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Charles
le Téméraire, dernier duc de Bourgogne ,
fils de Philippe le Bon et d'Isabelle
de Portugal, né à Dijon (10 novembre
1433), tué au camp de Nancy (5 janvier
1477). Doué d'une constitution très vigoureuse, « chaud,
actif et despit, et désirant en sa condition enfantine à
faire ses voulontez à petites corrections », il reçut
le jour de son baptême le titre de comte de Charolais ,
ainsi que l'ordre de la Toison d'or. Difficile et violent, mais appliqué
et aimant l'étude, il fut confié aux bons soins du seigneur
d'Auxy : les premières années de son existence se passèrent
aux Pays-Bas .
L'équitation et le maniement de la lance étaient ses exercices
favoris, et il y réussissait fort bien, témoin cette joute
où, à l'âge de dix-huit ans, en présence de
son père et de sa mère, il lutta en public contre Jacques
de Lalaing, ce maître ès exercices d'adresse. La lecture des
romans de chevalerie, à laquelle il se complaisait, le préparait
admirablement à ces combats, alors très à la mode
à la cour de Bourgogne. La rébellion de Gand
(1452), où il parut malgré son père, le combat de
Rupelmonde, la bataille de Gavre (1453), furent pour le prince de vingt
ans des occasions où il ne négligea pas de déployer
sa prouesse, de s'exposer au péril, montrant la valeur emportée
du jeune soldat, jointe à l'obstination qui fut toujours le trait
caractéristique de sa vie. Dur au labeur, insensible à la
fatigue, grand chasseur et bon musicien, vivant simplement au milieu d'une
cour fastueuse, buvant et mangeant peu, il n'était nullement enclin
au plaisir. Le comte de Charolais avait été fiancé
à une fille de Charles VII par une
clause du traité d'Arras, mais cette
clause fut brisée par la mort de la princesse; et, malgré
sa mère qui voulait à tout prix lui faire épouser
une fille de la maison royale d'Angleterre ,
il se maria en 1454 avec Isabelle de Bourbon.
Peu de temps après,
le dauphin de France arrivait, volontaire exilé, à Bruxelles ,
auprès du duc de Bourgogne; il devint le compagnon et l'ami du jeune
comte de Charolais, mais cette intimité dura peu. Le roi
de France ne resta pas et qu'avait été le dauphin, et
Louis, devenu le maître des destinées de son pays (1461),
retrouva pour la Bourgogne la sourde et soupçonneuse inimitié
de sa famille. Plein de ruse et d'astuce (ce qui manqua toujours à
Charles le Téméraire), il obtint de mettre dans ses intérêts
les seigneurs de Croy qui servaient le vieux Philippe
le Bon, acheta à prix d'argent les villes de la Somme et songea
dès lors à démembrer à son profit l'héritage
sur lequel comptait le comte de Charolais, résidant alors au château
de Gorcum, sur les côtes de Hollande .
Mais la fuite obligée de Jean de Bourgogne, comte de Nevers, le
retour du comte de Charolais auprès de son père très
malade, changèrent la face des choses et arrêtèrent
les visées ambitieuses de Louis XI. Les
Croy déjoués abandonnèrent la partie et même
la cour de Bourgogne ,
et le comte de Charolais, après s'être assuré l'alliance
du duc de Bretagne dont il s'engageait à soutenir les intérêts,
après s'être assuré la neutralité momentanée
du roi d'Angleterre et surtout du
puissant Warwick, prit l'initiative d'une lutte qui allait amener les ligueurs
du Bien public sur le champ de bataille. Un coup de main du comte de Charolais
sur Paris ne réussit pas, et la bataille
fut livrée au Sud de cette ville, à Montlhéry
(juillet 1465); journée grave, sanglante, mais indécise,
où Charles fut étonnant d'impétuosité et surprenant
de courage, malgré une blessure qu'il reçut au plus fort
de la mêlée. Puis, rejoignant tour à tour les Bretons,
le duc de Berry ,
frère du roi, les ducs de Bourbon et de Calabre ,
il vint avec une forte armée mettre le siège devant Paris.
Louis XI eut peur et signa avec les confédérés les
traités de Conflans et de Saint-Maur (1466); par le premier, le
comte de Charolais recouvrait, au nom de son père, les villes de
la Somme, Guines
et Boulogne-sur-Mer ;
et comme il venait de perdre sa femme Isabelle, morte à Bruxelles
le 25 septembre 1465, il fit signer au roi une promesse de mariage entre
lui-même (il avait alors trente-deux ans) et la fille aînée
de Louis, âgée de deux ans, avec la Champagne
pour dot : en attendant il se fait céder le Ponthieu .
Apprenant aussitôt qu'à l'instigation de Louis XI les villes
de Liège
et de Dinant-sur-Meuse viennent de se révolter contre l'autorité
de son père, il part avec une partie de son armée et va terrifier
les Liégeois qui demandent grâce et acceptent de force une
paix désastreuse pour leurs privilèges et leurs finances
(janvier 1466). Ce fut ensuite le tour de Dinant, ville industrielle et
riche; elle succomba sous la forte artillerie bourguignonne, qui détruisit
et saccagea tout sans merci.
Sur ces entrefaites
mourut à Bruges, d'une attaque d'apoplexie,
à soixante-douze ans (15 juillet 1467), Philippe
le Bon. Ses sujets prirent le deuil, ses funérailles furent
magnifiques, et sa mémoire, malgré le faste dont il s'était
entouré, malgré les dépenses exagérées
qu'il avait toujours permises, resta longtemps vénérée
tant en Bourgogne
qu'aux Pays-Bas .
Son fils Charles, désormais le maître d'un beau domaine et
d'un trésor encore riche, prince puissant et respecté, allait
prendre en mains un gouvernement dont les difficultés cadraient
mal avec sa légèreté et sa fougue trop connues. Sa
première pensée fut de porter la guerre dans tout le pays,
plus peut-être pour se préparer une renommée de capitaine
indomptable que pour assouvir des haines ou écraser des adversaires.
L'invasion du pays de Hashain, le siège heureux de Saint-Trond,
que les Liégeois ne parvinrent pas à secourir, et la victoire
éclatante remportée par la prise de Liège
(1467) qu'il démantela et ruina complètement, augmentèrent
encore sa morgue et son audace. Rien désormais ne doit plus l'arrêter;
il ne songe plus qu'à conquérir au nord, à l'est,
à l'ouest, au midi. Louis XI est son plus dangereux ennemi; il renonce
à l'union projetée avec la fille du roi
de France et épouse, lui allié à la maison
de Lancastre par sa mère, la fille d'Edouard
IV, roi d'Angleterre, Marguerite,
d'York (1468). C'est qu'il cherche à déterminer les Anglais
à combattre Louis XI, en même temps qu'il ne perd de vue ni
le duc de Normandie ,
toujours mécontent de son frère, ni le duc de Bretagne ,
ses anciens confédérés.
Louis XI eut peur,
et s'en vint trouver le duc de Bourgogne
à Péronne .
Comment, lui si méfiant, osa-t-il semblable démarche? Elle
faillit d'ailleurs lui coûter cher. Charles le Téméraire
ayant à sa merci le roi de France et apprenant au même temps
qu'une nouvelle révolte vient d'éclater à Liège,
reste quelques jours indécis sur le sort qu'il va faire à
son prisonnier; après réflexion il résout d'emmener
Louis XI avec lui sur les bords de la Meuse et
de le faire participer et assister à un horrible massacre des Liégeois
ses amis (1468). Liège, rasée comme Dinant sa voisine, fut
longtemps déchue de son ancienne splendeur. Mais la réconciliation
apparente et forcée du duc de Bourgogne et du roi de France
ne pouvait durer; une trêve d'une année avait été
signée, mais la série de révolutions qui ensanglantaient
l'Angleterre ,
la fuite de Warwick, les nouvelles intrigues de Louis XI indisposèrent
de nouveau Charles le Téméraire, qui, ne se dissimulant pas
le mécontement de ses sujets et avide de vengeance, chercha une
nouvelle diversion dans la guerre, et rompit la trêve (1469). Sous
prétexte de représailles légales, à cause d'une
capture de vaisseaux qui aurait été faite par l'Angleterre,
il envoie une flotte dévastatrice en vue des ports normands. Louis
XI répond à cette violation de la foi jurée par une
sommation au duc d'avoir à Comparaître devant le parlement,
à Paris, d'une accusation de lèse-majesté,
et après s'être assuré la neutralité ou même
le concours du duc de Bretagne ,
de son frère créé depuis duc de Guyenne ,
et des Anglais, après avoir gagné à sa cause les plus
sérieux capitaines de son ennemi, Saint-Pol, La Trémoille,
Dammartm, envoie un corps d'armée en Picardie
et s'empare des villes de la Somme, Amiens, Roye, Saint-Quentin surtout,
la place la plus importante de cette frontière.
Le duc de Bourgogne
entre aussitôt en campagne, mais son isolement l'oblige à
suspendre pendant quelques mois les hostilités. Déjà
on le disait perdu, vaincu sans rémission, et l'on vit alors des
personnages importants de son entourage, le bâtard Baudouin de Bourgogne
et l'historien Commines par exemple, aller en
France
et offrir leurs services à Louis XI. On
fit courir le bruit d'une grande machination, d'un immense complot ourdi
contre la personne du duc Charles et celle même de ses alliés
plus ou moins déclarés; bientôt Charles de Guyenne
meurt (mai 1472), on parle d'un crime et Louis XI est accusé de
l'avoir favorisé. Le motif existant, il n'y avait pas de raison
pour ne pas envahir les domaines du roi, et sous prétexte de vengeance,
le duc de Bourgogne, à la tête d'une armée très
forte, qu'il venait de réorganiser et qu'il avait augmentée
de milices étrangères, d'italiens surtout, plus brigands
que soldats, fond sur la Picardie ,
où il prend et dévaste la ville de Nesle, massacrant les
habitants, ruinant le pays (juin 1472), et marche sur la Normandie .
Le siège est mis devant Beauvais,
mais l'héroïque résistance des citoyens et de leurs
femmes l'oblige à se retirer après une perte de quinze cents
hommes (juillet 1472); il poursuit sa course jusqu'à Rouen,
mais là encore il doit se replier sans s'emparer de la ville et
reprend le chemin de la Flandre ,
se contentant de mettre à feu et à sang la contrée
que traverse son armée.
Mais Charles, à
si bon droit surnommé, à la fois, le « terrible »
et le « téméraire » n'était pas homme
à rester inactif et à attendre les événements,
même après des insuccès successifs. Son ambition fut
servie à souhait par les affaires de Gueldre ,
où son beau-frère Adolphe, impatient de régner, venait
de détrôner son vieux père, Arnold d'Egmont, par un
hardi coup de main; le duc de Clèves
s'interposa, l'empereur engagea le duc de Bourgogne
à régler l'affaire, et Arnold fut délivré par
les armes bourguignonnes de la prison où il avait été
enfermé. Un arrangement fut proposé, qu'Adolphe refusa nettement.
Charles le Téméraire en profita aussitôt pour trouver
dans ces circonstances une occasion d'agrandir ses possessions, sans qu'il
pût être accusé d'intrigue ou d'usurpation, grâce
au mandat dont il avait été investi. Arnold reçut
une pension, son fils fut déshérité et condamné
à un emprisonnement perpétuel à Courtray ,
et le duc de Juliers ,
qui voulait alléguer des prétentions sur la Gueldre, fut
alléché par une promesse de quatre-vingt mille florins. Enfin,
pour légitimer ces actes, Charles le Téméraire entra
en Gueldre à la tête d'un effectif imposant; Venloo et Nimègue
résistèrent longtemps avant d'ouvrir leurs portes (1473)
et cette dernière ville accepta la dénomination étrangère
en payant au duc de Juliers la somme considérable qui lui avait
été promise par le facile vainqueur. Bientôt ces agrandissements
partiels pouvaient se généraliser, et déjà
le duc de Bourgogne convoitait la Frise et la vallée du Rhin, jetait
les yeux sur la Suisse
et n'était pas éloigné de croire qu'un jour le Milanais
obéirait à son sceptre. Ainsi rêvait-il d'ériger
un nouveau royaume, renouvelé de l'époque franque, et de
placer sur son front la couronne des empereurs d'Occident, en imposant
à l'Europe
ses lois et ses volontés. Un fait, dont la portée fut considérable
dans l'histoire, sembla un instant donner à ses projets un commencement
de réalisation. L'archiduc Sigismond d'Autriche ,
ébloui par les magnificences de la cour de Bourgogne, les fêtes
données en son honneur à Bruges et l'aspect de prospérité
qu'en dépit des guerres sans cesse renouvelées présentait
le pays flamand, songea à faire épouser à l'archiduc
Maximilien, futur héritier de la couronne
d'Autriche, la fille unique de Charles le Téméraire, Marie
de Bourgogne, Des négociations furent échangées
de part et d'autre, et le duc de Bourgogne déclara qu'il était
prêt à consentir au mariage, à condition d'être
élu roi des Romains, de telle sorte qu'il pût, en arrivant
à l'Empire, soit par la mort de l'empereur Frédéric,
soit par l'abdication de ce prince, être certain de transmettre à
son gendre la couronne impériale. Il comptait peut-être sur
l'état de décadence auquel était arrivée la
maison d'Autriche et voulait faire arracher a l'empereur un commencement
d'acquiescement : c'était, en même temps, par un coup de maître,
renouveler ses forces, défier Louis XI
et établir sa suprématie indiscutable sur des bases certaines.
L'empereur Frédéric parut accepter les propositions et accepta
Trèves comme lieu de rendez-vous (septembre 1473). La rencontre
fut cordiale et les fêtes superbes, les princes et leur suite rivalisaient
de splendeur et de luxe, et l'on songeait déjà à une
commune entente pour marcher contre les Musulmans.
Mais, au bout de deux mois, alors que Charles le Téméraire
escomptait son prochain triomphe et trouvait le moyen de dissiper toutes
les difficultés, Frédéric III s'échappa de
nuit en bateau par la Moselle, accompagné de son fils et de quelques
conseillers dévoués. La vision qui avait séduit si
vivement le dur de Bourgogne s'était ainsi évanouie; et le
mariage projeté de sa fille, qui devra plus tard être si funeste
aux destinées de la France, ne s'accomplira qu'après la mort
du Téméraire.
En rentrant bientôt
dans ses Etats, Charles le Téméraire reçut des ambassadeurs
des cantons suisses, qui lui firent des représentations sur les
violences exercées par Pierre de Hagembach, son gouverneur à
Mulhouse, contre les bourgeois de cette
ville et du pays de Ferrette; il s'apprêtait à tenir compte
de leurs réclamations, lorsque les villes d'Alsace ,
excitées par des agents secrets de l'archiduc Sigismond et soutenues
par les Suisses, dont Louis XI se déclarait
le protecteur, se soulevèrent, chassèrent les officiers bourguignons
et firent à Hagembach un procès qui se termina (9 mai 1474)
par la dégradation et la décapitation. Le duc n'eut même
pas le loisir de venger son représentant, homme cruel et tyrannique
d'ailleurs, qui était tombé victime des haines qu'il avait
soulevées. A ce moment même, l'archevêque-électeur
de Cologne
réclamait contre son compétiteur, Hermann de Hesse, une intervention
active du duc de Bourgogne. Celui-ci, trop heureux d'étendre son
influence dans les pays rhénans, et, au besoin, de marcher contre
Frédéric III, dont
la conduite à Trèves n'était pas oubliée; entre
en campagne (juillet 1474) avec une très belle armée : il
devait revenir par là sur l'Alsace et ressaisir son comté
de Ferrette. Mais la longue résistance de la ville de Neuss (près
Düsseldorf), devant laquelle il s'obstina tout l'hiver, à peine
compensée par une victoire remportée sur les Impériaux
le 24 mai 1475, vint modifier tous ses projets.
Une trêve avait
été signée avec la France ,
mais elle dura peu. Redoutant plus encore Louis XI pour son astucieuse
politique que pour le talent de ses capitaines, le duc de Bourgogne
lança contre lui son beau-frère, le roi d'Angleterre Edouard
IV; mais la campagne commencés n'aboutit pas; un premier traité,
signé à Picquigny (29 août 1475), fut bientôt
suivi d'une trêve de neuf ans, conclue au château
de Soleuvre, au Luxembourg
(13 septembre). Charles abandonnait, il est vrai, le comte de Saint-Pol,
mais il obtenait toutes facilités pour aller demander raison aux
Suisses, et désirait surtout s'assurer
la neutralité de la France pendant qu'il irait poursuivre les châtiments
et les desseins ajournés : la revendication de l'Alsace, la punition
des villes suisses, et au besoin la conquête de la Lorraine ,
dont le duc René II lui était ouvertement hostile. De toutes
les provinces voisines de ses Etats, la Lorraine était, en effet,
celle à laquelle Charles tenait le plus; elle était le trait
d'union naturel et nécessaire des Bourgognes et des Pays-Bas ,
et il avait rêvé de faire de Nancy
la capitale d'un nouveau royaume.
Les incursions des
Suisses sur le pays de Vaud, héritage de Jacques de Romont, de la
maison de Savoie, et lieutenant général
des armées bourguignonnes, servirent de prétexte. Dès
le mois de février 1476, le duc Charles entre en campagne et vient,
assisté de nombreuses troupes italiennes, reprendre le château
de Granson; mais, trois jours après, les milices suisses, doublées
d'une formidable artillerie, font essuyer à l'ennemi une sanglante
défaite, à cause d'une situation défavorable et du
manque de cohésion de ses troupes. Vaincu, le duc ne perd pas courage;
il va établir son camp près de Lausanne ,
rallie les soldats débandés, fait venir de l'argent des Pays-Bas
et un renfort considérable d'artillerie, et publie, le 12 mai 1476,
une nouvelle ordonnance que l'on considère, à juste titre,
comme un véritable traité d'organisation militaire. Le 9
juin, il va s'établir devant Morat, position bien défendue
par les Suisses, dont il importait de les déloger. Malgré
les bonnes dispositions prises, l'irrésistible élan des montagnards
triompha une seconde fois des armées bourguignonnes, qui laissaient
l'artillerie et les convois aux mains de l'ennemi et dix mille hommes sur
le champ de bataille.
A la nouvelle du
désastre, le roi de Hongrie ,
Mathias Corvin, et le duc de Milan ,
Galéas Sforza, s'offrirent comme médiateurs. Charles le Téméraire,
fidèle jusqu'au bout à sa devise « Je l'ai emprins,
bien en adviengne », ne voulut rien écouter et jura de continuer
la guerre plus ardemment que jamais. Il fait rassembler le ban et l'arrière-ban
dans les Pays-Bas ,
met sur pied toute la noblesse des deux Bourgognes et emprunte aux villes
des sommes considérables; mais beaucoup avaient perdu la foi robuste
des anciens jours; son étoile avait baissé et lui-même,
humilié, retiré à Salins
ou à Nozeroy, n'osait plus reparaître aux Pays-Bas, où
l'accueil eût été des plus froids. Une armée
reconstituée marche sur la Lorraine, et Charles le Téméraire
qui la commande vient assiéger Nancy
(22 octobre 1476). Vainement essaie-t-on de toutes parts de lui faire abandonner
ses projets de vengeance et de le faire consentir à traiter; mais
il ne renoncera jamais à la Lorraine et, follement opiniâtre,
aimera mieux succomber sous les coups des Lorrains et des Suisses réunis.
Ce ne fut pas son armée seulement qu'il laissa sur le champ de bataille,
il y perdit aussi la vie, et le jour des Rois (6 janvier 1477), qu'il avait
fixé pour le terme de la résistance de la capitale de la
Lorraine ,
vit rapporter dans Nancy son cadavre défiguré. Le destin
voulut que pas un de ses serviteurs ne l'assistât à ses derniers
moments et qu'une si noble figure disparût peut-être de la
scène du monde par les mains d'un Italien, Campobasso, qui le trahit.
Les dépouilles
mortelles de Charles le Téméraire furent transférées
de Nancy à Bruges,
en 1550, par les soins de Charles-Quint,
son arrière-petit-fils. Un superbe tombeau lui fut élevé
en 1558, sur l'ordre du roi Philippe II,
par le sculpteur Jongelincks d'Anvers; il
est en cuivre doré, sur un sarcophage
de marbre, et se trouve dans une chapelle de l'église
Notre-Dame à Bruges, à côté du tombeau de Marie
de Bourgogne, sa fille. Les trophées pris à Granson et
à Morat ornent aujourd'hui les musées de Nancy, de Morat
et de Berne.
Nul prince n'était
né, dit Chastellain, avec de plus grandes et de plus belles qualités;
ami de la justice et du bon ordre, loyal et amoureux de l'honneur, chaste
et sobre, tempérant, actif, vigilant, dur à la fatigue et
à la souffrance, rude, mais cependant bon et pitoyable surtout pour
les pauvres et les petites gens. Sa mâle et énergique figure
est bien connue, autant par des sceaux et des monnaies
que par des représentations figurées qui se peuvent voir
au musée de Bruxelles, à
la cathédrale de Namur,
et dans différents manuscrits de
la bibliothèque royale de Bruxelles, de la bibliothèque
nationale de Paris et de la bibliothèque
royale de Copenhague. D'une constitution
robuste, d'une taille moyenne, il avait les cheveux et les yeux noirs,
le teint basané, le visage long et le nez aquilin, nous dit Commines.
Il aimait les lettres et les
arts, les protégea toujours,
savait à fond le latin et parlait
cinq langues. Il eut pour historiographes attitrés Olivier
de la Marche et Georges Chastellain, deux sérieux chroniqueurs
et deux serviteurs dévoués. Tous deux nous ont donné,
dans différents écrits, une appréciation sympathique,
mais non partiale, du caractère de leur maître; ils ont évité
d'insister sur ses défauts, qui furent avant tout l'opiniâtreté,
la rudesse, la violence et l'irréflexion; d'ailleurs ses actes suffisent
à nous les faire connaître. Mais on ne refusera jamais d'admettre
qu'il était doué de qualités éminentes, largeur
de vues extraordinaire, droiture de caractère, activité infatigable,
individualité sans égale; mais incapable de mener à
bien les projets qu'il rêvait, il n'eut pas le génie nécessaire
pour accomplir sa tâche. Sa réputation militaire ne saurait
être entamée par des insuccès dus à des causes
diverses; les institutions qu'il a créées et sans cesse améliorées
lui survécurent pendant deux siècles et témoignent
d'un merveilleux esprit d'organisation; mais ce sont les desseins ambitieux
et les rêves de grandeur qui ont perdu le rival de Louis
XI.
Avec Charles le Téméraire
s'éteignit une dynastie forte
et illustre. Sa fille Marie hérita
d'une partie de ses Etats et les porta dans la maison d'Autriche
par son mariage avec l'archiduc d'Autriche;
l'autre partie, enlevée par Louis XI, fut réunie au domaine
royal et contribua à former l'unité territoriale de la France .
(Henri Stein). |
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