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Le Moyen âge
Les Cagots
Cagots, Capots, Cacous, Caqueux, Gahets, Agotes. - Littré définissait les cagots comme une « peuplade des Pyrénées, affectée d'une sorte de crétinisme ». Plusieurs enquêtes approfondies sur les caractères physiques des cagots, entreprises en 1815 par Palassou et plus tard par le docteur V. de Rochas, ont démontré que les cagots ne paraissaient pas sujets à plus de maladies que les autres habitants; qu'ils ne se distinguaient d'eux, ni par des teints ou des traits différents, ni par les moeurs et le langage. Les cagots des Pyrénées, comme les capots de Guyenne et Gascogne, comme les cacous de Bretagne ou les agotes d'Espagne, ne forment et n'ont jamais formé ni une population qui se caractériserait par des traits physiques propres ou des pathologies particulières, mais une caste, qui au Moyen âge vivait à part du reste de la population ambiante, et dont l'existence s'est prolongée jusqu'au seuil de l'époque contemporaine. Dans les grandes villes de l'Ouest et du Sud de la France, dans celles du Nord de l'Espagne, les cagots, cacous ou agotes, qu'on a avec raison rapprochés des marrones ou marruci de l'Auvergne et des Alpes, et des colliberts du Bas-Poitou, étaient, comme les lépreux et les juifs, relégués et parqués dans un faubourg, espèce de ghetto d'où ils ne pouvaient sortir que marqués d'un signe infamant qui les fit reconnaître.
Les cagots du Béarn au Moyen âge.
Dans les campagnes, les cagots habitaient des huttes groupées à l'abri d'un château seigneurial ou sous la protection d'une abbaye, mais séparées du village voisin par un cours d'eau ou un bouquet de bois. Tout commerce familier avec les autres habitants leur était formellement défendu. L'accès des églises ne leur était pas interdit, mais ils y occupaient une place à part, séparés par une barrière du reste des fidèles; un bénitier particulier leur était affecté, et le pain bénit leur était jeté et non pas offert dans la corbeille. Quelquefois même ils étaient exclus de la sainte table, les prêtres refusant de les entendre en confession et de leur administrer les sacrements : enfin on les ensevelissait à part dans un coin du cimetière commun. En Béarn, les cagots portaient anciennement le nom de chrestiàas; ils n'étaient ni au-dessus, ni au-dessous des serfs, mais en dehors de toute hiérarchie sociale. Ils pouvaient être serfs, mais la servitude n'était pas la condition obligée de tous ceux de cette caste. 

Leur incapacité d'ester en justice tenait, comme les autres règlements humiliants auxquels ils étaient soumis, à l'infirmité réelle ou supposée dont ils étaient atteints. D'après un règlement de 1471, les cagots de Moumoure près Oloron ne peuvent, par exemple, aller déchaussés parmi les gens, entrer au moulin pour moudre le grain, mais ils doivent le donner à la porte au meunier; ils ne peuvent laver aux fontaines ou lavoirs qui servent aux autres habitants. Il leur est défendu de danser et de jouer avec les autres, d'avoir des bestiaux et de faire du labourage; mais ils doivent vivre de leur métier de charpentiers, comme anciennement. Enfin il leur est prescrit de demander l'aumône accoutumée en chaque maison, en reconnaissance de leur « chrestiantat » et séparation. Les cagots en Béarn étaient donc charpentiers ou bûcherons; on les obligeait à faire les cercueils et à construire les potences pour l'exécution des criminels : les cacous de Bretagne, qui étaient cordiers pour la plupart, avaient une charge analogue, celle de fournir les cordes pour le même objet. 

A la guerre, ils étaient jugés indignes de porter les armes et devaient servir de leur métier. Ils n'étaient pourtant pas serfs, puisqu'on voit, en 1379, des cagots passer de gré à gré un contrat avec le vicomte de Béarn pour la construction du château de Montaner. En 1383, ils font hommage au comte Gaston Phoebus d'une somme d'argent, tout comme des vassaux ordinaires. Marca, l'historien du Béarn, cite un document du Xe siècle, d'après le Cartulaire de Lucq, où il est question d'un chrestiàa de Préchacq; ils ne sont cependant pas mentionnés dans les plus anciens Fors de Béarn, les Fors d'Oloron et de Morlàas par exemple. C'est surtout dans la Coutume réformée de 1552 que sont prescrites les diverses mesures destinées à isoler les cagots du reste de la population; il leur est défendu de porter des armes autres que les outils dont ils ont besoin pour leurs métiers. En 1398, le vicomte Mathieu de Castelbon les avait exemptés des tailles, comme les prêtres et hospitaliers; cette exemption leur fut retirée, au XVIe siècle, pour les biens ruraux qu'ils pouvaient posséder. Ils pouvaient donc dès cette époque devenir propriétaires : on voit des cagots exercer au XVe siècle la profession de médecins ou chirurgiens (meges). Les États de Béarn, en 1460, demandaient cependant encore l'application des règlements prescrivant aux cagots de porter sur leurs vêtements l'ancienne marque de pied d'oie ou de canard qui les distinguait et qu'ils avaient abandonnée.

Prolongements modernes.
En 1610, les États réclament l'exécution des articles du For béarnais défendant aux cagots de vivre familièrement avec les habitants et leur interdisant en particulier d'exercer le métier de marchands. En 1672, les États de Navarre rappellent qu'il leur est interdit de contracter mariage en dehors de leur caste et de porter des armes. En 1683, l'intendant du Bois-Baillet demanda au roi d'affranchir, moyennant un léger tribut, les christians agots, cagots et capots, habitant dans les provinces qui composaient autrefois l'ancienne Novempopulanie. Mais, malgré les lettres patentes de Louis XIV, il fallut longtemps pour faire disparaître les préjugés contre les cagots, si profondément entrés dans les moeurs, et dont les chansons et proverbes populaires des XVIIe et XVIIIe siècles se faisaient encore l'écho railleur et méprisant. En 1767 cependant, le jurisconsulte Maria déclare que 

« presque toute la province s'est désabusée du préjugé d'après lequel on tenait les cagots pour lépreux ». 
Un cagot, Bertrand Dufresne, né à Navarrenx de Béarn, en 1736, devint même intendant général de la marine et des colonies, directeur du Trésor public (1790), et obtint le titre de conseiller d'État. En 1797, il fut élu député de Paris au conseil des Cinq-Cents, et Bonaparte, après le 18 Brumaire, l'appela au poste de directeur du Trésor public. Il ne reste plus en Béarn que des descendants de cagots, et quelques proverbes populaires rappellent seuls l'existence de cette caste de parias, si complètement isolée au Moyen âge.

Cagots de Gascogne, de Bretagne, d'Espagne, etc.
On trouve des cagots non seulement en Béarn et dans le pays basque, mais à Bayonne, où, au milieu du XIIIe siècle, ils sont réunis en communautés comme les lépreux, et où, à la fin du XVIIe siècle, ils sont encore relégués dans un coin de l'église, à part du reste des fidèles. On trouve en Guyenne et en Gascognedes chrestiàas, analogues à ceux du Béarn, qui portent le nom de gahet, ayant, comme le mot espagnol gafo, le sens de ladre : ils sont l'objet, dans les coutumes locales, de règlements tendant à les isoler du reste de la population. La Gascogne et le Languedoc ont compté aussi les mêmes parias, appelés capots ou casots, à qui une ordonnance de Charles VI, en 1407, défend de se mêler à la population sans porter une « enseigne » qui les fasse reconnaître. Il y est dit formellement que

« plusieurs personnes malades d'une maladie, laquelle est une espèce de lèpre ou mésellerie [...], sont appelées en aucune contrée capots et en autres contrées casots ». 
La Bretagne avait ses cacous, caqueux, cagots, ce qui est tout un et dérive du mot celtique cakod ou cacod, qui veut dire ladre. Un statut de l'évêque de Tréguier, en 1436, règle la façon dont ils doivent être traités dans les églises, où ils doivent se tenir dans la partie basse, derrière les paroissiens et ne toucher les vases sacrés qu'après les gens sains. Un mandement du duc François Il de Bretagne, en 1475, fait défense aux caqueux de voyager dans le duché sans avoir une pièce de drap rouge sur leur robe, de se mêler d'autre commerce que celui de fil et de chanvre, d'exercer d'autre métier que celui de cordier, ni de faire autre labourage que celui de leurs jardins, Les asiles où ils habitaient étaient appelés maladreries, équivalentes aux christianneries du Midi, et elles dépendaient de l'église; les cacous étaient vassaux des évêques et ne relevaient que d'eux pour la juridiction. En 1690, un arrêt du parlement de Bretagne, confirmant des décisions antérieures, déclara qu'il n'y avait plus de lépreux, ladres ou caquins, et supprima toute distinction entre les habitants du pays. 

 Enfin en Espagne on reconnaît les cagots, les gahets et les chrestians dans les gafos, christianos et agotes de la Navarre et de l'Aragon, qui existaient encore au XVIIIe siècle et étaient soumis aux mêmes mesures qu'en France. En 1517, les agotes de Navarre ayant adressé une supplique au pape Léon X, obtinrent de lui qu'ils seraient rétablis dans tous les droits et honneurs des fidèles. Ils prétendent dans leur requête avoir été séparés de l'Église à la suite de la révolte de Raymond, comte de Toulouse, mais une enquête faite au XVIe siècle, par Caxar Amaut, huissier au conseil de Navarre, essaie de faire repousser par les États les demandes des agots, en déclarant qu'ils sont 

« lépreux et corrompus en dedans autant que maudits ».
Le For de Navarre appelle les agotes (nom dérivé des cagots de France) des gafos et leur détend de rester avec les autres hommes; ils doivent aller habiter dans des léproseries. On voit d'après les textes que les nobles pouvaient se transformer en gafos, c.-à-d. contracter la maladie.

Qui étaient les Cagots?
En présence de ces faits, il serait inexact, on le voit, de conclure que les cagots, capots, caqueux et agots, ont formé une population à part, et ce n'est qu'à titre de curiosité que l'on peut rappeler les diverses théories relatives à l'origine de ces parias. Le système le plus répandu, le plus populaire dans le midi de la France, est (ou a été) celui qui fait descendre les cagots des Goths; mais il n'a d'autre fondement, comme le dit Marca, que la consonance des noms. La deuxième hypothèse est celle qui fait descendre les cagots des Sarrasins, mais elle ne peut se soutenir mieux que la première. Francisque Michel a cru que les parias de France étaient les descendants des réfugiés espagnols qui suivirent l'armée de Charlemagne dans la mémorable retraite où périt Roland. Enfin un quatrième système donne aux cagots les Albigeois pour ancêtres; cette opinion est très ancienne et a été partagée, au XVIe siècle, par les agots de Navarre dans une requête adressée à Léon X. Ces divers systèmes ont été soutenus avec plus ou moins de talent par les écrivains qui se sont occupés de la question depuis le XVIIe siècle, et qui tous ont considéré les cagots comme une « race maudite  ». 

Les arguments que l'on a pu invoquer en faveur de l'origine des parias des diverses provinces tombent d'eux-mêmes, si l'on examine les textes. On peut établir historiquement que les anciens chrestians, cacous, gafos et gahets étaient, à l'origine, des lépreux; on nomme leurs habitations des maladreries; en Béarn chrestiàa est synonyme de mezeg, lépreux; en Bretagne cacou n'a pas d'autre signification que ladre. A partir de la deuxième moitié du XIVe siècle, la lèpre disparaît à peu près de la France; les cacous, cagots et chrestiàas cessent d'être des lépreux confirmés et deviennent simplement des suspects et des ladres blancs, soit en raison de leur généalogie, soit pour des symptômes équivoques, dartres ou autres affections cutanées, particulièrement la lèpre blanche qui, à partir du XVe siècle, se substitua de plus en plus à la lèpre noire ou lèpre à bubons du Moyen âge. 

Enfin il suffit de rappeler l'identité ou l'extrême analogie des règlements de police appliqués aux cagots et aux lépreux : les uns et les autres devaient vivre écartés des personnes saines, porter un signe particulier; il leur était défendu de marcher déchaussés dans les rues, d'ester en justice, de porter des armes; ils étaient exempts des tailles, et les uns comme les autres relevaient de l'autorité ecclésiastique, au temporel comme au spirituel. Les lépreux avaient été isolés pour empêcher la contagion; tous ne succombèrent pas à la terrible maladie. Vivant en communautés, loin des autres hommes, ils se marièrent entre eux et eurent des enfants, qui, en raison de leur origine, furent tenus à l'écart de la société pendant plusieurs générations. Telle est l'origine des ladres, cagots, capots, cacous, gafos, gahets, agotes, collazos et colliberts, que l'on rencontre avec des dénominations différentes sur tout le territoire de la France et en Espagne. (Léon Cadier).

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