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Charles XII, de Suède

Charles XII est un roi de Suède, fils de Charles XI, né en 1682, monta sur le trône en 1697, n'ayant que quinze ans. Frédéric IV, roi du Danemark, Auguste II, roi de Pologne, Pierre Ier, tsar de Moscovie (La Russie au XVIIIe siècle), se coalisèrent contre ce jeune prince. Charles tourna d'abord ses armes contre le Danemark, alla mettre le siège devant Copenhague, et força Frédéric à signer la paix à Travendahl (août 1700). Il marcha aussitôt contre les Russes qui, au nombre de 60 000 hommes, assiégeaient Narva, et les battit complètement avec 9000 Suédois (novembre 1700). Après cette bataille, Charles court attaquer Auguste, roi de Pologne, remporte une victoire signalée sur les bords de la Duna (1701), se rend maître de toute la Pologne, détrône Auguste, à la place duquel il met Stanislas Leczinsky, poursuit son ennemi jusque dans ses États de Saxe, et le force à signer le traité d'Alt-Ranstadt (1706), par lequel il renonçait à la couronne de Pologne. 

De la Saxe, Charles XII à la tête d'une armée de 43 000 hommes, se dirige sur Moscou. Mais éprouvant enfin l'inconstance de la fortune, il fui battu par le tsar à Pultava (1709), et se vit réduit à chercher un asile chez les Turcs. Il se retira à Bender où il séjourna plusieurs années. Pendant son absence, Auguste remonta sur le trône de Pologne, Pierre entra en Livonie, et Frédéric, roi de Danemark, envahit la Scanie. Cependant Charles, en quelque sorte prisonnier des Turcs, suscitait la Porte contre le tsar. La paix ayant été conclue entre les deux puissances, on voulut le forcer à quitter sa retraite : il se retrancha dans sa maison, s'y défendit (1713) avec quelques domestiques contre un corps d'armée, et ne se rendit que quand la maison fut en feu. Il partit enfin, et, prenant le costume d'un simple officier allemand, il traversa à cheval les États de l'empereur, et arriva après seize jours et seize nuits de marche à Stralsund (1714). Assiégé dans cette ville par une armée combinée de Danois, de Saxons, de Prussiens et de Russes, il y fit des prodiges de valeur; mais la place ne pouvant plus tenir, il se retira à Lund en Scanie. 

Aidé des conseils Au baron de Goertz, il était parvenu à rétablir ses affaires; la Norvège était déjà en partie occupée et la prise de la forteresse de Fréderikshald allait le rendre maître du reste du pays, lorsqu'il fut tué devant cette place (1718). On croit que la balle qui le frappa partit d'une main suédoise. La fermeté, la valeur, l'amour de la justice, dominaient dans le caractère de ce prince; mais il outra ces belles qualités et les rendit souvent funestes à ses peuples et à lui-même. A sa mort, le baron de Goertz, son principal ministre, fut décapité. Après lui, son pays disparut du nombre des grandes puissances.
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La mort de Charles XII et son portrait
par Voltaire

«  Charles XII forma le siège de Frédérickshald au mois de décembre. Le soldat, transi de froid, pouvait à peine remuer la terre endurcie sous la glace : c'était ouvrir la tranchée dans une espèce de roc; mais les Suédois ne pouvaient se rebuter en voyant à leur tête un roi qui partageait leurs fatigues. Jamais Charles n'en essuya de plus grandes : sa constitution, éprouvée par dix-huit ans de travaux pénibles, s'était fortifiée au point qu'il dormait en plein champ en Norvège, au coeur de l'hiver, sur de la paille ou sur une planche, enveloppé seulement d'un manteau, sans que sa santé en fût altérée. Plusieurs de ses soldats tombaient morts de, froid dans leurs postes; et les autres, presque gelés, voyant leur roi qui souffrait comme eux, n'osaient proférer une plainte. Il passa cinq jours entiers sans manger ni boire; le sixième, au matin, il courut deux lieues à cheval, et descendit chez le prince de Hesse, son beau-frère, où il mangea beaucoup, sans que ni une abstinence de cinq jours l'eût abattu, ni qu'un grand repas, à la suite d'un si long jeûne, l'incommodât. 

Le 11 décembre, jour de Saint-André, il alla sur les neuf heures du soir visiter la tranchée, et, ne trouvant pas la parallèle assez avancée à son gré, il parut très mécontent. M. Mégret, ingénieur français, qui conduisait le siège, l'assura que la place serait prise dans huit jours : « Nous verrons », dit le roi, et il continua de visiter les ouvrages avec l'ingénieur. Il s'arrêta dans un endroit où le boyau faisait un angle avec la parallèle; il se mit à genoux sur le talus intérieur, et, appuyant ses coudes sur le parapet, resta quelque temps à considérer les travailleurs, qui continuaient les tranchées à la lueur des étoiles.

Le roi était exposé presque à demi-corps à une batterie de canon pointée vis-à-vis l'angle où il était; il n'y avait auprès de sa personne que deux Français: l'un était M. Siquier, son aide de camp, homme de tête et d'exécution, qui s'était mis à son service en Turquie, et qui était particulièrement attaché au prince de Hesse; l'autre était cet ingénieur. Le canon tirait sur eux à cartouche; mais le roi, qui se découvrait davantage, était le plus exposé; à quelques pas derrière était le comte Swerin, qui commandait la tranchée; le comte Posse, capitaine aux gardes, et un aide de camp, nommé Kulbert, recevaient des ordres de lui. Siquier et Mégret virent dans ce moment le roi de Suède qui tombait sur le parapet en poussant un grand soupir; ils s'approchèrent, il était déjà mort : une balle pesant une demi-livre l'avait atteint à la tempe droite et avait fait un trou dans lequel on pouvait enfoncer trois doigts; sa tête était renversée sur le parapet, l'oeil gauche était enfoncé, et le droit entièrement hors de son orbite.

L'instant de sa blessure avait été celui de sa mort; cependant il avait eu la force, en expirant d'une manière si subite, de mettre, par un mouvement naturel, la main sur le garde de son épée, et était encore dans cette attitude. A ce spectacle, Mégret, homme singulier et indifférent, ne dit autre chose, sinon : « Voici la pièce finie, allons souper. » Siquier courut sur-le-champ avertir le comte Swerin. Ils résolurent ensemble de dérober la connaissance de cette mort aux soldats, jusqu'à ce que le prince de Hesse en pût être informé.

On enveloppa le corps d'un manteau gris . Siquier mit sa perruque et son chapeau sur la tête du roi; en cet état, on transporta Charles, sous le nom du capitaine Carlsberg, au travers des troupes, qui voyaient passer leur roi mort, sans se douter que ce fût lui.

Ainsi périt, à l'âge de trente-six ans et demi, Charles XII, roi de Suède, après avoir éprouvé ce que la prospérité a de plus grand et ce que l'adversité a de plus cruel, sans avoir été amolli par l'une ni ébranlé un moment par l'autre. Presque toutes ses actions, jusqu'à celles de sa vie privée et unie, ont été, bien loin au delà du vraisemblable. C'est peut-être le seul de tous les hommes, et jusqu'ici le seul de tous les rois, qui ait vécu sans faiblesse; il a porté toutes les vertus des héros à un excès où elles sont aussi dangereuses que les vices opposés. Sa fermeté, devenue opiniâtreté, fit ses malheurs dans l'Ukraine, et le retint cinq ans en Turquie; sa libéralité, dégénérant en profusion, a ruiné la Suède; son courage, poussé jusqu'à la témérité, a causé sa mort; sa justice a été quelquefois jusqu'à la cruauté, et, dans les dernières années, le maintien de son autorité approchait de la tyrannie. Ses grandes qualités, dont une seule eût pu immortaliser un autre prince, ont fait le malheur de son pays. Il n'attaqua jamais personne, mais il ne fui pas aussi prudent qu'implacable dans ses vengeances. Il a été le premier qui ait eu l'ambition d'être conquérant sans avoir l'envie d'agrandir ses États : il voulait gagner des empires pour les donner. Sa passion pour la gloire, pour la guerre et pour la vengeance, l'empêcha d'être bon politique, qualité sans laquelle on n'a jamais vu de conquérant. Avant, la bataille et après la victoire, il n'avait que de la modestie; après la défaite, que de la fermeté : dur pour les autres comme pour lui-même, comptant pour rien la peine et la vie de ses sujets, aussi bien que la sienne; homme unique plutôt que grand homme, admirable plutôt qu'à imiter. Sa vie doit apprendre aux rois combien un gouvernement pacifique et heureux est au-dessus de tant de gloire. »
 

(Voltaire, Histoire de Charles XII, chapitre 8, 1731).
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Dictionnaire biographique
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