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L'Empire du Ghâna
Les informations manquent sur l'époque de la fondation du royaume du Sud-Est de l'actuelle Mauritanie qui donna plus tard (vers le VIIIe siècle) naissance à l'Empire de Ghâna, et même sur l'origine de ses fondateurs. Les traditions locales, confirmées par les ouvrages des savants de Tombouctou et des historiens arabes, nous laissent seulement entendre que cet État remontait au moins au IVe siècle de l'ère chrétienne, que ses premiers souverains étaient probablement des Berbères, peut-être refoulés vers le Sud par la domination romaine au Maghreb, et que le pouvoir passa, un certain temps après l'hégire, entre les mains d'une famille du peuple des Soninké ou Sarakollé. Les auteurs arabes, par ailleurs, nous apprennent que l'empire du Ghâna, État de caractère essentiellement militaire à l'administration très structurée, et prospère grâce au commerce caravanier trans-saharien, notamment de l'or et du sel, était florissant aux IXe et Xe siècles de notre ère, que son déclin commença vers le milieu du XIe siècle sous la poussée conquérante et destructive des Almoravides, qui l'absorbèrent en 1076, que ses débris tombèrent sous le joug des Mandingues et que sa capitale, Kumbi, dernier vestige de sa gloire déchue, cessa d'exister à partir du milieu du XIIIe siècle environ. Les Sarakollé se réfugièrent plus au Sud. Il ne subsista du grand empire que deux petits États, le Diara et le Sosso. 
Dates -clés  :
IVe s. - Royaume berbère au Sud-Est de la Mauritanie.

ca. 790.  - Fondation de l'empire soninké du Ghâna.

930 - Luttes entre les Lemtouna et le Ghâna.

ca. 990 - Le Ghâna entre dans la dépendance des Lemtouna d'Aoudaghost.

1042 - Formation au sein des Lemtouna de la secte almoravide.

1076 - Prise de Ghâna par les Almoravides; dispersion des Soninké.

1240 - destruction définitive de Ghâna.

Naissance d'un empire

L'empire du Ghâna, comme celui de Rome, fut d'abord celui d'une ville, une capitale, dont le nom se trouve mentionné pour la première fois, semble-t-il, dans les Prairies d'Or de Massoudi, lequel mourut en 956, fut visitée dans la seconde moitié du Xe siècle par le célèbre géographe arabe Ibn Haoukal, et Bekri en donna, au siècle suivant, une description assez détaillée. Cette cité n'était appelée Ghâna que par les étrangers et notamment les Arabes, qui la firent connaître sous ce nom à l'Europe et à l'Asie. Ce n'était pas son nom, mais, si l'on en croit Bekri et es traditions soudanaises, l'un des titres portés par le souverain, que l'on désignait encore sous celui-de kaya-maga ou simplement maga ou magan (= le maître) ou encore sous celui de tounka ( = le prince). D'autres étymologies ont été proposées : Ghâna viendrait ainsi du mot berbère agane qui signifie brousse et aurait donné naissance au Moyen Âge au mot Guinée. Quoiqu'il en, soit, la ville elle-même était connue des habitants sous le nom de Koumbi  Koumbi-Koumbi ( = la butte ou les tumulus) ou encore Kombi Saleh (au Sud-Est de la Mauritanie moderne), par lequel on désigne encore aujourd'hui son emplacement probable. Celui-ci se trouve entre Goumbou et Oualata, à une centaine de kilomètres environ au Nord-Nord-Est de la première de ces localités, dans une région du Hodh que les Maures nomment Aouker ou Aoukar terme géographique d'ailleurs commun à beaucoup de régions sub-sahariennes), les Mandingues et les Bambara Bagana ou Mara, les Khassonké Bakhounou et les Sarakollé Ouagadou, et qui s'étend d'une façon générale au Nord et au Nord-Est de Goumbou.

L'explorateur Bonnel de Mézières, qui a visité et fouillé cet emplacement en 1914, y a retrouvé les vestiges d'une grande cité correspondant très exactement à celle décrite par Bekri, avec des ruines de constructions en pierres taillées et parfois sculptées. La contrée où s'élevait Ghâna ou Koumbi est actuellement très aride. Mais les traces très nombreuses et très étendues d'anciennes habitations et de sépultures montrent que le pays était autrefois peuplé, en partie tout au moins, de sédentaires et laissent supposer qu'il était mieux arrosé qu'aujourd'hui et plus propre à la culture. Au reste, Bekri parle de champs vastes et prospères qui s'étendaient à l'Est de Ghâna et les traditions locales sont unanimes à attribuer le déclin du royaume et la dispersion de ses habitants au dessèchement du Ouagadou et à la famine qui en fut la conséquence. Il est probable que ces circonstances eurent en effet beaucoup plus d'influence sur la fin de l'empire de Ghâna que les pillages successifs dont la ville fut l'objet de la part des Almoravides en 1076, du roi de Sosso, Soumangourou Kannté, en 1203 et enfin du roi du Manding, Soundiata Keïta, vers 1240. Une ville populeuse et un État florissant survivent au pillage et à la défaite, mais ne résistent pas au manque d'eau et de nourriture.

Le Bagana ou Ouagadou et la plupart des districts subsahariens que nous englobons aujourd'hui sons les noms de Hodh dans l'Est et de Mauritanie dans l'Ouest devaient, à l'époque lointaine où ils se prêtaient à la culture et à la vie sédentaire, être habités par des Noirs, plus ou moins métissés et d'autochtones blancs nord-africains. Ces Noirs formaient un ensemble, assez disparate peut-être par certains côtés, que les traditions maures désignent généralement par le terme de Bafour et d'où sont sans doute sortis .depuis, par ramification, les Songoï ou Songhaï vers l'Est, les Sérères vers l'Ouest et, vers le Centre, un une population appelée Gangara (Gangari au singulier) par les Maures, Ouangara par les auteurs arabes et les écrivains de Tombouctou, et comprenant de nos jours, comme fractions principales, les Mandingues proprement dits ou Malinké, les Bambara et les Dioula. Ces derniers allaient établir un réseau commercial à longue distance.

C'est dans cette région et parmi ces Bafour, déjà ramifiés sans doute, que se fixèrent vraisemblablement les immigrants, sans doute berbères, qui passent pour avoir colonisé notamment le Massina (Macina) et le Ouagadou et avoir fondé le royaume et la ville de Ghâna. Ces immigrants comprenaient probablement à la fois des cultivateurs et des pasteurs. Quelque considérable qu'ait pu être leur nombre, il était certainement très inférieur à celui des populations au milieu desquelles ils s'installèrent et sur lesquels ils établirent leur domination. Il dut y avoir, dès le début, quantité d'unions entre Blancs et Noirs et de ces unions naquirent, semble-t-il, deux très importantes populations, dont chacune devait jouer par la suite un rôle de premier ordre dans l'histoire du Soudan occidental et central et dans le développement de sa civilisation.

A Ghâna même, dans le Ouagadou, dans le Massina et ailleurs encore, l'union des Sémites en majorité sédentaires avec des Ouangara notablement plus nombreux que les premiers engendra probablement le peuple qui se donne lui-même le nom de Sarakollé, c'est-à-dire « hommes blancs», en souvenir de l'une de ses ascendances, que plusieurs tribus soudanaises appellent Soninké et les Maures Assouanik, que les Bambara dénomment Mara-ka ou Mar'-ka (gens du Mara ou Ouagadou) et que les auteurs arabes et les Songhaï de Tombouctou désignent par le terme de Ouakoré. Ce peuple parla une langue très voisine de celle des Ouangara; elle devint la langue usuelle de Ghâna et est encre aujourd'hui celle des Sarakollé du Sahel et du Sénégal, des habitants sédentaires dits Azer ou Ahl-Massîne (gens du Massina) de certaines oasis telles que Tichit et enfin de quelques tribus qui ont adopté les habitudes errantes des Maures leurs voisins ou conservé celles de leurs ancêtres blancs nomades, telles que celles des pasteurs Guirganké et, croit-on, des chasseurs Némadi.

A l'Ouest de Ghâna, dans la région de pâturages du Termès, le mélange de nomades venus du Nord avec des Sérères et surtout la longue cohabitation durent donner naissance au peuple des Peuls ou Foulbé, qui parla une langue assez voisine de celle des Sérères et qui, plus tard, essaima vers le Massina et, de l'autre côté, vers le Tagant et le Fouta-Toro, pour envoyer ensuite quelques-unes de ses fractions au Sud-Ouest dans le Fouta-Djalon, à l'Est et au Sud-Est dans la boucle du Niger, le Haoussa, l'Adamaoua et les pays voisins du Tchad.

Cependant, à Ghâna même, après une succession de princes berbères qui, d'après le Tarikh es-Soudân, auraient été au nombre de 44, dont 22 avant l'hégire et 22 après, mais dont le dernier, au dire du Tarikh el-fettâch, aurait été contemporain de Mohammed, le pouvoir passa à la dynastie sarakollé des Sissé qui, peut-être, comme le prétendent ses descendants actuels, était apparentée à la première dynastie et ne constituait, en quelque sorte, qu'une continuation de celle-ci, de plus en plus métissée.

Quoi qu'il en soit, c'est sous le règne de ces Sissé, que Massoudi et les autres auteurs arabes disent formellement avoir été des Noirs, que l'État de Ghâna atteignit son apogée. Au témoignage de Bekri, de Yakout et d'Ibn-Khaldoun, son pouvoir se faisait sentir dès le IXe siècle sur les Berbères Zenaga ou Sanhadja (Lemtouna, Goddala ou Djeddala, Messoufa, Lemta, etc.) qui avaient depuis peu poussé leurs avant-gardes méridionales jusque vers le Hodh et dans la Mauritanie actuelle; Aoudaghost, capitale de ces Berbères, située sans doute au Sud-Ouest et non loin de Tichit, était vassale du roi noir de Ghâna et lui payait tribut; une tentative d'indépendance de la part du chef des Lemtouna motiva, vers 990, une expédition du roi de Ghâna, qui s'empara d'Aoudaghost et raffermit son autorité sur les Berbères sédentaires et sur les « Zenaga voilés » du désert, ainsi que s'expriment plusieurs auteurs arabes.

Du côté du Sud, les dépendances de Ghâna s'étendaient jusqu'au delà du fleuve Sénégal et jusqu'aux mines d'or de la Falémé et du Bambugu (Bambouk), dont le produit alimentait le trésor des Sissé et servait à opérer de fructueux échanges avec les caravanes marocaines venues du Tafilalet et du Dara; elles s'étendaient même jusqu'au Manding, sur le haut Niger. Vers l'Est, les limites du royaume atteignaient a peu près la région des lacs situés à l'occident de Tombouctou. Au Nord, son influence se faisait sentir en plein coeur du Sahara et sa renommée avait pénétré jusqu'au Caire et à Bagdad.

Le mouvement almoravide

Cependant l'islam commença, au début du XIe siècle, à pénétrer chez les Berbères du Sahara et de la lisière du Soudan. Vers 1040, un mouvement de propagande musulmane prit naissance parmi quelques fractions de la tribu des Lemtouna, qui habitait principalement le Tagant et le district d'Aoudaghost, et de celle des Goddala ou Djeddala, qui nomadisait entre l'Adrar mauritanien et l'Atlantique et formait avec la première une sorte de confédération. D'un monastère, situé sur une île du bas Sénégal ou à proximité de son embouchure, allait sortir, pour prêcher l'islam et guerroyer du Soudan jusqu'au Maroc et à l'Espagne, la secte fameuse des Almoravides (al-morabetîne, les «-marabouts », étymologiquement « ceux qui s'enferment dans un ribât ou monastère-»).

Sous la direction du fougueux prédicateur Abdallah ben Yassine, Berbère originaire de l'Afrique du Nord, aussi farouche réformateur religieux que guerrier infatigable, et sous le commandement nominal de Yahia ben Ibrahim, chef des Goddala, puis de Yahia ben Omar, de la tribu des Lemtouna, un mouvement se produisit qui ne devait avoir chez les Noirs que des résultats politiques éphémères mais qui en eut de très durables et de fort importants au point de vue religieux. C'est en effet aux Almoravides qu'il convient d'attribuer la conversion à l'islam des fractions soudanaises qui, depuis, l'ont propagé à leur tour dans une notable partie de l'Afrique, Tekrouriens ou Toucouleurs, Sarakollé, Dioula et Songhaï.

Dès le milieu du XIIIe siècle commença une lutte âpre et sans merci entre les bandes almoravides, qui représentaient l'islam et les rois sarakollé de Ghana qui, bien qu'ayant été toujours hospitaliers à l'égard des musulmans, passaient pour être les champions du paganisme. En 1054, Aoudaghost, quoique capitale d'un royaume berbère, était attaqué, pris et pillé par Abdallah ben Yassine, sous le prétexte que cette ville payait tribut au roi de Ghâna.

En même temps, une active propagande religieuse était faite par les soins du même Abdallah parmi les populations qui résidaient alors sur les deux rives du Sénégal, ainsi qu'auprès des populations nigériennes. A vrai dire, elle rencontrait souvent une résistance qui, lorsqu'elle ne pouvait se manifester autrement, se traduisait par l'exode des habitants. C'est ainsi que la plupart des Sérères émigrèrent sur la rive gauche du fleuve, dans le Tekrour (qui correspondait à peu près à la province appelée plus tard le Fouta Toro), d'où un nombre considérable allèrent se grouper dans le Sine, où nous les trouvons encore aujourd'hui; ils laissaient le champ libre aux Berbères dans ce qui est devenu depuis la Mauritanie, chassés à la fois par le désir d'échapper à la contrainte et aux exactions des Almoravides et par le souci de rechercher des terres plus fécondes et moins arides. C'est ainsi encore que, poussés par des motifs analogues, les Peuls de Termès et du Tagant commencèrent à essaimer avec leurs troupeaux vers la même région du Fouta-Toro, où ils devaient, pendant bien longtemps, résister à l'emprise musulmane.

Cependant, certaines familles royales du pays noir, attirées vers la religion nouvelle par le prestige qui s'attachait à ses adeptes, se rangeaient délibérément sous la bannière de Mohammed. Tel fut le cas des princes qui détenaient alors le pouvoir au Tekrour, sous la tutelle plus où moins, lointaine des empereurs de Ghâna et qui devaient être des Sarakollé. Ils régnaient sur un peuple vraisemblablement très composite, formé d'éléments sarakollé, mandingues, sérères et peut-être ouolofs, qui finit par adopter la langue des Peuls ses voisins et qui est connu aujourd'hui sous le nom de Toucouleurs; ce mot n'est du reste que l'altération du nom primitif de la ville et du royaume de Tekrour. 

Tekrour. - On s'accorde à situer l'emplacement de la ville de Tekrour, d'après les données des auteurs arabes du Moyen Age et d'après les traditions locales, non loin de Podor, dans la province du Fouta Sénégalais appelée Toro. Dans la suite des temps, le nom de Tekrour fut appliqué par les écrivains musulmans à l'ensemble des pays noirs se trouvant sur la lisière sud du Sahara et en grande partie islamisés; il devint ainsi à peu près synonyme de « Soudan » et c'est avec cette acception qu'il a longtemps figuré sur nos cartes géographiques.
Un disciple d'Abdallah ben Yassine, sur lequel courent de nombreuses légendes et dont la mémoire a été transmise sous plusieurs noms différents, dont celui d'Abou Dardaï, convertit à l'islam les princes et les notables du Tekrour, qui devinrent pour les Almoravides des alliés effectifs.

Un Berbère lemtouna, qui, d'après Léon l'Africain, n'était autre que le propre père de Yahia bel Omar et du fameux Abou-Bekr ou Boubakar, se serait rendu jusque dans le Mandingues et aurait réussi à enrôler dans la religion nouvelle le roi de ce pays (L'Empire du Mali), nommé Baramendana, auquel il aurait fait entreprendre le pèlerinage de La Mecque. Il ne faudrait pas exagérer pourtant l'importance de ces conversions opérées par les Almoravides, ni avancer, comme on l'a fait parfois, que ceux-ci gagnèrent tout le Soudan à l'islam. En réalité, les conversions ne semblent avoir été sérieuses et durables que chez les princes et les hauts fonctionnaires et dans leur entourage immédiat : la masse du peuple, ou bien résista à l'islamisation par l'exode, comme nous l'avons vu en ce qui concerne les Sérères et les Peuls, ou bien ne se laissa pas entamer par les efforts, des prédicateurs almoravides, comme ce fut le cas pour les Ouolofs et les Mandingues , ou bien n'accepta la foi nouvelle que pour l'abandonner lorsque prit fin au Soudan la puissance éphémère des disciples d'Abdallah ben Yassine. Ce n'est guère que chez les Tekrouriens ou Toucouleurs, chez les Songhaï et, chose étrange, chez les Sarakollé et les Dioula issus d'eux, que l'islam pénétra largement et fortement.

Les Sarakollé, en effet, finirent, contraints et forcés, par accepter après leur défaite la religion de leurs vainqueurs, mais ils devinrent ensuite les meilleurs musulmans de tout le Soudan occidental, transportant avec eux la foi musulmane dans les nombreuses régions du Sénégal, du Sahel et du Massina où ils s'établirent après la chute de Ghâna et la dispersion de ses habitants, et la passant à cette curieuse population, commerçante et entreprenante, des Dioula, qui passe pour être issue des Sarakollé de Dia ou Diakha (Massina) et de Djenné et qui, à son tour, propagea l'islam jusqu'à la lisière septentrionale de la grande forêt équatoriale. Dès la fin du XIe siècle, moins de cinquante ans après les premières prédications d'Abdallah et de ses missionnaires, l'islam avait atteint quelques points situés à moins de 400 kilomètres de la côte du Golfe de Guinée; des Dioula musulmans, attirés dans cette région par les noix de cola qu'elle produit en abondance, avaient fondé Bégho près du coude que forme la Volta Noire à hauteur du 8e parallèle, non loin du village moderne de Banda ou Fougoula (Ghana actuel). Cette ville ne devait pas tarder à devenir une très importante métropole et un centre actif de commerce et de propagande islamique; vers la fin du XIVe ou le début du XVe siècle, ses habitants se dispersèrent et allèrent s'installer plus à l'ouest, près de modestes hameaux tels que Gotogo (Bondoukou) et Kpon (Kong), situés dans l'actuelle Côte d'Ivoire, les transformant rapidement en véritables villes, s'y enrichissant dans le commerce des colas, des boeufs, des tissus et de la poudre d'or et y introduisant des habitudes de recherche intellectuelle qui ont subsisté jusqu'à notre époque.

Mais il nous faut revenir à l'histoire de la lutte entre les Almoravides et Ghâna. Aboubekr ben Omar avait, en 1057, succédé comme chef des premiers à son frère Yahia et avait commencé la conquête du sud marocain avec l'aide d'Abdallah ben Yassine. La mort de celui-ci, survenue en 1058 ou 1059, fit d'Aboubekr le maître unique et incontesté des Almoravides. L'année suivante, laissant son cousin Youssof ben Tachfin achever la conquête du Maroc et fonder Marrakech, Aboubekr se porta du côté de l'Adrar et du Tagant, où les tribus berbères se faisaient la guerre les unes aux autres et, après avoir ramené la paix parmi elles et raffermi sa propre autorité, il donna tous ses efforts à la destruction de l'empire de Ghâna. Celui-ci cependant ne succomba qu'au bout d'une quinzaine d'années, après une résistance acharnée au cours de laquelle les troupes berbères essuyèrent plus d'une défaite. Enfin, en 1076, les Almoravides s'emparaient, de la vieille cité soudanaise et passaient au fil de l'épée tous les habitants qui ne voulurent pas embrasser l'islam. Onze ans plus tard, en 1087, peu de  temps après que la prise de Séville par Youssof ben Tachfine donnait l'Espagne aux Almoravides déjà maîtres du Maroc, Aboubekr était tué dans l'Adrar, au cours d'une nouvelle révolte de ses sujets les plus directs, et la puissance de sa secte et de sa dynastie, qui venait de s'affirmer d'une manière si éclatante dans le Nord de l'Afrique et le Sud de l'Europe, disparaissait du pays même qui avait constitué son point de départ.

Les royaumes de Diara et de Sosso

Toutefois le Ghâna ne devait plus retrouver sa grandeur passée. Plusieurs provinces de l'empire avait profité de la lutte entre les Sissé et les Almoravides pour s'affranchir de la tutelle du tounka ou maga suprême et étaient devenues des royaumes indépendants, dont chacun eut son propre tounka ou maga, appartenant à quelqu'une des grandes familles sarakollé chez lesquelles les souverains de Ghâna choisissaient les gouverneurs des districts éloignés de l'empire.

C'est ainsi que la dynastie sarakollé des Niakhaté avait fondé à Diâra, près et au Nord-Est de la localité moderne de Nioro, le royaume du Kaniaga ou des mana ou manamagan, qui ne tarda pas à se rendre maître du Tekrour et à englober, à peu près tout ce qui constitue le Sahel soudanais, c'est-à-dire la majeure partie des anciennes dépendances méridionales du Ghâna. Vers 1270, la dynastie des Diawara remplaça à Diâtra celle des Niakhaté; elle .se maintint au pouvoir jusqu'en 1754, époque de la conquête du Kaniaga par les Bambara-Massassi. Dans l'intervalle, l'autorité des Diawara avait d'ailleurs perdu de sa .vigueur et avait été sapée peu à peu par la puissance sans cesse croissante de l'empire mandingue (Mali), dont le Kaniaga était devenu vassal vers la fin du XIIIe siècle ou le début du XIVe, pour changer ensuite de suzerain et être incorporé, au XVIe siècle, à l'empire songhaï de Gao.

Plus à l'Est, à mi-chemin environ entre Goumbou et Bamako; se trouve un village du nom de Sosso qui eut, lui aussi, son heure de célébrité. Le roi de Ghâna y entretenait un gouverneur pris dans la famille sarakollé des Diarisso, lequel, vers la fin du Xle siècle, fit comme le gouverneur Niakhaté de Diâra à la même époque et se rendit indépendant. Un siècle après, vers 1180, une autre famille sarakollé, celle des Kannté, appartenant, dit-on, à la caste des forgerons, renversa la dynastie des Diarisso et s'installa à sa place. Sous la direction de Soumangourou Kannté, qui passait pour un habile général et un non moins habile sorcier, le royaume de Sosso prit une extension considérable. En 1203, Soumangourou s'empara de Ghâna et réduisit à l'état de vassal le descendant des anciens suzerains de Sosso. Cette action d'éclat a été rapportée par lbn Khaldoun, dont le texte, mal interprété, a fait accréditer longtemps la légende de la destruction de Ghâna par les Sosso ou Soussou de la Guinée, laquelle légende n'est qu'une erreur basée sur une simple et fortuite homonymie. Ensuite, le même prince tourna ses armes vers le Sud contre le Manding ou Mali, qu'il annexa à peu près au moment où des musulmans émigrés de Ghâna fondaient Oualata ou lui insufflaient une vie nouvelle, c'est-à-dire vers 1224. Mais cette annexion ne devait être que momentanée et sonner le glas de la puissance et de la vie même de Soumangourou. Bientôt, en effet, un roi jeune et actif, le fameux Soundiata, succédait au Manding à ses frères incompétants et, vers 1235, il battait et tuait Soumangourou non loin de Koulikoro, annexait à son tour à son État celui de Sosso et poussait jusqu'à Ghâna, qu'il détruisait de fond en comble en 1240. (Delafosse).

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