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La découverte et l'exploration de l'Asie
Peut-on parler, à propos de l'Asie, de découvertes comme celles qui ont révélé l'Afrique, les deux Amériques ou l'Océanie aux Occidentaux? De prime abord cela semble paradoxal. Cependant il faut remarquer que les populations et les principaux différents centres de culture ont vécu isolés les uns des autres, s'ignorant à peu près complètement; au point de vue des peuples et de la civilisation du bassin de la Méditerranée, l'Asie a été progressivement découverte tout comme l'Afrique.

L'Antiquité.
Le nom que nous donnons à cette partie du monde n'a d'abord été appliqué qu'à la partie la plus voisine des Grecs, auxquels commence la civilisation occidentale : le sens du mot Asie s'est étendu avec les progrès de nos connaissances. Il est employé par les Grecs dès le VIe siècle. On en ignore l'étymologie : les uns le dérivent du nom des Asiens ou Aséens, population caucasienne, dont parlent Strabon et Ptolémée; les autres y voient le nom des Chypriotes appelés Asi dans certains monuments assyriens et égyptiens, dès le XVIIe siècle av. J.-C. ( un mémoire de G. Maspéro, dans les Comptes rendus de l'Académie des inscriptions, 1886).

Les Egyptiens connaissaient l'Asie orientale jusqu'au plateau iranien, et les côtes occidentales de l'Arabie; les Phéniciens (venus du golfe Persique) entretenaient des rapports avec Ophir (Inde?) ; les Babyloniens, par le golfe Persique, avaient une porte ouverte sur l'Orient. Quant aux Grecs, le savoir d'Homère et de son époque ne dépasse guère l'Asie Mineure et le pied du Caucase ou coule le Phase (le Rion). Au temps d'Hérodote, les conquêtes de l'empire perse et ses relations avec les Grecs ont beaucoup reculé l'horizon vers l'Est; Scylax, sur l'ordre de Darius, a parcouru la mer Erythrée (mer d'Oman) jusqu'à l'Inde (vers 500). Hérodote décrit les vingt satrapies de l'empire perse jusqu'à l'Indus et à l'laxartes (Syr-Daria). A l'Asie occidentale, connue dès longtemps, s'ajoute l'Iran, derrière lequel on entrevoit le Touran et l'Inde. On juge l'Europe bien plus grande que l'Asie et la Libye (Afrique); c'est que de l'Asie on ne connaît que l'Asie antérieure et que les vastes plaines de la Scythie (Russied'Europe et d'Asie) sont rattachées à l'Europe. On divise l'Asie en pays en deçà et au delà de l'Halys (Kizil-Irmak, le grand fleuve de l'Anatolie). Un peu plus tard on recule au Taurus la limite entre l'Asie citérieure et l'Asie ultérieure; celle-ci commence à la Cilicie

C'est à peu près encore la division d'Orose en Asia minor et Asia major. Toutefois, depuis Alexandre, l'Inde et le Touran sont entrés dans la sphère des pays connus. Ctésias déjà déclarait l'Inde grande comme l'Asie; quand Alexandre eut franchi l'laxartes et l'Indus, que Néarque eût longé les côtes de la mer Erythrée (mer d'Oman), de l'Indus au fond du golfe Persique, lorsque des colonies grecques se furent établies en Bactriane et aux limites du Pendjab, on entrevit l'importance de ce monde nouveau. Dès 305, l'expédition de Séleucus le mit en face de Chandragapta, souverain de l'Inde gangétique; l'ambassade de Mégasthènes à Patalipoutra (près de Patna) fit connaître le bassin du Gange; son livre (les Indiques) resta, sur l'Inde, la source principale jusqu'aux Arabes. On sut où placer Taprobane (Sri Lanka), dont on s'exagéra l'importance. D'autre part, une exploration insuffisante fit croire que la Caspienne était une mer ouverte au Nord, tandis qu'auparavant on la savait isolée.

L'Arabie et la mer qui la baigne furent parcourues par les sujets des Ptolémées (L'Egypte ptolémaique); mais il faut aller jusqu'à l'époque romaine pour trouver un progrès qui fasse date. Il s'agit du Périple de la mer Erythrée, ou sont consignés des fait nouveaux en grande abondance. Le Périple va jusqu'à Muziris (Mangalore, au milieu de la côte de Malabar), il contient des renseignements précis sur la côte jusqu'aux embouchures du Gange, vagues au delà :  il nomme l'île d'Or et les Thinae (Chinois) commerçant par deux routes de terre avec l'Inde et avec Bactres. Ptolémée sait que l'île Chryse est une presqu'île, la Chersonèse d'Or (Malacca), où il place le grand port de Cattigara (près de Singapour); il connaît, non seulement les Sinae (Chine méridionale), mais les Serae (Chine septentrionale) et donne un itinéraire de la Bactriane au pays de la soie ou Sérique (Nord-Ouest de la Chine). Les documents chinois signalent deux ambassades envoyées vers 166 et 284, par les Romains. En revanche, Ptolémée prolonge les îles de la Malaisie, vers le Sud, puis l'Ouest, un point de faire de l'océan Indien, une Méditerranée. Les Byzantins augmentèrent sur un point le bagage géographique amassé par Ptolémée; en 569, une ambassade grecque alla jusqu'à l'Altaï: les Turks descendus de l'AItaï  venaient d'arriver sur l'Iaxartes (Syr-Daria) et entraient en relations avec l'Europe.

Le Moyen âge.
Bien plus considérables furent les informations dues aux Arabes. Dès 638 ils étaient maîtres de l'Iran, en 710 de la Transoxiane (Turkestan méridional), en contact avec les Indiens et les peuples de langue turque. Comme à partir du VIIe siècle la Chine, entrée dans une période d'expansion, reprenait les relations avec l'Inde et la Transoxiane, des rapports s'établirent d'une extrémité à l'autre de l'Asie. Du côté des Chinois on peut citer d'une part le pèlerin bouddhiste, Hiouen-Tsang, qui parcourut toute l'Asie centrale et pénétra dans la plaine de l'Inde par la Transoxiane et l'Afghanistan; d'autre part l'invasion de l'Inde par le Tibet (667-668). Du côté des Arabes, Abou-Séid, au milieu du VIIIe siècle, alla jusqu'en Chine. Bassorah devint le centre d'un important commerce avec l'Inde. 

Tandis que les intérêts commerciaux et la propagande bouddhiste multipliaient les voyages, les chrétiens nestoriens envoyaient des missionnaires dans le Turkestan, les oasis du désert de Gobi et la Chine ( la légende du Prêtre Jean). Après l'empire de Korkan (1125), se constitua, au XIIIe siècle, celui des Mongols (1206). Les ambassades que leur envoyèrent les souverains chrétiens contribuèrent beaucoup à la connaissance de l'Asie. Le souvenir d'une des deux ambassades d'Innocent IV (1245) nous a été transmis par Plan-Carpin : elle alla par la Russie méridionale jusqu'à Khakan, près de Karakoroum. Il faut citer aussi les envoyés de saint Louis, le frère André (1248) et le franciscain Rubruquis (1253). Ils se rendirent à Karakoroum, capitale des Mongols. La relation de Rubruquis nous a été conservée. 

Le Vénitien Marco Polo  voyagea pendant le dernier quart du XIIIe siècle (1271-1295) dans toute l'Asie, parcourut le Badakkhan, Khotan, le désert de Gobi, la cour de Koubilaï, la Chine septentrionale et méridionale et revint par mer en visitant le pays des épices (Malaisie), la Birmanie, l'Inde et la Perse. Ses qualités personnelles et la haute situation qu'il occupa à la cour mongole donnent à sa relation une importance exceptionnelle : il révéla, non seulement la géographie, mais les ressources et les moeurs de l'extrême Orient. Non moins intéressants sont les voyages de l'Arabe Ibn-Batouta (1324-1353), qui, parti de Tanger, explora l'Arabie, l'Asie antérieure, la Transoxiane, les steppes du Nord, l'Inde, Ceylan (Sri Lanka), l'archipel malais et la Chine, pour ne parler que de ses courses en Asie.

La Renaissance.
A la fin du XVe siècle, les découvertes des Portugais établirent des relations directes entre l'Europe occidentale et l'Asie. En 1498, Vasco de Gama abordait à Calicut; les pilotes portugais relevèrent bientôt l'hydrographie des mers indiennes, du golfe Persique, de la mer Rouge; en 1508, D'Almeida découvrit les Laquedives; en 1512, d'Andrada, les Maldives. Albuquerque promena le pavillon portugais sur toutes les côtes méridionales de l'Asie; en 1511 il occupa Malacca qui devint le centre d'opérations nouvelles; en 1518 on vit les Liou-Kiou; en 1542 Antonio de Mota abordait au Japon, le fabuleux Cipangu. Depuis 1520, il y avait des envoyés portugais à Pékin. Les missions de Saint-François Xavier, bientôt suivies par d'autres, s'établirent en Chine et au Japon (1549). En relations régulières avec la métropole, elles furent une source intarissable d'informations sur l'Extrême-Orient. Il ne faut oublier ni le touriste italien Barthema qui se promena dans toute l'Asie méridionale (Arabie, Perse, Boukharie, Inde, Pégou, Malaisie), ni l'aventurier portugais Fernand Mindez Pinto qui parcourut les mers d'Asie de 1539 à 1558. D'un autre côté, les Moscovites pénétraient en Sibérie, et, en 1558, des Anglais arrivaient par terre dans le Turkestan (Boukharie). Enfin un grand nombre de Voyages au Levant font bien connaître les rives orientales de la Méditerranée.

Le XVIIe siècle.
Au XVIIe siècle, les Hollandais, successeurs des Portugais, les compagnies anglaise et française des Indes, s'établirent en Asie et commencèrent l'exploration méthodique du continent au Sud et à l'Est. On est surtout redevable aux Hollandais de la connaissance de la Malaisie et de la mer de Chine. En 1600, ils débarquèrent au Japon; en 1643, de Vries en explora le Nord et vit Hokkaïdo. En 1606, une ambassade anglaise se rendit auprès du grand Mogol. Les Français ne restèrent pas en arrière : Pyrard de Laval étudia les îles Maldives (1602), Bernier visita la Cachemire, Tavernier l'Inde (1665), Chardin la Perse (1673-1677); nous ne citons que les principaux. Il ne faut oublier ni l'ambassade de Louis XIV au roi de Siam (1685-1687), ni le père Tachard, explorateur de la Cochinchine et du Tonkin, ni les jésuites de Chine, dont les travaux topographiques restèrent longtemps précieux.

En 1655 parut l'Atlas Sinensis du P. Martini. En 1661, les Pères Grubert et Dorville traversèrent le Tibet, l'Himalaya pour se rendre de la Chine en Inde. En 1687 s'organisa la mission française de Chine (Tachard, Gerbillon, etc.). 

Tandis que les puissances maritimes s'occupaient du Sud et de l'Est du continent asiatique, les Russes l'abordaient par le Nord, les Anglais et les Hollandais avaient cherché le passage du Nord-Ouest vers la Chine et l'Inde sans pouvoir dépasser la mer de Kara. Les Russes de Novgorod et de Moscou commerçaient depuis longtemps avec les populations turco-mongoles du bassin de l'Ob; au XVIe siècle, les tsars en firent la conquête; les chasseurs de fourrures, Cosaques pour la plupart, s'avancèrent rapidement jusqu'au bassin de l'Amour et à la presqu'île orientale. Ils atteignirent la mer d'Okhotsk vers 1614. Dès 1648, le Cosaque Dejnér descendait la Kolima jusqu'à son embouchure, s'y embarquait, franchissait le détroit de Béring et abordait au fond du golfe d'Anadir. En 1697, le Kamtchatka fut parcouru. De Yakoutsk partit, en 1735 aussi, l'expédition de Prontchichtchev (Léna inférieure, delta et côtes voisines); Lapter découvrit la presqu'île de Taïmyr et le cap Tchéliouskin (1739-1741). Munin y était presque arrivé par l'Ouest. En 1728, Béring s'embarquait à Okhotsk, avait longé le Kamtchatka, traversé la mer et le détroit qui portait son nom et révélé ces régions à l'Europe.

Le XVIIIe siècle.
Avec le XVIIIe siècle arrivent les voyages scientifiques. Les travaux des missionnaires français en Chine et en Tartarie (Asie centrale) servirent de base à la Description de Duhalde (1735-1736) et aux cartes de d'Anville (1751-1753), dont l'importance est tout à fait exceptionnelle. Tournefort visita l'Asie antérieure (1780), Bénernï, Boukhara et Khiva (1747-1725), Burbaum le Caucase, la Perse et la Sibérie méridionale (1724-1727), Pocoche (1739) et Volney (1783) la Syrie; Karsten Niebuhr fit en Arabie un voyage resté célèbre (1761-1764); on pénétra dans le Tibet (Hallerstein, Boyle, Turner). Hawkins passa de l'Inde en Perse et chercha à créer une route sur cet itinéraire (1742-1750); Kovolsilzov avait découvert les Aléoutes (1745); Gmelin, Müller et Delisle de Pallas continuèrent ces recherches (1770-1773) au point de vue des sciences naturelles; Lesseps (1787) visita les côtes de la mer d'Okhotsk et le Kamtchatka. Amyot (1750) et lord Macartney (1792-1794) voyagèrent en Chine, Pallas (1793) et J. Potocki (1797-1798) dans le Caucase. En 1784 avait été fondée la Société asiatique de Calcutta, qui contribua beaucoup à la connaissance de l'Asie.

Le XIXe siècle.
Le XIXe siècle acheva l'exploration de l'Asie septentrionale. Krusenstern (1805) parcourut les mers du Japon et d'Okhotsk; l'Oural fut étudié avec une attention scientifique (1818 et suiv). Hansteen et Erman (1828) firent en Sibérie des observations astronomiques et magnétiques du plus haut intérêt. On peut encore citer les voyages de AIexandre de Humboldt, Ehrenberg et Rose (1829), de Middendorff et l'expédition de 1854, qui reconnut le bassin de la Léna, la région du Baïkal et du haut Amour. Cook (1778) et La Pérouse (1787) avaient complété le relevé des côtes orientales, et La Pérouse avait prouvé que Sakhaline était une île. L'océan Glacial avait été parcouru par Sannikov, qui trouva la Nouvelle-Sibérie (1805-1811); Wrangel (1820-1825). Vers la fin du siècle Nordenskjold a enfin réussi à passer par l'océan Glacial, de l'Atlantique dans le Pacifique; mais le passage Nord-Ouest n'en restera pas moins à peu près impraticable. Le hardi navigateur a du moins rectifié sur bien des points les erreurs des cartes antérieures. 

Les voyages et les travaux géographiques n'ont pas été moins nombreux dans les autres parties de l'Asie. L'exploration scientifique de l'Inde est à peu près terminée dès les années 1880 et cette vaste région est aussi bien connue à l'époque qu'un pays d'Europe. L'Asie antérieure est loin de l'être autant, malgré les efforts d'un grand nombre de savants et de voyageurs. On ne peut passer sous silence, dans la Transcaucasie, la triangulation de 1860-1862; en Asie Mineure les recherches de Leake (1800), de Tchitchatchev (1847-1858), celles du comte de Berto et du duc de Luynes (1837-1864), de Guérin (1863-1870-1871) et de Tyrwhitt Drake (1871) en Palestine; de Burchardt (1817), de Wréde (1843), Palgrave (1862-1863) et Halévy (1869-1870) dans la péninsule Arabique; de Morier (1808-1809 et 1811-1816), de Khanykov (1857-1859), des ingénieurs anglais (1864-1867) en Perse. Le Touran a été parcouru en tous sens par les Russes; les noms d'Atkinson (pays des Kirghizes), Eversmann (Boukhara, 1820-1821), Boutakov (Syr-daria, 1853), de Vambéry (Boukhara, 1863-1864), Mouraviev (Khiva, 1819), Skobelev (région aralo-caspienne, 1871). 

En Indochine, les Anglais et au premier rang Brandis (1856) ont remonté la vallée de l'Irraouaddi, les Français (Mouhot, 1859-1861), expédition du Mékong, (1866-1868), celle du Mékong.

La Chine a été visitée souvent, quoique au début du XXe siècle encore bien des points n'aient encore été vus par aucun Européen. Cooper remonta le Yang-tsé-Kiang jusqu'au Tibet; Francis Garnier alla de l'Indochine au Yang-tsé par l'intérieur, et Richthofen et l'abbé David ont fourni à la géographie des renseignements inappréciables. 

 L'Asie centrale a été abordée à la fois par l'Ouest et le Nord (Russes) et par le Sud (Anglais). Dès 1845, les pères Huc et Gabet étaient allés à Lhassa au coeur du Tibet, sur les traces des missionnaires des XIVe, XVIe et XVIIe siècles, et Choma y était arrivé par le Sud (1834) : de l'Inde aussi vinrent les frères Schlagintweit (1856-1858), qui franchirent l'Himalaya, le Karakoroum et le Kocen-Lun : l'un d'eux (Adolphe) fut assassiné à Kashgar. Hayward, l'explorateur du Kafiristan, périt de même (1870). Plus heureux, Johnston atteignit Khotan (1865) et Forsyth parcourut le bassin supérieur du Tarim. Des pandits indiens, éduqués à l'européenne, fournirent de précieux détails sur le Trans-Himalaya et le Tibet méridional. Toutefois, la géographie du massif central doit beaucoup plus aux Russes; Valikanov traversa le Thian-Chan (1858), Ostensacken suivit ses traces en 1867; Kouropatkin, en 1876, longea au Sud cette grande chaîne; enfin les itinéraires de Prjévalski ont sillonné la Mongolie, le désert de Gobi et le bassin oriental du Tarim.

Le XXe siècle.
Si dans les premières décennies du XXe siècle, il restait encore beaucoup à faire pour compléter l'étude scientifique (géodésie, géologie, etc.), les régions encore inexplorées de l'Asie étaient désormais peu étendues : certaines parties des toundras sibériennes, surtout dans la presqu'île de Taimyr, les déserts de l'Arabie méridionale (désert de Dahna), le Tibet septentrional; enfin la contrée où se rejoignent l'Himalaya et les monts indochinois, le Tsang-bo et le Brahmapoutre ou l'Irraouaddi. La question du Tsang-bo était le seul problème géographique de premier ordre dont la solution a dû attendre ce siècle pour être résolue. (GE).

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