir fait prendre ces résolutions, c'est votre devoir de la communiquer à la France et à l'Europe; si vous ne le faites pas, votre guerre n'est qu'un prétexte voilé.»
La guerre fut votée dans l'affreuse équivoque : le lendemain, la déclaration de guerre fut notifiée quatre jours après à Berlin (19). Bismarck, qui désirait la rupture, avait réussi à en laisser la responsabilité apparente à la France. 

Les Etats du Sud. 
Les Etats du Sud, hier encore hésitants et dont les ministres et les souverains avaient fait depuis trois ans, en secret, des ouvertures à l'empereur, marchèrent aussitôt avec la Prusse.

Bismarck publia le texte, que lui avait imprudemment laissé Benedetti, du projet d'alliance pour la conquête de la Belgique. (J. Reinach).

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