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Histoire de la France
La France capétienne
Malgré les efforts énergiques de plusieurs des princes Carolingiens, Louis III et Carloman, Charles III, Louis IV et Lothaire, leur dynastie dut s'effacer, à la fin du IXe siècle,  au profit de la maison, peut-être saxonne, de Robert le Fort, chargée de gouverner le pays entre Seine et Loire qu'on appelait spécialement le duché de France, et qui s'était signalée par ses exploits contre les Vikings. Entre 887 et 987, elle s'essaya en quelque sorte sur le trône à trois reprises différentes (Eudes, Robert, son frère, Raoul, gendre de Robert), et s'y assit définitivement avec Hugues Capet en 987, dont le nom servira à former celui de la nouvelle dynastie, celle des Capétiens.

Cette famille se divise en trois branches : les Capétiens proprement dits, dont il sera question dans cette page, au nombre de quinze rois, qui se sont succédé de 987 à 1328; les Valois, au nombre de treize, de 1328 à 1588, et les Bourbons, au nombre  de neuf, en France, de 1588 jusqu'à 1848.

Humble et précaire pourtant à l'origine, presque annulée par l'aristocratie féodale, la royauté capétienne grandit à partir de Louis VI avec l'appui de l'Église, une fois de plus l'alliée du plus fort, et des villes, qui, de leur côté, imposaient aux seigneurs des chartes de commune. Sous les Capétiens directs, 987-1328, les efforts de Philippe-Auguste, de saint Louis, de Philippe le Bel, enlevèrent à Ia féodalité, malgré l'appui qu'elle trouvait dans les rois d'Angleterre, une grande partie de ses domaines et de son pouvoir.

Le parlement et les états généraux prirent naissance quand saint Louis et surtout Philippe le Bel eurent joint aux barons et aux prélats, seuls convoqués jusqu'alors, des légistes pour conduire les procès, et bientôt, pour diriger au nom du roi la guerre entreprise contre la féodalité. La décadence rapide des communes n'affaiblit pas la bourgeoisie, qui siégea sous le nom de tiers état dans la première assemblée des états généraux, 1302. 

En même temps que la France se construisait progressivement, elle menait prenait, à l'extérieur, une part immense au grand mouvement des croisades (1095-1270), destinées à enlever aux Musulmans le contrôle de la Palestine, et qui établirent la puissance franque à l'Est de la Méditerranée.

L'université de Paris était à la tête du mouvement intellectuel de l'époque, et la voix de ses docteurs faisait autorité dans l'Église. 
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Le système féodal

C'est de l'écroulement de l'Empire de Charlemagne, sous son propre poids et dans l'horreur des anarchies, des guerres intestines et des invasions, que se dégagea le système féodal. Les origines en remontent à l'époque mérovingienne et même à Rome. Il va devenir le régime normal de la plus grande partie de l'Europe jusqu'à la fin du Moyen âge.

La féodalité, c'est le système des fiefs. Le fief est par définition la concession qu'un noble a reçue ou dont il s'est emparé par la force, à charge par lui de remplir certaines obligations. Toute société féodale est terrienne, aristocratique et militaire, que ce soit en France ou au Japon, en Allemagne ou au Mexique précolombien.

Origines du système. 
Le régime féodal a été le plus souvent favorisé par une contrainte extérieure, dans le contexte d'un pouvoir central faible. Ce fut le cas de la France carolingienne où le roi, sans administration hiérarchisée et sans armée, était sans autorité et sans force, incapable de défendre son royaume envahi de toutes parts, Sarrasins dans le Midi, Magyars à l'Est, Vikings aux bords de la mer et des rivières navigables. On sacrifia la liberté au nom de la sécurité.

C'est en vertu d'une convention, d'un véritable contrat, qu'en échange de leur
liberté les populations reconnaissent comme chef et seigneur le riche propriétaire ou le guerrier des environs qui leur devra désormais sa protection. 

Ces seigneurs, les comtes, deviennent à leur tour les vassaux de seigneurs ou suzerains plus puissants, les ducs, qui, eux aussi, leur vont devoir, en retour de leur allégeance, secours et aide en cap de besoin. Le roi, tout en haut, est le suzerain des suzerains. Ducs et comtes lui ont fait hommage; ils ont juré à genoux d'être ses hommes, c'est-à-dire ses serviteurs, de le suivre à la guerre.

Ainsi la vassalité consiste dans la subordination, prétendument volontaire mais entièrement réglée par la loi du plus fort, d'un homme à un autre, le premier s'engageant à obéir et le second à protéger. C'est l'ancienne clientèle romaine, mais comme collée et incorporée à la terre.

A l'origine, le comte ne devient titulaire de son fief qu'en vertu de la nomination royale. Bientôt le roi reconnaît l'hérédité des fiefs, en ligne directe et en ligne collatérale. Il a résigné sa souveraineté. Autant de comtes, autant de petits rois. Des évêques et des abbés exercent, eux aussi, des droits de souveraineté; ils prennent des titres féodaux, ont à leur service des bandes d'hommes d'armes. On leur voit aussi souvent le casque en tête que la mitre.

Caractère général du système.
A sa naissance, la féodalité pourrait encore se présenter comme un moindre mal. Le château du seigneur, sur la hauteur, c'est la forteresse qui veille sur la vallée, l'asile en cas de danger. Cependant, cette protection assurée au faible par le plus fort, - au paysan, serf ou libre, et au citadin, ouvrier ou bourgeois, par le noble et par l'homme d'Eglise, - se paie cher : le vassal roturier doit à son seigneur le service militaire, une partie de son travail, des subsides en nature (produits de la terre) et en argent.

Les serfs sont « attachés à la glèbe », au domaine qu'ils cultivent, moyennant redevance au seigneur, seul propriétaire de la terre; ils sont vendus avec la terre comme les esclaves autrefois et comme du bétail. Les tenanciers libres ou demi-libres sont lourdement accablés de charges, de servitudes, de prestations, de dîmes, de cens, de tributs de toutes sortes; ils sont, comme on dit, taillables et corvéables à merci.

Les villes, même les plus importantes, les plus riches, Reims, Tours, Bordeaux, Toulouse, ne s'appartiennent plus. Propriétés féodales d'un seigneur ou de plusieurs, clercs ou laïques, évêques et abbés ou comtes, elles peuvent, elles aussi, être données, vendues, transmises par héritage comme un champ, un troupeau.

La communauté religieuse. 
L'Eglise organisée domina l'Etat morcelé; elle fut la garante morale de cette organisation hierarchique et oppressive. La foi était simple et profonde; jusqu'au XIe siècle, l'esprit de doute ne se fût pas risqué à l'effleurer. Comme la première croisade, l'art de la cathédrale ne pouvait jaillir que d'un peuple de croyants, de même que l'acceptation des pires injustices. La certitude d'une vie future égale celle de la réalité du monde extérieur. Qui ne voit pas l'emprise du religieux partout présente n'entend rien au Moyen âge.

La France à l'évènement de la dynastie capétienne

Voici comment on peut se figurer la France des temps féodaux à l'avènement des Capétiens : Au sommet le roi, jouissant en théorie d'un pouvoir absolu et héréditaire, revêtu par l'Église d'un caractère quasi divin, qui a droit de vie et de mort sur tous ses sujets, mais qui ne possède en propre qu'un domaine de beaucoup moins étendu et moins riche que celui de ses grands vassaux; pauvre et faible, il n'est encore qu'un symbole.

Au-dessous du roi se sont élevés les véritables maîtres de la France. Ce sont les grandes seigneuries féodales. Elles jouissent de tous les droits régaliens, y compris le droit de guerre privée, et sont de véritables États (Normandie, Bourgogne, Aquitaine, Flandre, Champagne, Bretagne, Anjou, Provence, Dauphiné). 

Elles ont coexisté d'abord avec les petites seigneuries dont les chefs n'ont que des pouvoirs limites. Puis, de gré ou de force, pendant le Xe siècle, à l'apogée de la féodalité, elles les ont rangées autour d'elles ainsi que les terres roturières et les fiefs qui ne participent pas à la souveraineté. Les nobles ne sont justiciables que de la Haute-Cour féodale qui est présidée par le roi.

Les châteaux où résidaient les seigneurs étaient de véritables forteresses, entourées de larges et profonds fossés pleins d'eau. Quelques-uns existent encore. Des autres, il ne reste que les ruines, souvent magnifiques, ou seulement les fondations. Le plus grand nombre des châteaux ont été rasés par, les rois, vainqueurs de vassaux rebelles, ou détruits par le peuple soulevé contre des vexations et tyrannies devenues intolérables.

Cette noblesse féodale, qui s'est formée au déclin de la monarchie carolingienne, a tout à la fois le droit et le devoir de porter les armes; Charlemagne avait fait du service à cheval la charge obligatoire et exclusive des propriétaires fonciers de l'Empire. Les seigneurs sont soldats, chevaliers, non pas comme sujets, mais à cause de la terre qu'ils possèdent.

Pour être noble, il faut d'abord posséder une terre franche, puis se vouer au métier des armes en se faisant recevoir chevalier.

La chevalerie a son code. Tout chevalier doit protection aux femmes, aux enfants, aux faibles. Quiconque manque à la foi jurée est déclaré « félon ».

Les seigneurs, quand ils ne se font pas la guerre, vont à la chasse, luttent dans les tournois, qui sont des combats singuliers à cheval, donnent des fêtes où les trouvères chantent de belles histoires.

L'Eglise a, dans la société féodale, une place à part. Au milieu de l'anarchie du IXe et du Xe siècle, elle s'est revendiquée la protectrice de ceux qui lui ont apporté leurs personnes et leurs biens et qui ne tarderont pas à préférer ses tribunaux, « cours de chrétienté » ou « officialités », à la justice séculière. Vers le milieu du XIe siècle, chaque diocèse est le centre d'une association ou ligue de paix. L'évêque a institué, pendant plusieurs jours de la semaine, la trêve Dieu où la suspension des guerres privées, à peu près chroniques entre les féodaux, est obligatoire. Evêchés et abbayes entretiennent des hôpitaux, distribuent des aumônes, rivalisent dans la construction des cathédrales et des églises.

Enfin, à la base, se trouvent la classe roturière et la classe servile. La première est composée de tous les hommes de condition libre qui ne font pas partie de la classe noble ou qui ont été affranchis du servage; pourtant, ils dépendent presque tous du seigneur, quand ils habitent la campagne; dans les villes ou communes, ils n'ont leurs droits civils garantis que dans la limite des chartes que le seigneur leur a octroyées.

La classe servile, très nombreuse au début de la féodalité, comprend la plus grande partie des ouvriers agricoles et des artisans, serfs-paysans et serfs-domestiques.

L'oeuvre politique des Capétiens

Le roi contre les féodaux. 
A l'avènement de la dynastie capétienne, le domaine royal s'étendait exactement des environs d'Orléans à ceux de Compiègne, de la Loire à l'Oise, mais, il comprenait Paris.

C'est de cette étroite bande de terre que partent les Capétiens pour reprendre le royaume sur les seigneurs féodaux entre les mains de qui il est tombé, en morceaux, sous les faibles successeurs de Charlemagne; pour refaire l'ancienne Gaule sous le nom de France.

Entreprise très dure, de longue haleine, car, non seulement le domaine royal a été réduit presque à néant, mais le roi n'est même pas le seul maître des parties du territoire qui lui sont soumises directement. Il ne peut sortir de Paris sans se heurter à de petites seigneuries qui s'intercalent dans ses terres. « Pour passer il fallait se battre-». Le donjon de Montlhéry, repaire de pillards, ne laissait pas de repos au roi quand il chevauchait vers Orléans.

Corruption du système féodal. 
A ne regarder que du dehors le monde féodal, tout y semble minutieusement prévu et ordonné. Chaque seigneur est lié par serment à un seigneur supérieur ou suzerain, et les grands feudataires au roi, le premier des barons; le serment de fidélité est prêté sur l'Évangile; toute violation du pacte ainsi juré est un crime.

Or, le fait diffère profondément du droit (Luchaire). Le serment n'est respecté, les obligations ne sont remplies qu'envers un suzerain assez puissant pour imposer l'obéissance. Le lien de vassalité est d'autant plus faible qu'on s'élève dans la hiérarchie. En bas comme en haut, on le voit sans cesse rompu, soit par le vassal, soit par le seigneur.

Enfin, - et cela est plus grave encore, - la protection des seigneurs s'est vite changée en tyrannie. La fiscalité est devenue intolérable; la justice elle-même n'est plus qu'un instrument d'extorsion; une guerre perpétuelle sévit entre les maîtres du sol, guerre qui consiste surtout, pour les ducs, comtes et barons, à piller les fiefs du voisin et à massacrer ses vassaux dans leurs villages incendiés.

La misère universelle était telle, que l'annonce de la fin du monde pour l'an 1000 de l'Incarnation fut accueillie comme l'aube de la délivrance.

Cependant cette prompte corruption du système féodal et tant de souffrances vont servir bientôt le dessein capétien de restaurer le royaume. En effet, l'excès des maux va tourner vers le roi les yeux des opprimés, campagnards et citadins. Le roi va avoir pour allié contre la féodalité qui l'étouffe le peuple qu'elle pressure.

Les Capets passaient généralement pour une famille plébéienne. Ils n'eurent rien de militaire jusqu'au XIIe siècle.

Les premiers Capétiens 

Hugues Capet, qui n'osa pas porter la couronne, et ses premiers successeurs, tout juste rois de Paris et d'Orléans, - Robert le Pieux, Henri Ier et Philippe Ier, eurent assez à faire à établir solidement le principe de l'hérédité monarchique, en s'associant d'avance leur fils aîné, et à donner un peu d'air à leur capitale.

Ainsi, le roi Robert réussit à tirer profit de la succession devenue vacante du duc de Bourgogne pour mettre la main, après dix ans de guerre, sur Auxerre, Sens et Dijon.

Henri Ier, en osant réclamer la Lorraine « détenue par la perfidie de l'Empereur », interrompit la prescription contre l'Allemagne, qui avait conquis toute la Lotharingie sur les rois de la dynastie carolingienne.

Philippe Ier enfin inaugura la politique qui consistait à guetter les héritages contestés et les embarras d'argent des seigneurs pour faire rentrer dans le domaine royal, soit de force, soit par des achats en espèces sonnantes, des parcelles du territoire. Il acquit ainsi Corbie, le Vexin, le Gâtinais et Bourges.

Les Croisades, qui commencent sous le règne de Henri Ier, vont contribuer à l'affaiblissement de la féodalité. Les seigneurs contractèrent de lourdes dettes pour équiper leurs troupes, vendirent leurs biens parcelle par parcelle; beaucoup périrent en Palestine.
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Les Croisades 

On a appelé Croisades à ces grandes expéditions militaires menées par les Chrétiens, dans le but de chasser les Musulmans du sol de la Palestine. On compte huit expéditions de ce genre, de 1096 à 1291. 

• La première dura quatre ans; ses principaux chefs furent Godefroy de Bouillon, duc de Lorraine, et Raymond, comte de Toulouse; les principaux résultats furent la prise de Nicée, la victoire de Dorylée et la prise de Jérusalem

• La deuxième, commandée par Louis VII, roi de France, et Conrad, empereur d'Allemagne, fut sans résultat pour les Croisés. 

• La troisième était commandée par Philippe-Auguste, Richard Coeur de Lion et Frédéric Barberousse. Cette croisade, rendue infructueuse par la division des chefs, n'aboutit qu'à la prise de l'île de Chypre et de Saint-Jean d'Acre

• La quatrième, commandée par Baudoin IX, comte de Flandre, se termina par la fondation de l'empire latin de Constantinople.

• La cinquième, conduite par Jean Brienne, roi de Jérusalem, et André Il, roi de Hongrie, se termina par une paix humiliante avec les Musulmans. 
La sixième, commandée par Frédéric II, empereur d'Allemagne, aboutit à la conquête de Jérusalem, cédée sans combat par le sultan Mélédin.

• La septième eut pour chef saint Louis. La prise de Damiette rendue plus tard, la défaite de la Massoure, la captivité du roi et un traité de paix terminèrent cette croisade.

• La huitième, conduite encore par saint Louis, accompagné par Édouard d'Angleterre, fut dirigée contre Tunis. A peine arrivé devant les murs de cette ville, Louis IX fut enlevé par une maladie contagieuse. Charles d'Anjou, son frère, qui était venu le rejoindre, se mit à la tête des troupes, remporta quelques avantages et revint en France après avoir forcé Mohammed à payer les frais de la guerre. Cette croisade fut la dernière.

Par extension on a nommé croisades l'expédition contre les Albigeois et les expéditions en Espagne pour combattre les Maures de ce pays. (LC).

Le mouvement des Communes. 
Avec Louis VI, dit le Gros (1108-1137), la royauté est tout à fait réveillée. Elle entre résolument en lutte contre les petits seigneurs pillards qui pullulent dans les vallées de la Seine, de l'Aisne et de l'Oise. A la fin du règne, après trente-quatre années de guerres incessantes, l'Ile-de-France est délivrée de ses tyranneaux. Le roi est seul maître de son domaine.

Le grand mouvement pour l'affranchissement des villes commença sous Louis VI.

Ce mouvement fut général. Si l'émancipation fut plus prompte dans le Midi que dans le reste du royaume, c'est que la conquête franque n'y avait jamais pénétré à fond et que l'autorité des évêques, sinon des seigneurs, y avait conservé quelque chose de son caractère de magistrature. Au contraire, à mesure qu'on se rapprochait du Nord ou de l'Est, on trouvait les traces de l'invasion germanique plus profondément marquées et le pouvoir féodal plus fort.

La conjuration, qui donna naissance à la commune affranchie, se produisit presque partout de la même manière. Les habitants des communes, - ou, pour mieux dire, d'un mot plus général et plus exact, des bourgeoisies, - se réunissaient et prêtaient le serment de se soutenir les uns les autres et de ne plus permettre ni aux seigneurs ni aux évêques de les traiter désormais en serfs. C'était ce qu'on appelait jurer la commune.

Tous ceux qui s'étaient liés ainsi prenaient dès lors le nom de communiers ou de jurés; ils constituaient, parfois dans le tumulte, un gouvernement électif, un corps municipal d'échevins présidé par un maire ou, dans le Midi, par un consul.

Tantôt les seigneurs et les évêques consentirent de bon gré au rachat des franchises communales; tantôt il fallut leur arracher de force la reconnaissance des libertés réclamées.

La « République », une fois constituée, s'attribuait un pouvoir presque régalien. Le corps municipal administre la cité; il a le droit de paix et de guerre comme un baron féodal; il a une milice, un trésor, il lève l'impôt.

Toutefois les chartes communales diffèrent fort selon les régions. Elles sont de beaucoup plus larges dans le Midi et dans le Nord, où ne s'étendent pas encore les domaines du roi, que dans le Centre et à l'Ouest. Là, le roi se réserve la justice, le commandement des milices, la perception de l'impôt. Les cités de l'Est font encore partie du Saint-Empire.

Ces  « bourgeoisies » intelligentes, laborieuses, intrépides, vont être le berceau
du Tiers Etat. On leur a reproché de tourner parfois à l'oligarchie et de chercher à rendre héréditaires des charges électives.

Des politiques ont attribué à Louis VI le mérite de l'affranchissement des villes (Préambule de la Charte de 1814). C'est fausser l'histoire. En réalité, Louis VI mit du temps à reconnaître dans les bourgeoisies des alliées; il s'opposa constamment à la constitutution en communes des villes de son domaine.

Son fils Louis VII tout en continuant à combattre la liberté chez lui, l'appuya résolument quand elle se dressait contre les grands vassaux. Le mouvement des communes ne fut favorisé dans tous les domaines royaux comme particuliers que sous Philippe Auguste.

Le mariage et le divorce de Louis VII. 
Louis VII avait seize ans quand il succéda à son père. Son domaine propre s'étendait du Vermandois au Bourbonnais, sur les vallées moyennes de la Seine et de la Loire. De sa femme Eléonore, fille unique du duc d'Aquitaine, il avait reçu en dot un fief immense, presque toute la France occidentale, de la basse Loire aux Pyrénées : Poitou, Périgord, Auvergne, Guyenne et Gascogne.

La maison des Capétiens ne reconnaissait pas le droit successoral des femmes. Partout ailleurs, elles héritaient (en Angleterre, en Castille, dans les grands fiefs, Flandres, Aquitaine, Bourgogne, à Jérusalem). Qui les épousait, épousait de vastes contrées, royaumes, duchés, comtés, avec leurs populations, comme une femme riche apportera plus tard à son mari ses propriétés et ses maisons avec leurs meubles. Mais qui divorçait, avant d'avoir eu un fils, perdait du coup les provinces dotales et, si la femme se remariait, ses terres et ses vassaux passaient à son second mari.

Ce fut le cas d'Eléonore d'Aquitaine. Avant accompagné le roi à la deuxième Croisade, elle le prit en haine, tandis qu'il la suspectait d'infidélité et lui reprochait de n'avoir pas encore donné d'héritier mâle à la dynastie. Au retour, elle demanda le divorce sous prétexte de parenté. Le roi ayant consenti et le divorce avant été prononcé par une réunion d'ecclésiastiques, elle reprit ses terres et les porta en dot à Henri Plantagenet, petit-fils de Guillaume le Conquérant par sa mère Mathilde. Henri possédait déjà le comté d'Anjou, le duché de Normandie, la Touraine et le Maine. Ce plus riche feudataire de France devint roi d'Angleterre à la mort de son cousin Etienne de Blois.

Vers la fin du XIIe siècle, le roi d'Angleterre tenait donc en fief près de la moitié de la France d'aujourd'hui. Une femme orgueilleuse, violente, portait successivement la prépondérance de l'Occident au roi de France et au roi d'Angleterre.

Suger
Pendant la deuxième Croisade, le royaume fut très sagement administré par Suger, abbé de Saint-Denis et ancien précepteur de Louis VII, moine malingre, subtil et éloquent. Le roi et le peuple lui décernèrent le titre de père de la patrie.

S'il eût vécu, il aurait sans doute empêché le fatal divorce, cause immédiate de la formation du royaume angevin et cause lointaine de la guerre de Cent Ans.

Philippe Auguste (1100-1123).
Bien que le domaine royal eût cessé de progresser sous Louis VII, la royauté s'était fortifiée, ce qui n'était pas moins important, dans ses rapports avec la grande comme avec la petite féodalité. La marche ascendante reprit sous Philippe Auguste.

Ce fut un grand règne; la royauté devint décidément maîtresse de la France. Victorieuse dans ses guerres contre les Plantagenet, les comtes de Flandres et l'empereur, la France passa au premier plan de l'Europe.

Guerres contre les Anglais. 
Le vaste accroissement que les Plantagenet tenaient d'Éléonore eût paru aux Capétiens une menace, alors même que l'ambition de la couronne de France ne serait pas venue aux rois d'Angleterre.

La réaction de Louis VII avait été surtout politique : ainsi il avait pris contre Henri II le parti de ses fils révoltés et de Thomas Becket, avocat devenu archevêque de Canterbury, qui revendiquait les privilèges de l'Eglise contre le roi.

Philippe Auguste engagea résolument la guerre contre Henri II et, après la mort du premier des Plantagenet contre ses fils Richard Coeur de Lion et Jean sans Terre.

Comme toutes les guerres du XIIe siècle, celle-ci fut interrompue par de nombreuses trêves, notamment pendant la troisième croisade. Philippe et Richard l'avaient entreprise ensemble, « sous la conduite du Seigneur », après s'être promis l'un à l'autre de garder « borne foi et bonne amitié » et de partager à l'amiable les conquêtes faites en Palestine. Mais ils n'étaient pas en Sicile que, déjà, ils s'étaient brouillés, Richard avant refusé, malgré ses promesses, d'épouser la soeur de Philippe.

S'étant réconciliés, ils se querellèrent à nouveau pour Chypre que Richard voulait garder. Ils n'en continuèrent pas moins leur croisade, débarquèrent en Palestine et prirent Saint-Jean d'Acre.

Le comte de Flandres étant mort au siège d'Acre, Philippe réfléchit que l'Artois et le Vermandois, qui devaient lui revenir par succession, étaient pour lui de plus d'importance que la Palestine. Il retourna donc en France, ayant juré à Richard qu'il n'abuserait pas de son absence pour lui faire tort; mais il n'était pas plutôt rentré qu'il accusa Richard, qui n'en aurait pas été incapable, d'avoir voulu le faire assassiner.

Richard, à son retour de Terre Sainte, était tombé, à la suite de surprenantes aventures, entre les mains du duc Léopold d'Autriche qui le retint prisonnier; Philippe profita de l'événement pour envahir la Normandie, puis pour traiter secrètement avec Jean sans Terre qui avait la régence, en l'absence de son frère, et se faire promettre le Vexin, Tours, Amboise et Loches.

Cependant Richard avait obtenu sa libération moyennant une forte rançon et la promesse de reconnaître l'empereur Henri VI comme suzerain à la place du roi de France. Revenu en Angleterre et avant fait la paix avec son frère, il commença par traiter avec Philippe, lui laissant une petite partie de ses conquêtes, puis
conclut contre lui un pacte avec les grands vassaux, les comtes de Flandres, de Boulogne, de Blois et de Toulouse.

Il venait de repartir en guerre quand un arbalétrier le tua, au siège de Châlus, pour venger son père et ses deux frères que Richard, selon les chroniques anglaises, aurait fait mourir de sa propre main. Jean lui ayant succédé, continua la guerre avec des alternatives de succès et de revers.

Finalement la victoire resta à Philippe-Auguste qui réunit au royaume la Normandie, le Maine, la Touraine et l'Anjou; Jean reconnut n'avoir plus dans ces belles contrées ni terres, ni hommes, ni alliés.

La bataille de Bouvines.
La trêve de 1205 dura six années. La guerre ayant repris en 1212, Jean appela à son aide l'empereur Otton et s'allia au comte de Flandres. Ferrand, qui aurait bien voulu être souverain indépendant, consentit à la suprême trahison : transporter l'hommage à l'ennemi de son seigneur.

Les barons d'Aquitaine suivirent, ainsi que toute la féodalité du Nord, et le
comte de Louvain, propre gendre du roi de France. Si la coalition des seigneurs avait triomphé, c'en était fait de l'oeuvre nationale des Capétiens.

Philippe, avec sa résolution et sa rapidité coutumières, prit l'offensive. Pendant que son fils, le prince Louis, battait Jean sans Terre à la Roche-aux-Moines, dans la vallée de la Loire, il se porta en Flandres contre les Flamands et les Allemands et remporta la célèbre victoire du pont de Bouvines (27 août 1214).

L'empereur allemand n'échappa que par la fuite; les comtes félons de Flandres et de Boulogne furent faits prisonniers.

Selon une légende, très postérieure, Philippe, au matin de la rencontre, aurait réuni ses barons fidèles et, ayant déposé sa couronne sur l'autel : 

« Je suis un homme comme vous; si vous ne m'aidiez pas à la porter, je n'en pourrais supporter le poids. »
Outre l'étendard royal, il fit déployer l'oriflamme de Saint Denis, patron de la France.
Chevaliers et soldats s'élancèrent aussitôt, poussant le cri de guerre : 
« Montjoie Saint-Denis ! »
Au retour de Philippe, « les habitants de toute classe, de tout sexe et de tout âge, raconte le chroniqueur Guillaume le Breton, accoururent de toutes parts pour assister à un si grand triomphe ». 
« Les paysans et les moissonneurs interrompaient leurs travaux, suspendant à leur cou leurs faux et leurs hoyaux. » 

Puis, « les bourgeois parisiens, et pardessus tout la multitude des étudiants, le clergé et le peuple allèrent au-devant du roi et chantaient des hymnes et des cantiques. Durant sept nuits ils illuminèrent de sorte qu'on y voyait comme en plein jour. »

L'apogée des Capétiens 

La royauté avait triomphé à la fois de l'Allemagne, de l'Angleterre et de la féodalité. L'empereur Otton, s'étant enfui jusqu'à Cologne, fut déposé et remplacé par l'empereur Frédéric de Hohenstaufen qui commença son règne sous la protection, hautement invoquée, du roi de France et du pape. Les barons anglais firent signer à Jean sans Terre vaincu l'acte célèbre de la Grande Charte qui maintenait les privilèges du clergé, confirmait les droits de la noblesse et sanctionnait ceux des bourgs et des villes, surtout de Londres.

En France, le petit roi de Paris et d'Orléans était devenu le plus puissant seigneur d'un pays qui commençait à s'unifier. Du moins, le domaine royal n'étouffait plus entre les domaines féodaux. Le patrimoine capétien s'était accru de l'Artois, de l'Amiénois, du Valois, du Vermandois, de la Normandie, du Maine, de l'Anjou, de la Touraine, d'un vaste territoire en Aquitaine (Saintonge et Poitou).

En outre, la Flandre et l'Auvergne étaient maintenant des fiefs assujettis; les hauts barons acceptaient la législation royale; la petite féodalité de l'ancien domaine s'était entièrement soumise; la justice d'Église se subordonnait à celle du roi; la bourgeoisie était associée au gouvernement; les affranchissements de serfs par les seigneurs ecclésiastiques et laïques encouragés, «attendu que c'est faire un acte de piété que de délivrer du joug de la servitude l'homme formé à l'image de Dieu ». Libération de 300 serfs à l'abbaye de Saint-Aignan d'Orléans, texte cité par Luchaire). La création des communes fut multipliée jusque dans le domaine particulier du roi, avec des chartes étendues qui donnaient aux « bourgeoisies » le droit d'élire leurs maires et de faire justice elles-mêmes. La France est fondée.

Louis VIII.
Le fils de Philippe-Auguste, Louis VIII, ne régna que trois ans. Son père, depuis dix ans, l'avait associé à son gouvernement.

Son règne, si court qu'il ait été, fut très plein (1223-1226). Il étendit l'influence française en Flandres et, profitant de l'anarchie qui désolait le Poitou, réunit au royaume le pays entre la Loire et la Garonne, avec La Rochelle. Il mourut brusquement comme il entreprenait la conquête du Languedoc. Cette riche contrée était en proie à une atroce guerre, à la fois civile et religieuse, qui dura vingt ans.

Les Albigeois ou Cathares professaient un christianisme très mêlé d'éléments d'origine persane. Le pape Innocent III prêcha contre eux une croisade qui fut menée avec une sauvagerie extrême par Simon de Montfort. Cette guerre du Nord contre le Midi se prolongea sous la minorité de Louis IX et la régence de sa mère, Blanche de Castille.

Au traité de Paris, le comte de Toulouse céda la Haute-Provence (avec Avignon) au pape et confirma à la France le Bas-Languedoc.
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La guerre des Albigeois

On donnait le nom d'Albigeois à  sectaires des XIIe et XIIIe siècles, qui abandonnèrent l'Eglise romaine et s'appelèrent eux-mêmes Cathares ou les Purs. Leur nom d'Albigeois vient de ce que les premiers Croisés attaquèrent le vicomte d'Albi, avant de réduire les autres villes, où ces hérétiques étaient en grand nombre. Les Albigeois étaient répandus taus tout le Languedoc; on les perasécuta d'abord comme Manichéens (1163); ils se révoltèrent. 

Le pape Alexandre Ill autorisa une croisade contre les sectaires de Provence (1179) et le légat Henri, abbé de Clairvaux, porta partout le fer et le feu. Un autre légat, Pierre de Castelnau, encore plus violent, fut assassiné par un gentilhomme de Beaucaire qu'il avait offensé (1208). Aussitôt le pape Innocent III ordonna une nouvelle croisade. 500,000 hommes, qui répondirent à son appel, se placèrent sous les ordres de Simon de Montfort. Toute la France du Nord se précipita sur la France du Midi. Le comte de Toulouse se soumit, et l'armée des Croisés se porta contre le vaillant Raymond Roger, vicomte d'Albi et de Béziers, dont les domaines furent donnés à Simon de Montfort. A l'incendie de Béziers (1209), le légat fit égorger amis et ennemis, en disant : 

« Tuez tout; Dieu reconnaîtra les siens". 
A Minerbe, il fit bréler vifs 150 Albigeois, et à Lavaur, il fit torturer les femmes. Après avoir tout exterminé dans le pays d'Albi, les Croisés se tournèrent du côté de Toulouse qui leur offrait une riche proie. Simon fut tué au siège de cette ville (1218).

Le comte Raymond reprit un instant l'offensive, et son fils Raymond VII reconquit ses états. Il fallut l'intervention des rois Louis VIII et Louis IX pour le réduire à l'obéissance. Il dut abdiquer, en 1229, et livrer ses sujets au tribunal de l'inquisition qui poursuivit les Cathares pendant plus d'un siècle. (Trt).

L'Eglise primitive avait été très tolérante, fidèle à la parole de saint Paul « Mes frères, si quelqu'un vient à tomber dans quelque faute, redressez-le avec un esprit de douceur-». L'Eglise devint intolérante quand le christianisme devint religion d'Etat. Le pape établit un tribunal spécialement chargé de rechercher les hérétiques. Les sentences de ce tribunal entraînaient les peines les plus dures confiscation des biens, prison perpétuelle, mort sur le bûcher. On l'appelait l'Inquisition. Le premier tribunal d'Inquisition fonctionna dans la France du Midi, à l'occasion de la guerre des Albigeois.

Blanche de Castille. 
A la mort de Louis VIII, féodaux et Anglais pensèrent profiter du règne d'une femme et d'un enfant pour reprendre à la royauté capétienne quelques-unes de ses conquêtes.
Blanche de Castille, conseillée par les vieux serviteurs de Philippe-Auguste, déjoua les intrigues, et, quand il le fallut, se mit comme un homme à la tête d'une armée. Comme elle avait su gagner les bonnes grâces du pape, Grégoire IX défendit aux grands « d'ébranler par leurs discordes un royaume de bonté ».

Le comte Thibaut de Champagne, Pierre Mauclerc, qui avait la garde de la Bretagne pour son fils mineur, le comte de la Marche, les nobles bourguignons et picards, n'en formèrent pas moins des ligues, mais sans réussir cette fois à entraîner tous leurs vassaux. Le sens de la France se précisait.

L'habile et vaillante régente leur tint tête, concilia les uns, réduisit par les armes les autres qui avaient lié partie avec le nouveau roi d'Angleterre, Henri Ill; elle réunit, au royaume la riche ville d'Angers. Louis IX, majeur, continua à l'associer à son gouvernement.

Louis IX.
La reine Blanche avait sévèrement élevé son fils. Louis IX devint un dévôt intolérant. Il partit  deux fois en croisade et persécuta les Juifs. De quoi plaire assez à l''Église romaine, qui le canonisa « pour sa piété, sa charité sans bornes envers les pauvres et toute la bonté qui rayonnait de lui », et à Joinville qui, dans sa biographie de Saint Louis, l'un des premiers monuments de la prose française, le montre surtout occupé de justice : Comme Joinville lui-même intervient en faveur d'un seigneur coupable, le roi lui reproche de s'accommoder au goût « du siècle » déjà « si avide de demander » et il dit que «« nul ne peut bien gouverner sa terre, s'il ne sait aussi hardiment et aussi durement refuser qu'il sait donner ». 

Quand le puissant sire de Coucy, Enguerrand, fait pendre trois jeunes gens qui avaient chassé dans ses bois, il le fait enfermer au Louvre et sévèrement condamner, et quand le roi de Navarre, le comte des Flandres et beaucoup d'autres le viennent supplier en faveur du misérable, il s'indigne et « se lève sans leur répondre ».

Il divisa la Haute-Cour féodale en deux chambres : le grand conseil, chargé des affaires administratives, et la chambre aux plaids, chargée de rendre la justice au-dessus des prévôts et des baillis, à qui ressortissaient les causes des bourgeois et des roturiers. La Chambre aux plaids, rendue sédentaire, fut l'origine du Parlement.

L'Eglise ne le trouva pas moins ferme sur la prérogative royale. Il maintint une barrière solide entre les lois civiles du royaume «qui doivent être respectées de tous », et les lois de l'Eglise dont l'empire doit ne s'étendre que sur les consciences. S'il laissa introduire l'Inquisition, il protesta que « le temporel » des églises ne relève que du roi » et « qu'il est inouï d'entendre par le monde cette parole : 

« Donnez-moi tant ou je vous excommunie ».
Comme le haut exercé s'obstinait dans sa prétention de se soustraire à la juridiction royale et seigneuriale, il réunit à Saint-Denis (1235) une assemblée de barons qui écrivit au pape :
« Nous vous prions de faire en sorte que les droits du royaume et les nôtres soient respectés comme ils l'ont été autrefois, car nous sommes résolus, sachez-le, le roi et nous, à ne plus tolérer d'abus. » 
Il résista aux usurpations de la cour de Rome et défendit contre elle les libertés de l'Eglise de France, qu'on appellera « les libertés gallicanes » ; « toutes les libertés sont
soeurs » (Chateaubriand).

C'est ce roi édulcoré, rendant lui-même bonne justice sous un chêne, « au bois de Vincennes, après la messe », sans égards au rang et à la fortune, professant que « bataille n'est pas voie de droit » et demandant à son fils de se faire avant tout « aimer du peuple du royaume », qui est resté dans la mémoire française et qui diffère fort, comme on voit, de celui des imageries d'où le roi est absent.

Saint Louis et les Féodaux. 
Les débuts du règne de Louis IX, furent troublés par une nouvelle révolte des seigneurs.

C'étaient, au Sud, le comte de Toulouse, Raymond VII, ligué avec les rois de Navarre, de Castille et d'Aragon, dans le dessein de réunir entre ses mains le Languedoc et la Provence, qui auraient formé un royaume indépendant du Midi; à l'Ouest le comte de la Marche, avec son gendre le roi anglais Henri III, afin de reprendre les fiefs acquis par Philippe-Auguste et Louis VIII.

Louis IX vint aisément à bout du comte de Toulouse; il lui fallut deux grands combats, où il fit preuve d'une belle bravoure, au pont de Taillebourg et à Saintes, pour réduire les Poitevins (1242).

La paix de Lorris avec Raymond VII commença la réconciliation de la France du Midi avec celle du Nord. Ces terres méridionales, différentes par leur culture plus raffinée et leur langue, ont été, avec leurs rêves d'indépendance, un des principaux obstacles à l'unité française; elles seront lentes à se tourner, mais se tourneront pourtant vers la France.

Traité de Paris. 
Louis IX ne traita avec le roi d'Angleterre, après plusieurs trêves renouvelées, qu'en 1258. Il lui rendit une partie de ses conquêtes de Guyenne; en échange, Henri renonça sans réserve à la Normandie, à l'Anjou, à la Touraine, au Maine, au Poitou, et se reconnut l'homme lige du roi de France pour tout ce qu'il possédait sur le continent.

Le traité de Paris ne satisfit pas les Anglais, à cause de la vassalité acceptée; les conseils de France le trouvèrent trop favorable aux Anglais. Mais saint Louis suivait sa pensée d'établir entre les deux pays une paix d'autant plus durable qu'elle serait honorable pour chacun d'eux. 

 « Pour mettre amour, disait-il, entre nos enfants.  »
Il devint l'arbitre désigné pour toutes les querelles des États voisins.  « On voit ce qu'il eût fait s'il fût demeuré dans sa patrie au lieu de partir pour la Croisade », malgré l'avis de sa mère et de l'évêque de Paris.

Les derniers Capétiens

Le Moyen âge a réalisé son idéal en saint Louis dans le même temps que l'aube du monde moderne rayonne déjà sur ce prétendu Marc-Aurèle chrétien : il a porté des coups sensibles à la féodalité et elle a jeté sur lui son dernier éclat.

Il avait continué ses prédécesseurs sans ressembler à aucun d'eux; ses successeurs, son fils Philippe III le Hardi, son petit-fils Philippe le Bel, et les trois fils de celui-ci, Louis X, Philippe V et Charles IV, le continuèrent, sans chercher à l'imiter et sans lui ressembler davantage.

Il y a encore beaucoup d'obscurité dans l'histoire de ces derniers Capétiens et, aussi, beaucoup de pages terribles, cruelles, sombres. C'est une époque où les contrastes se multiplient.

Philippe le Hardi. 
Comme la maison de France la plus puissante des maisons royales, la tentation devait surgir de chercher des conquêtes brillantes au dehors, dans les deux péninsules d'Italie et d'Espagne.

Saint Louis avait refusé pour l'un de ses fils la Sicile que lui offrait le pape Urbain IV, ancien évêque de Verdun; il n'avait pu empêcher son frère Charles, comte d'Anjou et de Provence, d'accepter du même pontife champenois le trône de Naples, et des centaines de chevaliers d'aller batailler pour l'établissement d'une dynastie angevine dans le sud de l'Italie.

Un autre pape, Martin IV, lui aussi d'origine française, ayant déclaré déchu Pierre III d'Aragon, Philippe III accepta la couronne de ce pays.

L'échec de la malencontreuse entreprise justifia les avertissements que le jeune Philippe le Bel avait fait entendre à son père.

Philippe le Bel (1285-1314). 
Avec Philippe le Bel et ses fils, la royauté revint à la politique traditionnelle. Le Languedoc fut réuni sans résistance, à l'avènement de Philippe III, après la mort de Jeanne de Toulouse et de son mari Alphonse de Poitiers, frère cadet de saint Louis, qui ne laissaient pas de descendance directe. La Champagne retourna à la France en toute souveraineté par le mariage de la comtesse Jeanne avec Philippe le Bel.

Héritière également de Navarre, elle en apporta la couronne à son mari qui s'intitula désormais  « roi de France et de Navarre ».

Les quatre derniers Capétiens directs s'appliquèrent à réduire les deux grands fiefs, Guyenne et Flandres, qui, au sud et au nord du royaume, échappaient encore à leur autorité directe, étant possédés par le roi d'Angleterre et par un prince d'Empire.

La Guyenne fut tour à tour conquise et perdue; battu par les Flamands à Courtrai, où la cavalerie féodale fut massacrée par les milices bourgeoises, Philippe eut sa revanche à Mons-en-Puelle. Il garda Lille et Douai, acheta Valenciennes.

Il ne se contenta pas de mordre au gras gâteau des Flandres; on le vit toujours attentif aux affaires des grandes et des petites principautés qui relevaient de l'Empire et bordaient les frontières du royaume à l'Est : Brabant, Lorraine, Franche-Comté de Bourgogne, Lyon, Dauphiné.

Philippe fit reconnaître sa souveraineté à Lyon et l'étendit dans le Barrois et la région des évêchés lorrains (Toul, Metz et Verdun).

La monarchie absolue. 
Sans avoir toujours l'intention des choses qu'il a faites, Philippe le Bel travailla à la démolition du Moyen âge.

Il ne se satisfit pas d'être un suzerain dans son royaume; il voulut en être le souverain, le roi net (neto), comme disent les historiens espagnols. Nobles et roturiers, clercs et laïques, grands et petits, ne seront plus que des « sujets » égaux, devant le roi, sinon devant la loi.

II a été ainsi le véritable fondateur de la monarchie des temps modernes, monarchie absolue à une tête qui prit la place de la monarchie absolue à plusieurs têtes qu'était la féodalité, et qui dura jusqu'à la fin du XVIIIe siècle où, dans le progrès des idées et des moeurs, les abus et les vices, son principe même, la rendirent intolérable et déchaînèrent la Révolution.

Les innombrables entreprises de Philippe tendent toutes au même résultat; justes ou injustes, elles sont toujours appuyées par ses légistes, durs professionnels du droit, chevaliers du Droit, experts à tirer des textes, qu'au besoin ils falsifient, tout ce qui peut aider à fortifier l'autorité royale, à grandir l'Etat. Il fait « citer » par eux, comme de vulgaires justiciables, les grands vassaux, le roi d'Angleterre, le pape. Ils saisissent en son nom les royaumes comme les fiefs.

Comme il veut avoir une armée qui ne soit plus qu'à lui seul et comme il organise en même temps une armée administrative et une armée judiciaire, il lui faut beaucoup d'argent.

Il en prend à tout le monde: aux marchands par la maltôte, impôt sur les transactions commerciales; aux nobles (la moitié de leur vaisselle plate); à l'Eglise (taxe double ou triple sur les biens de mainmorte qui échappent au droit de mutation); aux Lombards, banquiers du Saint-Siège, qu'il dépouille; aux Juifs qu'il expulse après avoir mis en vente tout ce qu'ils possèdent. Il frappe le royaume tout entier d'un impôt proportionnel sur le capital et sur le revenu. Il altère les monnaies (on l'appela le roi faux-monnayeur).

Les Templiers étaient des moines-soldats, milice sacrée des Croisades, ambitieux, turbulents, très riches. Il les arrêta en bloc, les accusa de crimes divers, le plus souvent imaginaires, arracha au pape Clément l'abolition de leur ordre et les fit condamner à la prison perpétuelle ou au bûcher, et à la confiscation de tous leurs biens.

Philippe le Bel et Boniface VIII. 
Le différend de Philippe le Bel avec le pape Boniface VIII dura sept années
(1296-1303).

Il porta d'abord sur les subsides que le pape faisait défense aux princes séculiers, sous peine d'excommunication, de lever, sans l'autorisation pontificale, sur le clergé; puis sur le cas de l'évêque de Pamiers, accusé d'avoir tenu des propos injurieux contre le roi, que le pape revendiqua pour les tribunaux ecclésiastiques, alors que Philippe l'avait cité à comparaître devant lui.

C'était toute l'hégémonie politique et financière de Rome que le roi de France mettait en cause.

On a vu grandir depuis le XIe siècle la puissance du Saint-Siège; les Croisades l'avaient portée au plus haut. Entouré du « sacré collège » des cardinaux, le pape était vraiment le « souverain pontife ». Malgré des craquements qui s'étaient déjà fait entendre, Rome se croyait encore la maîtresse légitime de tous les royaumes. Elle prétendait en disposer à sa guise, élevant ou déposant les princes selon qu'ils lui étaient ou non dociles.

Les premiers Etats généraux. 
Le pape Boniface était hautain, âpre, obstiné. Il lança bulles sur bulles et convoqua les évêques français à Rome.

Philippe réunit à Notre-Dame de Paris les représentants des trois ordres du royaume, nobles, clercs et gens du commun (10 avril 1302). C'est la première fois que le Tiers état fut associé au clergé et à la noblesse. Les nobles et les clercs étaient assis aux côtés du roi; les gens du tiers se tenaient à genoux devant lui. Mais qu'ils fussent seulement consultés par le roi, et dans une aussi grave affaire, qui mettait aux prises la Monarchie et la Papauté, la société laïque et l'Église, c'était déjà une révolution.

L'affaire d'Anagni. 
Cette première assemblée nationale fut unanime à qualifier de «déraisonnables » et d' « outrageuses » les  « entreprises » du Saint-Siège contre le Royaume. 

« Ce royaume que les ancêtres ont formé par leur industrie et grâce à la valeur du peuple, il paraît que ce n'est pas de Dieu seul, comme on l'a toujours cru, mais du pape que nous le tenons ! »
Boniface répondit en excommuniant le roi et en déliant ses sujets de la fidélité qu'ils lui devaient. Le roi donna au juriste Guillaume de Nogaret la mission d'aller arrêter le pape au milieu de ses Etats pour le faire comparaître, à Lyon, devant un concile qui le déclarerait hérétique et simoniaque.

La première partie de cette mission «inouïe » (Renan) fut exécutée, et le pape arrêté par Nogaret dans le palais qu'il avait dans la ville d'Anagni; on a dit qu'il fut souffleté par l'un des compagnons de Nogaret, Sciarra Colonna, mais il n'en existe aucun témoignage contemporain.

Ce vieillard de quatre-vingt-six ans subit le brutal assaut avec fermeté et une dignité extrême; Nogaret ne put obtenir aucune rétractation. Sur quoi, le peuple d'Anagni se révolta contre les étrangers qui voulaient emmener le pape et le délivra. Il ne fut ramené à Rome que pour y mourir  « d'une fièvre frénétique », dit Chateaubriand).

Son successeur, Benoît XI, annula les sentences de Boniface contre Philippe, et Clément V, successeur de Benoît XI, les sentences contre Nogaret.

Défaite de la théocratie. 
Le plus magnifique poète du Moyen âge et l'un des plus grands de tous les temps, Dante, s'est élevé en des vers fameux contre l'attentat d'Anagni; 

« Je le vois entrer dans Anagni, le fleurdelisé! Je vois le Christ captif en son vicaire... »
Les violences de Philippe le Bel et de ses juristes cuirassés dans leur «différend » avec le pape Boniface furent assurément brutales; mais il était nécessaire au libre développement des sociétés modernes que fussent arrêtés les empiètements de la théocratie. La victoire ne pouvait être décisive que gagnée par la monarchie française, qui avait pris, depuis un siècle, la tête de toutes les autres en Europe. (J. Reinach).
 
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