 |
Jacques Cazotte
est un littérateur né à Dijon
le 17 octobre 1719, mort à Paris le
25 septembre 1792. Elève du collège des jésuites
de sa ville natale, il y eut pour condisciples Bret
et Jean-François de Rameau, à qui Diderot
devait donner l'immortalité ( Le
Neveu de Rameau ).
Cazotte entra de bonne heure dans l'administration de la marine, après
avoir étudié le droit chez un procureur, sur le conseil de
Maurepas, son protecteur. Successivement écrivain principal en 1747,
contrôleur en 1749, commissaire en 1750, il remplit pendant quatorze
ans ces dernières fonctions aux Iles du Vent et à la Martinique ,
où il se maria, et se retira en 1760 avec le brevet de commissaire
général; mais ni sous Choiseul,
ni sous aucun de ses successeurs il ne put obtenir la liquidation de sa
pension de retraite. Le P. La Valette, supérieur de la mission des
jésuites à la Martinique, avait racheté de Cazotte,
au moment où il quitta la colonie, ses propriétés
au moyen de lettres de change que les supérieurs du P. La Valette
à Paris refusèrent d'acquitter, alléguant que cette
spéculation n'avait pas été autorisée par eux.
Il s'ensuivit un long et retentissant procès que Cazotte finit par
gagner. Lors de son retour en France, il habita tour à tour, avec
sa femme et ses trois enfants, Paris et une maison de campagne à
Pierry, près d'Epernay. Jusqu'alors il ne s'était fait connaître
que par quelques poésies fugitives et par des chansons; l'une d'elles,
intitulée la Veillée de la bonne femme et commençant
ainsi :
Tout
au beau milieu des Ardennes,
et une romance : les Prouesses inimitables
d'Olivier, marquis d'Edesse, eurent alors
une grande vogue. Il avait également sacrifié à la
mode des fantaisies orientales, ou soi-disant telles, dont la traduction
des Mille et une Nuits
et les Lettres persanes avaient répandu le goût, en
publiant la Patte de chat, conte zinzinois (1742, in-12) et Mille
et une fadaises, contes à dormir debout (1742, in-12). Pendant
un congé qu'il vint passer à Paris,
il aurait pris part à la fameuse querelle dite des Bouffons, c.-à-d.
aux discussions soulevées entre les partisans de la musique française
et ceux de la musique italienne, mais la Guerre de l'Opéra
(s. l. n. d., in-8) et les Observations sur la Lettre de J.-J.
Rousseau (1754 in-12), qu'on lui attribue, n'ont été
réimprimées ni par lui-même, ni dans ses Oeuvres
complètes (1798 et 1816).
Le véritable début de Cazotte
fut Olivier (1762, 2 vol. in-12), poème en douze chants et
en prose, mêlée de vers, sorte d'imitation de l'Arioste,
fort bien accueillie alors et dont la lecture nous semble insipide aujourd'hui,
tandis qu'en dépit de quelques longueurs, le Lord impromptu
(1771, in-8) supporte mieux cette épreuve décisive. Le noeud
de l'intrigue est un de ces travestissements chers aux contemporains de
Chérubin et de Faublas, mais la « Nouvelle romanesque »
de Cazotte, ainsi qu'il l'intitule lui-même, ne blesse que la vraisemblance.
On sait quelle en est la donnée un jeune homme parie avec ses camarades
d'évoquer le diable ,
il y réussit; le monstre qui lui apparaît tout d'abord se
transforme en page, puis en danseuse, mais au moment où le héros
croit toucher au but de ses désirs, Belzébuth
se dresse devant lui sous sa première forme, les autres enchantements
s'évanouissent et l'audacieux se retrouve seul, par une nuit d'orage,
dans une voiture brisée. Les détails gracieux, pittoresques
ou effrayants dont le récit est semé, en font surtout le
prix. De plus, l'édition originale était accompagnée
d'une préface où Cazotte donnait d'ironiques éloges
aux planches dont son livre était orné, raillant ainsi le
luxe habituel aux fadaises de Dorat et de son école; or ces eaux-fortes
(au nombre de six) sont traitées avec un parti-pris caricatural
très prononcé et de savantes maladresses; longtemps on les
attribuait à un seul artiste, Moreau le jeune, mais Mahérault,
s'autorisant d'un passage même de la préface, a établi
que Marillier et peut-être Cochin pouvaient
revendiquer leur part de cette mystification iconographique.
Cazotte a encore écrit d'autres
contes
en prose, recueillis dans l'édition de 1816 de ses Oeuvres badines,
et revu la traduction de ceux qu'avait tirés des Mille et une
nuits un moine « arabe de nation », dom Denys Chavys, et
qui forme les tomes XXXIX-XLI du Cabinet des fées .
Sa facilité était d'ailleurs extrême ; on prétend
qu'il rima en une nuit un septième chant pour la Guerre de Genève
de Voltaire et qu'il improvisa sur un mot donné
l'opéra-comique des Sabots (1768) dont Rameau neveu, puis
Duni, écrivirent la musique et dont le livret fut d'ailleurs remanié
ou récrit par Sedaine. C'est aussi pour venir en aide à son
camarade Jean-François Rameau qu'il fit imprimer sous son nom une
sorte de réclame à peine versifiée, intitulée
la Nouvelle Raméide, et que le pauvre diable allait débiter
dans les cafés.
Vers 1775, une transformation s'opéra
dans l'esprit de Cazotte. Attiré de tout temps vers les sciences
occultes, il devint l'un des adeptes de la secte des martinistes et s'adonna,
dans sa retraite de Pierry, en compagnie de sa fille et de ses deux fils,
qu'il avait également initiés, à toutes les pratiques
des illuminés .
Fervent royaliste, il épanchait ses inquiétudes sur la marche
des événements dans une correspondance intime adressée
à son ami Pouteau, secrétaire de de Laporte, intendant de
la liste civile. Saisie aux Tuileries
après la journée du 10 août, cette Correspondance
mystique (titre parfaitement justifié de la réimpression
de 1798, in-18) fut le motif de l'arrestation de Cazotte. A peine venait-il,
grâce au dévouement de sa fille, d'échapper aux massacres
de Septembre qu'il fut traduit devant le tribunal dit du 17 août.
Ses lettres à Pouteau, publiées pour la première fois
dans le Bulletin même du tribunal, furent la seule charge qu'on pût
relever contre lui, mais elle suffit pour provoquer une sentence de mort.
Après la lui avoir signifiée, le président du tribunal,
Lavaux, qui était lui-même, dit-on, un initié, exhorta
Cazotte à la mort par une allocution des plus singulières
et tout au moins inutile, car la fermeté du vieillard ne se démentit
ni devant ses juges, ni devant l'échafaud. (Maurice
Tourneux).
 |
Editions
anciennes - Les Oeuvres badines
de Cazotte ont été réunies par lui-même en 1776
(2 vol. in-8) ; elles comprenaient Olivier, le Lord impromptu
et le Diable amoureux ;
elles ont été réimprimées depuis, avec d'autres
écrits, en 1798 (6 vol. in-18), sous le titre d'Oeuvres complètes,
et en 1816-1817, sous celui d'Oeuvres badines et morales, historiques
et philosophiques (4 vol. in-8). O. Uzanne a fait figurer dans sa collection
des Petits conteurs, la Patte du chat et les Mille et une fadaises
(1880, in-8). Quant au
Diable amoureux, il a été maintes
fois réimprimé isolément; l'une de ces éditions
(1845, in-12 ; nouveau tirage, 1871, in-8), est ornée de dessins
par Ed. de Beaumont et accompagnée d'une préface par Gérard
de Nerval.
Le
tome 1er de l'édition de 1817 renferme un morceau apocryphe célèbre,
intitulé la Prophétie de Cazotte, que Petitot, éditeur
des Oeuvres posthumes et choisies de La Harpe,
fit connaître pour la première fois en 1806; c'est à
l'issue d'un souper offert, au commencement de 1788, par un grand seigneur
académicien à divers confrères et à d'autres
gens de lettres, que Cazotte aurait annoncé à chacun des
convives (Chamfort, Bailly,
Condorcet,
Roucher,
etc.), le sort qui l'attendait. Seulement Petitot s'était bien gardé,
d'imprimer une note de La Harpe où il avouait que cette prédiction
avait été écrite non en 1788, mais après la
Terreur. La supercherie ne fut éventée qu'en 1817, lorsque
Beuchot
eut cité dans le Journal de la librairie la note additionnelle
de La Harpe d'après l'autographe
même appartenant à
Boulard.
La
mystification étant d'ailleurs postérieure à la mort
de Cazotte et à celle de La Harpe, ne saurait être qualifiée
de « plaisanterie cruelle », comme l'a lait Jal qui donne à
entendre qu'elle courut « les salons et les carrefours » avant
la Révolution! Le nom de Cazotte a servi de pseudonyme à
Restif
de La Bretonne pour une de ses dernières élucubrations
: les Posthumes, lettres écrites après la mort du mari
par sa femme qui le croit à Florence (1802, 4 vol. in-12). Le
récit de Nodier intitulé Monsieur Cazotte ne mérite
aucune créance, car Nodier ne connaissait pas et n'avait jamais
pu voir l'auteur du Diable amoureux. |
|
|