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Les Arabes au Moyen âge
Le califat de Cordoue
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A l'initiative de  Moûsâ Noçaïr, wali du Maghreb pour le compte du calife omeyyade d'Orient, une armée, principalement composée de Berbères, avait pris pied au Sud de l'Espagne et remporté à Xérès (711), contre les Wisigoths, une victoire qui, très vite, avait livré à l'Empire arabe la plus grande partie de l'Espagne (à peine quelques défenseurs de l'indépendance purent-ils, sous la conduite de Pélage, rester libres dans les Asturies). D'abord province de l'Empire des Omeyyades d'Orient, cette Espagne musulmane, à laquelle on a donné le nom d'Al-Andalus,  résista à l'arrivé au pouvoir de la dynastie abbasside et se détacha. En 756, Abd al-Rahman Ier (Abdérame), un membre de la famille proscrite des Omeyyades, qui avait pu échapper au massacre de ses proches, fit d'Al-Andalus, un État séparé, l'émirat de Cordoue, devenu plus tard  le califat d'Occident ou de Cordoue et qui allait durer deux siècles.

Histoire politique du califat de Cordoue

Fondation. Prospérité et décadence.
Abd al-Rahman, petit-fils du calife Hescham avait ving ans. Après avoir erré en Égypte et dans le pays de Barqah, il trouva un asile chez les Berbères de l'Atlas, dans la puissante tribu des Zénètes, où il vécut quelque temps sous un nom supposé (750-755). A la même époque, quatre-vingts cheikhs de l'armée syrienne, restés fidèles au souvenir des Omeyyades, se réunissaient en secret à Cordoue, et l'un d'eux proposa le dernier rejeton de cette dynastie vénérée, le jeune Abd al-Rahman, dont il connaissait la retraite. Ce choix, qui devait rallier les musulmans d'Espagne, fut approuvé par tous les membres de l'assemblée. Le proscrit, qu'on vint chercher dans sa tribu du désert, accepta la haute destinée qu'on lui offrait, et débarqua avec quelques centaines de cavaliers près du port d'Almunecar (septembre 755). Les cheikhs syriens qui l'avaient élu accoururent à la tête de leurs tribus, et lui jurèrent obéissance « en lui prenant la main » suivant l'usage arabe. Toute l'Andalousie s'émut en sa faveur : Alméria, Malaga, Xérès lui ouvrent leurs portes, et bientôt il est reçu en triomphe à Séville à la tête de 20,000 guerriers (fin 755).

L'émir Yousouf, plein de fureur à ces nouvelles, ordonna à son fils de résister à tout prix dans Cordoue, et luimême avec son général Samaïl, alla rassembler toutes les troupes qui occupaient Tolède, Mérida et Valence. Abd al-Rahman comprit qu'il fallait conquérir son royaume à la pointe de l'épée, et poursuivant rapidement sa marche, il renversa le fils de Yousouf, et l'enferma dans Cordoue. Sans lever le siège de la ville, il détacha de son camp 10,000 cavaliers d'élite, se mit à leur tête, et attaqua résolument Yousouf et Samaïl, dont l'armée était très supérieure en nombre. La témérité d'Abd al-Rahman fut couronnée du plus éclatant succès à Mouzarah (mai 756) et la prise de Cordoue livra au vainqueur le siège de l'empire. L'ancien émir et son lieutenant, de nouveau défaits sur la plage d'Almunecar (757), consentirent à traiter, reprirent ensuite les armes en rassemblant les mécontents; Yousouf, enveloppé entre Mérida et Tolède, resta sur le champ de bataille (759). Samaïl fut jeté en prison où il mourut (760).

Vainqueur des dissidents d'Espagne, Abd al-Rahman fut menacé par un plus grand péril. Les Abbassides, après avoir exterminé les Omeyyades en Asie, les poursuivirent jusqu'en Europe : sur l'ordre du calife Almansour, le wali de Kairouan débarqua en 763 sur les côtes de l'Algarve, et proclama Abd al-Rahman usurpateur; mais les Africains furent vaincus près de Séville (763), et le wali fut tué avec 7000 de ses soldats. La soumission de l'Espagne était définitive, et Abd al-Rahman, qui avait déployé une admirable activité, fit construire, pour garder les côtes, des vaisseaux dans les ports de Carthagène, de Cadix et de Malaga; cette mesure eut un plein succès, et de longtemps les Maures d'Afrique n'osèrent plus tenter d'incursions (772).

La conquête de la Septimanie par Pépin le Bref (759) paraissait avoir fixé les Pyrénées comme limite des deux empires, franc et musulman. Mais en 777, Charlemagne, qui se trouvait alors en pleine Saxe, à Paderborn, vit arriver plusieurs vassaux rebelles de l'émir de Cordoue, qui lui montrèrent comme facile l'occupation de l'Aragon et de la Catalogne. Le roi franc se mit en route en 778, et passa les Pyrénées par la Navarre, où il prit et rasa Pampelune; il s'était avancé jusqu'à Saragosse, mais le wali de cette ville avait rassemblé des forces considérables, et Charlemagne fut contraint à la retraite : une partie de son armée, l'arrière-garde, fut écrasée à Roncevaux où périt Roland, son neveu selon la légende. La leçon ne fut pas perdue pour Charlemagne qui, résolu à faire respecter ses frontières, surtout par les populations indigènes, organisa vigoureusement la défense de l'Aquitaine, et la constitua en royaume pour son troisième fils, Louis (781). Le fondateur du califat de Cordoue, enfin libre de tout ennemi au dedans et au dehors, put consacrer ses dernières années aux soins et aux devoirs d'un gouvernement qui fut pour l'Espagne arabe une ère nouvelle. Il lui apportait en effet ce qui lui avait manqué jusque là : l'unité ; en la rendant indépendante de l'Orient et de l'Afrique, il lui assura une prospérité et une puissance qu'elle n'avait pas encore connues. Tout en se contentant du titre d'émir, il substitua son nom dans la prière publique à celui du calife de Bagdad, et fit frapper à Cordoue la même monnaie que les Omeyyades faisaient frapper à Damas. De grands travaux d'utilité publique marquèrent ce règne : Abd al-Rahman Ier fit construire à côté de l'alcazar royal, l'admirable mosquée ou Adjama de Cordoue. Lorsqu'il sentit approcher sa fin (787), il convoqua dans son palais les walis des six provinces, le Hadjeb ou Grand vizir, le Grand cadi ou chef des juges, et enfin le Divan ou conseil privé. Il leur déclara qu'il choisissait pour successeur Hescham, le plus jeune de ses trois fils, dont le nom fut dès lors joint à celui de son père dans la prière publique. Abd al-Rahman Ier mourut l'année suivante à Mérida (788).

En désignant comme héritier son troisième fils Hescham, Abd al-Rahman Ier avait ouvert l'ère des dissensions intestines, en livrant au caprice paternel l'ordre de succession dans la famille régnante, au lieu de l'établir sur une règle fixe, comme la primogéniture. La fatale expérience eut lieu sur le champ : les deux frères aînés d'Hescham, qui n'avaient pas osé protester contre la volonté de leur père vivant, revendiquèrent leurs droits et s'unirent pour renverser le calife qui les vainquit dans une sanglante bataille. Le premier, Abdallah, dut livrer Tolède, et reçut un généreux pardon; le second, Solyman, plus opiniâtre dans sa résistance, fut exilé à Tanger (790). Hescham, qui voulait, à la faveur d'une entreprise nationale, faire cesser les discordes intérieures, publia la guerre sainte (le jihad) contre les infidèles. Un corps d'armée fut envoyé contre les chrétiens des Asturies, et les resserra dans leurs montagnes ; mais au retour de l'expédition, les Arabes, chargés de butin, tombèrent dans une embuscade et furent taillés en pièces (196). C'est le premier succès que les Espagnols, restés indépendants, aient remporté sur les disciples de Mahomet. Dans son administration intérieure, Hescham Ier suivit religieusement les traces de son père : il fut appelé le Juste, et mourut jeune encore (796), après avoir désigné pour son successeur son fils Al Hakem ( = le Sage ou le Savant).

Le nouveau calife se trouva menacé par un double péril : la révolte de ses oncles Abdallah et Solyman, qui fut aisément réprimée (798-800), et l'expédition des Francs conduite par Louis, roi d'Aquitaine, qui prit Lérida, Girone et Barcelone (799). Alhakem ne put lui enlever cette conquête qui fut l'origine du comté de Barcelone, et après une guerre de pillage qui dura plusieurs années, il signa la paix avec Charlemagne à Aix-la-Chapelle (812). Irrité d'un complot formé contre lui par les habitants de Cordoue, il ordonna, malgré les prières de son fils Abd al-Rahman, un horrible massacre de la multitude (817). Une foule de proscrits durent se réfugier en Afrique et en Orient. Le remords, suivi d'une démence furieuse, emporta bientôt leur persécuteur (820).

Abd al-Rahman II, adoré de la nation, avait gouverné l'État pendant la maladie de son père : il eut encore à réprimer une dernière révolte de son grand-oncle Abdallah, qui fut encore pris et pardonné (822). Délivré des séditions intestines par la soumission des villes peuplées de Mozarabes ou anciens chrétiens, telles que Mérida et Tolède (835), Abd al-Rahman II ordonna une grande expédition maritime qui, partie de Tarragone et des Baléares, explora la Sardaigne, la Corse, et ravagea les côtes de la Provence (841). Mais tandis que sa flotte s'attardait au pillage dans la mer Méditerranée, de hardis pirates, les Vikings, traversaient la Manche et le golfe de Gascogne, et pénétrant dans le Tage avec 54 vaisseaux, détruisaient presque Lisbonne. Ces nouveaux Vandales pillèrent ensuite Cadix et même un faubourg de Séville (843). L'apparition de ces pirates, qui menaçaient aussi bien les chrétiens des Asturies que les musulmans eux-mêmes, ralentit la guerre contre les successeurs de Pélage pendant le règne d'Abd al-Rahman II. A l'époque de ce prince se rattachent les origines des royaumes de Navarre et d'Aragon, fondés par deux descendants des anciens ducs de Gascogne vers 831. Une autre famille française gouvernait à la fois la Gaule narbonnaise et la Catalogne sous les noms de ducs de Septimanie et de comtes de Barcelone. Au milieu du IXe siècle, les chrétiens occupaient déjà toute la lisière du Nord, d'une mer à l'autre, depuis les bouches du Douro jusqu'à celles de l'Èbre (850).

Abd al-Rahman II mourut en 852 : les historiens arabes ont vanté son savoir, sa douceur et sa magnificence. Il augmenta la flotte, éleva des aqueducs, fonda des mosquées, encouragea les manufactures, et surtout les fabriques d'armes de Cordoue et de Tolède, qui rivalisèrent avec celles de Damas.

Mohammed, l'un des quarante-cinq fils d'Abd al-Rahman II, n'eut à réprimer aucune révolte parmi tant de frères. Mais son règne n'en fut pas moins rempli par des troubles et des complots, que provoqua l'ambition des walis et des chefs berbères : Ce fut d'abord le gouverneur de Saragosse, Mousa, peut-être wisigoth d'origine et chrétien renégat, qui entraîna dans sa querelle son fils, le wali de Tolède, et s'allia aux chrétiens des Asturies, de Biscaye et de Navarre. Mohammed ne put reprendre ces deux villes qu'après la mort des deux rebelles (870). Une diversion plus puissante vint encore favoriser les progrès des chrétiens, en paralysant les forces musulmanes. Les querelles entre Arabes et Berbères se réveillèrent : dans les montagnes de Ronda, un chef de bandits, Hafsoun, avec une troupe d'aventuriers, bravait les poursuites des kaschefs ou gendarmes. Chassé de sa retraite, il s'établit sur la frontière d'Aragon, dans un fort inexpugnable, en réunissant tous ceux que la guerre civile avait habitués au pillage, Berbères ou juifs d'Afrique. Le plus vaillant des fils de Mohammed, Almondhyr, parvint pourtant à l'atteindre près d'Aybar, et l'écrasa avec ses alliés les Navarrais (882). Le calife avait été moins heureux contre les chrétiens des Asturies et de Galice : sa flotte avait été détruite par la tempête, à l'embouchure du Minho (868). Alphonse III, surnommé le Grand, maître non seulement des Asturies et de la Galice, mais de Léon et de la Vieille-Castille, prit Coïmbra et Porto en 876, et insulta Mérida. Une trève fut conclue en 883 à Cordoue, et l'ambassadeur d'Alphonse III fut un prélat espagnol, Dulcidius; Mohammed, en paix avec Alphonse III, et délivré du rebelle Hafsoun, acheva son règne paisiblement (886).

Son fils Almondhyr eut aussitôt à combattre la révolte de Caleb-Hafsoun, et de ses frères, qui rassemblèrent leurs partisans parmi les chrétiens, les juifs et les Arabes dissidents, prirent Saragosse, et s'avançèrent jusqu'à Tolède, qui se livra d'elle-même. Almondhyr ordonna à son frère Abdallah d'assiéger la ville rebelle, et lui-même, emporté par sa folle ardeur, succomba avec une faible escorte de cavaliers sous les coups de l'ennemi (888).

La mort de ce prince causa parmi les Arabes un deuil universel. Son frère Abdallah revint à Cordoue et se fit proclamer par le Conseil d'Etat. Cette élection parut irrégulière à ses deux frères qui entraînèrent dans leur parti le propre fils d'Abdallah, Muhamad : Xérès, Mérida, Séville se soulevèrent en leur faveur, et le pays de Jaën se déclara pour les fils d'Hafsoun. Le calife divisa ses forces pour faire face à tant de périls : son plus jeune fils Abd al-Rahman, qui n'avait pu ramener au devoir son frère Muhamad, le battit près de Séville; et le prince rebelle mourut des suites de ses blessures (895). Quant à Caleb, le fils d'Hafsoun, dont le parti s'était fortifié en Castille, il attaqua imprudemment le roi de Léon, Alphonse III, qui remporta à Zamora (901) une victoire aussi glorieuse pour les chrétiens qu'utile pour Abdallah. Celui-ci s'empressa en effet d'envoyer un messager au vainqueur pour l'assurer de sa neutralité, et cette démarche provoqua l'indignation des musulmans rigides, surtout à Séville. Le calife fut contraint de faire périr les chefs du complot, et parmi eux son frère Al-Kasim (903). Il mourut en 913.

Il avait désigné pour successeur, non pas son fils Abd al-Rahman le Victorieux qui commandait l'armée contre les rebelles, mais son petit-fils Abd al-Rahman, seul enfant de ce Muhamad qui avait péri en portant les armes contre son père. Le jeune prince, conduit à quatre ans à la cour de son aïeul, avait gagné sa tendresse, et avait reçu la plus brillante éducation. Calife à vingt-deux ans, il vit son oncle le Victorieux lui prêter le premier le serment d'obéissance. Pour mettre fin à la rébellion sans cesse renaissante des Hafsoun, il s'avança contre Caleb en Castille, et le défit dans une sanglante bataille (913). Ce qui avait si malheureusement prolongé cette lutte, ce n'étaient pas seulement des haines intestines et des convoitises de bandits : c'était aussi une coutume militaire, introduite par Ali, gendre du prophète, et qui défendait, en cas de guerre entre musulmans, de poursuivre l'ennemi au-delà d'un canton; ainsi la guerre était éternelle. Poussé par son oncle, et sur l'avis du divan, Abd al-Rahman III résolut de violer cette coutume qui tournait au profit des rebelles, et les troupes impériales, retrouvant leur liberté d'action, ne tardèrent pas à resserrer les derniers révoltés dans Tolède. Elle ouvrit ses portes après deux ans de siège (927). Ainsi fut étouffée, après soixante ans de combats, la plus opiniâtre révolte qui eût encore menacé le califat, et qui présageait par quelles mains il serait détruit, c'est-à-dire par les dissidents de toutes origines, et par les Berbères ou Africains.

Pendant cette longue guerre civile, les Espagnols avaient pu s'agrandir impunément; le petit domaine de Pélage était devenu un royaume, qui sous Ordoño II, successeur d'Alphonse III, changea sa capitale d'Oviedo pour Léon (914). Les chrétiens savaient réparer leurs désastres avec une patience tenace; ils savaient aussi profiter des troubles intérieurs qui éclataient chez leurs ennemis; ils soutinrent Djafar, fils de Caleb, et le roi de Léon Ramiro II reçut l'hommage du wali de Santarem, et vint piller Madrid, alors simple bourgade (935). Le calife, irrité de la trahison de son wali, et des agressions audacieuses des chrétiens, publia la guerre sainte, et leur offrit la bataille avec 100,000 soldats près de Zamora (938). Le seul résultat d'une victoire disputée et meurtrière fut la prise de cette ville. Abd al-Rahman Ill regagna Cordoue, et licencia ses troupes; la paix fut conclue pour dix ans (940).

Pendant cette trêve qui fut religieusement observée des deux parts, Abd al-Rahman III put achever en Afrique une entreprise importante. Les Edrissites, souverains du Maghreb dont Fez était la capitale, implorèrent les secours du calife contre une secte ennemie, et le reconnurent comme suzerain. La Maurétanie ou le Maghreb devint ainsi une annexe de l'Espagne, et fut enlevé à la domination de l'Orient (945). A la même époque, Abd al-Rahman déjà vieux s'associa son fils aîné Alhakem, mais fut réduit à condamner à mort son deuxième fils Abdallah, qui avait conspiré contre lui (949). La fin du règne fut paisible et prospère : il avait non seulement dompté les partis, mais encore concilié les familles, au moins provisoirement. Jamais le commerce de l'Espagne ne fut plus florissant avec l'Egypte, la Syrie et la Grèce. En 949, le calife reçut une ambassade solennelle de l'empereur de Constantinople, et le plus célèbre souverain de cette époque, l'empereur d'Allemagne Othon le Grand entra en relations avec lui. On construisit par ses ordres un grand nombre d'édifices publics, et c'est à lui qu'est dû le plus célèbre monument de la magnificence arabe, le palais d'Al-Zorah (ville des fleurs). Dans l'enivrement de sa puissance, il prit le titre d'émir Al-Moumenine ou de commandeur des croyants. En un mot, son règne qui dura près de cinquante années, marque l'apogée du califat de Cordoue (913-961).

Son successeur, Alhakem II, associé au trône depuis de longues années, loin d'intervenir dans les querelles des princes chrétiens, répondait à ses conseillers qui l'engageaient à en profiter :

« Soyez fidèles à vos conventions;  Dieu vous en demandera compte. »
Ce calife qui changea « les lances et les épées en bêches et en socs de charrue », encouragea le travail sous toutes ses formes. Il fut aussi le protecteur zélé des lettres et des arts, et enrichit la vaste bibliothèque du palais Merwan à Cordoue. Les étrangers affluaient dans les écoles arabes, et le célèbre moine français Gerbert, plus tard pape sous le nom de Sylvestre II, y puisa cette science qui parut merveilleuse à ses compatriotes.

Son fils unique, Hescham II, n'avait que dix ans, et n'en fut pas moins proclamé (976), grâce à l'énergie de sa mère, la sultane Sebéyah. Celle-ci choisit comme hadjeb ou premier ministre son secrétaire Moaféry, devenu si fameux sous le grand nom d'Almanzor ( = l'Invincible). Son gouvernement fut une ère de grandeur militaire, sinon de prospérité intérieure. II parcourut d'abord les provinces de l'empire, visitant les places fortes, et faisant exercer ses jeunes troupes réunies pour la guerre sainte. Lorsqu'il se mit en campagne, le trône de Léon était disputé par, deux compétiteurs, Ramiro III et Bermudo II (978). Grâce à ces dissensions, après quatre campagnes, Almanzor, s'était rendu maître de presque tout le comté de Castille,  et avait pris successivement Salamanque, Astorga, Zamora et enfin Léon (984). En 985, il tourna toutes ses forces contre les chrétiens de la Catalogne (qu'on appelait encore la terre d'Afranc ou des Francs); Barcelone, attaquée par terre et par mer, se rendit, et les habitants durent payer pour racheter leur vie « l'impôt du sang ». Le comte Borrel, qui gouvernait cette principauté, profita, il est vrai, de son départ pour recouvrer ses Etats. Les conquêtes n'étaient jamais définitives, et il fallait sans cesse les recommencer (La Reconquista).

Après un intervalle de quelques années, le hadjeb dirigea la plus lointaine et la plus glorieuse de ses expéditions (994). Marchant du Tage au Douro, il prit Coïmbra, Braga, Orense, et emporta d'assaut la ville sacrée de Santiago ou Saint-Jacques de Compostelle, dont les dépouilles furent transportées à Cordoue. Après tant de désastres, les chrétiens épuisés et rejetés au-delà de l'Ebre à l'Est, au-delà du Minho à l'Ouest, en étaient presque réduits au berceau de leur indépendance. L'Afrique les sauva par une diversion, en attirant sur elle les armes victorieuses d'Almanzor. Celui-ci dut suspendre ses conquêtes au Nord pour reprendre les provinces du Midi; il s'établit dans l'île Verte, entre l'Europe et l'Afrique, pour être à portée, tout en gouvernant l'Espagne, de diriger les opérations de l'armée, que commandait son fils Abdal-Malek dans le Maghreb. Après deux sanglantes campagnes, celui-ci rentra dans Fez (998), et le rebelle Jeïry alla mourir de ses blessures dans le désert (1000).

Ces évènements d'Afrique avaient donné aux Espagnols une trêve de cinq années : ils en profitèrent pour se rallier et pour préparer une commune défense. Incendiant à l'approche de l'ennemi leurs champs et leurs villages, comme pour faire un désert derrière eux, les Castillans étaient venus se réunir à ceux des Asturies, de Galice et de Léon, déjà renforcés des Navarrais et des Basques. Une armée formidable, commandée par le comte de Castille et le roi de Navarre, Sanche le Grand, marcha à la rencontre d'Almanzor qui, après avoir traversé la Castille ravagée, trouva les chrétiens campés sur les bords du Douro, près de Medina-Coeli, sous les murs de Catalanazor. Cette fois, l'infanterie espagnole, formée en bataillons serrés et en carrés profonds, repoussa toutes les attaques de la cavalerie arabe : Almanzor, désespéré de n'avoir pu vaincre, ordonna la retraite, repassa le Douro; et, dès qu'il eut mis son armée en sûreté, il déchira les appareils qui retenaient son sang et se laissa mourir (1002).

Il nous reste à retracer la sanglante agonie du califat blessé à mort avec Almanzor sur le champ de bataille de Catalanazor. La charge d'hadjeb passa d'abord au fils aîné du glorieux défunt, Abdel-Melek, qui continua dignement son père  mais il mourut subitement à Cordoue (1008) et avec lui s'éteignit la gloire de cette dynastie illustre des Alaméris, qui s'était greffée en quelque sorte sur la tige des Omeyyades. Le plus jeune fils d'Almanzor, Abder-Rhaman, ose aspirer au titre de calife, et arrache à l'incapable Hescham II, endormi sur le trône, la promesse de le reconnaître pour successeur, à défaut d'héritier direct. Cette imprudente ambition fut aussitôt châtiée par un parent du calife, l'Omeyyade Mohammed, qui profita de l'absence du ministre pour s'emparer de Cordoue par un coup de main (1009). Soutenu par la multitude, il vainquit et tua son rival, et maître de la personne d'Hescham II, il résolut d'attenter à sa vie. Sur les conseils de l'eunuque Wadha, il se contenta toutefois de l'enfermer dans une étroite prison, et fit répandre le bruit de sa mort. Mohammed fut aussitôt proclamé calife (1009).

Mais en ordonnant le licenciement et l'expulsion de la garde africaine, ou des Zénètes, il provoqua une terrible insurrection. Le chef de cette redoutable milice, Souleyman, chassé de Cordoue, acheta l'alliance de Sancho, comte de Castille, et l'armée du calife fut enfoncée par les Berbères et les chrétiens réunis près du fort de Kantich (1010). Mohammed se réfugie avec les débris de son armée à Tolède, dont son fils était wali, s'allie aux deux comtes de Barcelone et d'Urgel, et revient pour chasser de Cordoue les Africains qui avaient pillé le palais d'Alzorah. Ceux-ci, atteints près d'Algésiras dans leur fuite, se défendirent avec le courage du désespoir, et mirent en déroute les troupes plus nombreuses du calife, qui, abandonné par ses alliés catalans, est maudit par les Cordouans indignés de son alliance inutile avec les chrétiens. Dans cette situation désespérée, l'eunuque Wadha tira de sa prison, dont lui seul connaissait le secret, le faible Hescham II, et le présenta dans la grande mosquée à la foule surprise et bientôt enthousiasmée devant cette résurrection inattendue. Mohammed, caché quelque temps dans l'Alcazar, fut livré à son ancien maître, qui ne retrouva d'énergie que pour lui reprocher ses crimes, et lui fit trancher la tête (1011).

Wadha, qui gouvernait au nom d'Hescham, tint pendant deux ans en échec Souleyman et ses Africains; cet ancien esclave, parvenu à la dignité d'hadjeb, acheta l'alliance du comte Sancho de Castille, qui préféra, comme il le disait avec une politesse ironique, «-la cause du roi légitime Hescham à celle du rebelle Souleyman ». Mais le calife, en faisant mettre à mort son dernier défenseur Wadha, accusé de trahison, se perdit lui-même : les hordes africaines s'emparèrent de Cordoue, et livrèrent l'opulente cité pendant trois jours au pillage (1013). Hescham II disparut pour la seconde fois, et « nul, dit la chronique arabe, ne sut ce qu'il était advenu de lui ». Le triomphe odieux des Berbères et de leur chef Souleyman fut court : le wali de Tanger et de Ceuta, Ali-ben-Hamoud, appelé par les Arabes et les Andalous opprimés, remporta en 1016 une victoire décisive près de Séville, et tua de sa main Souleyman et son père. Proclamé calife, il fut assassiné à son tour à Cordoue (1018), tandis que les musulmans, restés fidèles aux Omeyyades, proclamaient un arrière-petit-fils d'Abd al-Rahman III, sous le nom d'Abd al-Rahman IV.

Dès lors règne la plus épouvantable confusion : les walis ou gouverneurs de provinces en profitent pour affecter une indépendance absolue. Le dernier des califes qui ait montré quelque énergie, Yahia, fils d'Ali, périt dans une embuscade sous les coups de Mouhamad-ben-Abed, gouverneur de Séville (1026). Hescham III, arraché à son obscure retraite par le divan de Cordoue (1027), tenta vainement de ramener les walis rebelles par la persuasion, et les pressa « de soutenir l'édifice ébranlé de la félicité publique ». Il fut déposé en 1031, et il quitta sur le champ le palais avec sa famille, pour regagner la retraite qu'il avait abandonnée à regret. 

Un historien rapporte qu'après la déposition d'Hescham, un jeune homme du sang d'Ommiah s'offrit pour occuper le trône; et comme les vieillards du Divan, par pitié pour sa jeunesse, refusaient de lui donner un titre qui lui eût coûté la vie : 

« Faites-moi calife aujourd'hui, dit-il, et tuez-moi demain. » 
Avec Hescham III s'éteignit la dynastie des Omeyyades qui régnait depuis près de trois siècles sur l'Espagne musulmane (755-1031).

L'histoire de l'Espagne arabe finit, à proprement parler, avec la chute du califat de Cordoue (1031); l'unité fait place au morcellement, et les musulmans ne sont plus que campés dans cette péninsule dont ils avaient été les maîtres absolus pendant plusieurs siècles. Les chrétiens espagnols, héritiers des Wisigoths et des Romains, après avoir lutté pour l'existence, vont désormais lutter pour la conquête : la vraie croisade va commencer, croisade offensive et ininterrompue, où les deux peuples et les deux religions combattront comme en champ clos jusqu'à l'entière expulsion de l'une par l'autre. Si les princes chrétiens avaient été plus unis, et s'ils n'avaient rencontré devant eux que les descendants amollis des premiers envahisseurs, le résultat n'aurait pas été douteux pendant plusieurs siècles encore; mais les Arabes d'Espagne avaient derrière eux l'Afrique et ses innombrables légions de Berbères et de Maures. Aussi la lutte change-t-elle de caractère, et les Africains ignorants et destructeurs, tout en soutenant la religion de Mahomet, sont au fond, plus que les chrétiens eux-mêmes, les ennemis de cette civilisation arabe si brillante au temps des califes. Retraçons-en donc le tableau, avant qu'elle n'ait disparu sous les coups des uns et des autres.

Institutions et civilisation des Arabes du califat de Cordoue

Le droit.
Le Coran, chez les musulmans de toutes origines, est à la fois leur Bible, leur code et leur charte. En Espagne, les califes de Cordoue, considérés comme les vicaires et successeurs du Prophète, réunissent, si l'on veut, la tiare et la couronne, et sont investis d'un pouvoir absolu en religion comme en politique. Le Divan ou conseil d'État aide, mais sans la balancer, leur puissance souveraine. L'administration, dans toutes ses branches, est confiée à des officiers toujours révocables : auprès du calife le hadjeb dirige les affaires générales et prend conseil du Divan; les provinces ont pour gouverneurs des walis, qui ont sous leurs ordres les wazirs ou lieutenants de districts, et les alcaïdes ou commandants de forteresses, Ces divers officiers réunissent tous les pouvoirs, comme le calife sur son trône.

Le Coran contient virtuellement toute la législation; il n'y a pas de corps de droit chez les Arabes; parmi les ordonnances des califes on ne peut citer qu'une seule loi civile. Il était interdit de rien retrancher ou de rien ajouter à la législation immuable et sacrée du livre. Le qadi ou juge devait présenter de grandes garanties morales : car il rendait, sans procédure, des jugements sans appel. Un tribunal supérieur, composé du qadi des qadis et de quatre assesseurs, jugeait les juges; le président était le personnage le plus considérable de l'État après le hadjeb.

La démographie.
La nation soumise au calife était une agrégation d'une foule de peuples avec des origines, des croyances, des lois, des langues et des moeurs diverses. 

Les musulmans, en petit nombre au début, s'étaient grossis des populations converties et conquises; il y avait parmi eux une sorte d'aristocratie héréditaire, qui avait le privilège exclusif des commandements militaires, des emplois civils et des dignités sacerdotales; ils conservaient d'ailleurs les distinctions de famille d'autrefois. A côté des vainqueurs primitifs venus de l'Arabie, étaient les Syriens, leurs premiers alliés dans la foi et dans les armes, puis les Égyptiens qui avaient aidé les Arabes à conquérir le reste de l'Afrique. Les descendants de ces trois populations formaient la tête du peuple musulman, la société élégante et polie qui était l'ornement de la cour de Cordoue. 

Au-dessous, les Maures ou Berbères s'étaient établis successivement en Espagne, à la suite de Mousa et d'Abd al-Rahman ler; jusqu'à la révolte du Berbère Souleyman (1013), et jusqu'au règne de l'Almoravide Yousef, ils étaient restés soldats, artisans ou laboureurs; ils formaient la masse du peuple, intermédiaire entre les tribus conquérantes et aristocratiques et les populations conquises. 

Les chrétiens, bien plus nombreux, se composaient des anciens Ibères, mêlés aux Romains et aux Wisigoths; ils avaient conservé, en vertu de capitulation, la liberté de religion et de cultes ainsi que leurs lois particulières et leurs juges, sauf pour les condamnations capitales, pour lesquelles le consentement des walis était obligatoire. La hiérarchie ecclésiastique avait été maintenue : les évêques gouvernaient leurs anciens diocèses, et ils n'étaient pas complètement exclus des charges de l'État, puisqu'on cite des évêques parmi les ambassadeurs envoyés par Abd al-Rahman III à l'empereur Othon le Grand.

Les juifs. En l'année 136, sous le règne d'Hadrien, 50,000 familles des tribus de Benjamin et de Juda s'étaient réfugiées en Espagne; elles vécurent en paix sous les Wisigoths, mais dans une condition avilie. Ils applaudirent à la conquête arabe qu'ils secondèrent, et malgré l'exode de 723 en Syrie, ils restèrent nombreux sous la domination des califes; ils devinrent percepteurs des impôts, intendants des riches, et se livraient surtout au commerce; ils jouissaient pour leur culte de la même tolérance que les chrétiens. 

A ces trois grands éléments de la population de l'Espagne musulmane, il faut ajouter beaucoup d'esclaves, les uns prisonniers de guerre, soit parmi les chrétiens, soit parmi les rebelles d'Afrique, les autres, Noirs achetés sur les marchés du Soudan.

La population de la péninsule a sans doute beaucoup varié depuis l'Antiquité jusqu'à la conquête arabe. A l'époque où Rome et Carthage se disputaient l'Espagne, elle était déjà considérable. Sous Auguste, la seule province de Tarraconaise avait 2,5 millions  d'habitants; c'est là un calcul que rend vraisemblable le passage où Cicéron dit :

« Nec numero Hispanos, nec robore Gallos, nec artibus Graecos superavimus. »
Pendant les derniers siècles de l'Empire, la dépopulation, amenée par la misère générale, fut aggravée par les invasions du Ve siècle. Une ère nouvelle s'ouvrit avec les Wisigoths venus avec leurs femmes et leurs enfants; sous Alaric II et sous Wamba, l'Espagne fut aussi peuplée qu'au IIIe siècle. La conquête arabe ne fut en quelque sorte qu'une simple prise de possession sans trop grande effusion de sang; les migrations africaines, et surtout le développement donné à l'industrie et à l'agriculture amenèrent un énorme accroissement. 

Sous les califes, l'Empire arabe comptait 80 grandes cités, et 300 villes de tout ordre. Cordoue possédait 200,000 maisons, 600 mosquées, 50 hôpitaux et 800 écoles publiques. Les campagnes n'étaient pas moins peuplées, surtout en Andalousie et dans la province de Valence. Les longues guerres civiles, le démembrement du califat, les sauvages incursions des Almoravides et des Almohades arrêtèrent pour longtemps cet essor; et les Espagnols, après avoir repris possession de toute la péninsule, ne crurent pouvoir vivre avec les juifs qu'ils chassèrent en 1492, sous Ferdinand et Isabelle, avec les Maures ou Morisques qu'ils expulsèrent définitivement en 1609, sous Philippe III. Il ne resta plus que les vieux chrétiens, et à coup sûr l'Espagne du XVIIe, et du XVIIIe siècle a été moins peuplée que l'Espagne arabe sous les califes.

L'armée.
L'armée ne fut jamais permanente : un seul corps était toujours sous les armes : c'étaient les cavaliers de la garde du calife, et les kaschefs ou gendarmes, chargés de la police intérieure. Devant une excursion ou algarade des chrétiens, le wasir du district ou le wali de la province menait au combat les hommes soumis à sa juridiction; pour une entreprise générale, le calife convoquait les guerriers de toutes les tribus; si elle était dirigée contre les ennemis de la Foi, on proclamait la guerre sainte ou jihad, et l'enrôlement était universel. Après le prélèvement d'un cinquième dans les dépouilles pour le souverain, le butin était également réparti; les cavaliers avaient une part double des fantassins. Le service militaire chez les Arabes n'était ni une obligation politique, ni une tenure féodale. Dans les guerres civiles, on s'attachait à la cause de sa famille ou de sa secte; mais dans les guerres nationales, c'était une obligation religieuse et un devoir sacré. On ne restait sous les drapeaux que l'espace d'une campagne; seulement, après la chute des Omeyyades, des musulmans zélés se vouèrent à la défense des frontières; unis par des serments réciproques, ils menaient une vie austère; c'étaient sous le nom de rabits, des chevaliers et des moines militaires. Des corps de mercenaires, qu'on appelait les « campeadores » et qui se recrutaient surtout chez les Espagnols, s'ajoutaient parfois à l'armée régulière; parmi eux figurera un des héros légendaires de l'Espagne chrétienne, qui fit ses premières armes à la solde du wali de Saragosse, sous le nom de Cid campeador.

La marine. Les mines. Les impôts.
La marine.
Dès le VIIIe siècle, les Arabes deviennent les premiers marins du monde : Mousa envoie une flotte explorer la Sardaigne et la Corse; en 827, les Aghlabites de Kairouan enlèvent la Sicile aux Grecs (Les dynasties musulmanes, § Aghlabites). Au XIe siècle, il est vrai, les Sardes, aidés par les Pisans et les Génois, recouvrent leur indépendance (1022), et la Sicile est reprise par les fils de Tancrède de Hauteville et leurs Normands (1061-1090). Malgré ces échecs, les Arabes, maîtres de l'Espagne, de la Syrie et de l'Afrique, firent pendant trois siècles de la mer Méditerranée un lac musulman. Les califes de Cordoue en particulier entretinrent toujours une puissante marine; Abd al-Rahman II, vers 840, fit dévaster les côtes de Provence et d'Italie; en revanche, la flotte envoyée contre la Galice par son successeur Mohammed fut détruite à l'embouchure du Minho (868). Le commerce était des plus actifs, surtout entre l'Espagne et les autres pays musulmans.

Les mines.
Le produit des mines fut moins abondant que sous les Carthaginois et les Romains : pendant le règne d'Al-Hakem II, les Arabes exploitent des mines d'or et d'argent dans les montagnes de Jaën et d'Aroche, et dans les Algarves; la pêche du corail était fructueuse sur les côtes d'Andalousie, celle des perles en Catalogne.

Les impôts.
Les impôts étaient de deux espèces : en nature et en numéraire. Le principal en nature était la dîme sur toutes les productions du sol et sur les troupeaux; elle n'atteignait que les terres possédées par les musulmans. Les propriétés des sujets non musulmans ou terres tributaires étaient soumises à un droit fixe en argent. En plus, il y avait les droits d'entrée et de sortie dans les villes, les douanes, aux frontières, et enfin la capitation sur les chrétiens et les juifs. Sous Al-Hakem II, les revenus en argent étaient évalués à 300 millions de notre monnaie, affectés aux dépenses générales de l'Empire (salaires, armées et flottes, mosquées, hôpitaux et écoles, édifices publics et forteresses). 

Outre les impôts réguliers, le calife avait droit au cinquième du butin de guerre; c'était la part du Prophète. Son trésor particulier se grossissait des successions en déchéance, des dons gratuits ; ses charges n'étaient pas moins grandes. Il avait à pourvoir à l'entretien d'une garde de 12.000 cavaliers, des bibliothèques, des écoles, aux frais des fêtes nationales et religieuses. Enfin, il offrait dans ses palais de Cordoue une hospitalité somptueuse.

Les arts et les techniques, les lettres, les sciences.
Transplantée de Syrie en Espagne, la civilisation arabe y fleurit avec non moins d'éclat. Cordoue égale Damas et Bagdad, surtout à l'époque d'Abd al-Rahman III et d'Al-Hakem II (913-976). La grande mosquée de Cordoue fut élevée par Abd al-Rahman Ier en 780. 

L'architecture.
L'architecture arabe ou moresque s'émancipe à Séville avec l'Alcazar et la tour de Giralda, et atteint la perfection avec l'Alhambra de Grenade. Les deux principaux monuments élevés par les califes, sont : l'Adjama, ou grande mosquée de Cordoue, et le palais d'Alzorah ou de la Fleur, bâti par Abd al-Rahman III. C'était le Versailles des Omeyyades d'Espagne; il a été entièrement détruit. Mais il reste encore pour juger les merveilles de l'architecture arabe en Espagne, la mosquita ou cathédrale de Cordoue, l'Alcazar de Séville et l'Alhambra de Grenade.

Les arts industriels.
Les Arabes excellèrent dans les arts industriels, la fabrication des tissus, des cuirs et des armes : les étoffes et soieries de Valence et de Grenade étaient aussi renommées que celles de Bagdad. L'industrie du cuir fut portée à sa perfection; elle fut transportée à Maroc après la ruine des Arabes par les Almoravides, de là le nom de maroquin, mais en Espagne, elle s'est toujours appelée cordovan. Les Arabes ont également appris à l'Europe l'art de la fabrication des armes et des armures; les fines cottes de mailles, impénétrables au fer des lances et des épées, les armes offensives fabriquées à Cordoue et à Tolède, étaient recherchées par toute l'Europe. Après la prise de Tolède (1085), les chrétiens héritèrent de ses manufactures, mais les armuriers célèbres étaient tous arabes, et avaient gardé seuls le secret et la tradition de leurs ancêtres. Lorsque les Morisques furent expulsés en 1609, les manufactures de Tolède perdirent leur supériorité.

L'agriculture.
C'est aux Arabes qu'on doit le premier code véritable d'agriculture : les nobles dirigeaient eux-mêmes la culture de leurs terres, et l'exemple était donné de haut, par les califes. La culture du riz, du safran, du mûrier pour alimenter les manufactures de soie, de la canne à sucre, tout cela prospéra jusqu'à l'expulsion des Morisques. Les provinces de Valence et de Grenade offraient surtout des modèles d'irrigation, et leurs campagnes s'appelaient par excellence la huerta et la vega. Un grand traité d'agriculture, divisé en trente-cinq chapitres, fut écrit par Abou-Alavan, de Séville; il portait ces mots pour épigraphe :

« Celui qui plante, qui sème et fait produire à la terre des aliments propres à l'homme et aux animaux, fait une aumône dont il lui sera tenu compte dans le ciel. »
La médecine.
La grande maxime des médecins arabes était : 
« Qu'il n'est de meilleur remède qu'une vie sobre et tempérante. » 
Leur réputation était si grande que Sancho Ier de Castille vint se faire guérir à Cordoue. Les plus célèbres furent Rhazès du Khorassan, mort en 923; puis Avicenne, né à Chiraz en 980, mort en 1037, tous les deux arabes syriens, mais attirés en Espagne. 

L'étude des sciences naturelles, botanique et alchimie, accéléra les progrès de la médecine, et la pharmacie fut d'abord une oeuvre arabe. 

Les mathématiques.
La science d'Euclide leur était connue tout entière, et l'algèbre leur appartient (L'histoire des mathématiques). Aussi passent-ils pour avoir cultivé avec plus de succès les sciences exactes et naturelles que les belles-lettres. 

La philosophie.
En philosophie, on les accuse d'avoir trop servilement copié Aristote; il y a eu toutefois quelques philosophes indépendants, comme Al-Kindi au IIIe siècle, et surtout Averroès, très audacieux et très indévot. 

Les lettres.
Les Arabes ont écrit un grand nombre de traités de la grammaire et la rhétorique; mais l'éloquence, chez eux toute sacrée et religieuse, n'a produit aucun orateur politique. La théologie et la jurisprudence ne pouvaient être que les commentaires du Coran.

On compte plus de 1200 historiens en langue arabe : les principaux sont : Al-Tabari né en 839, auteur de la première histoire universelle chez les musulmans jusqu'à l'année 302 de l'Hégire; Alboufaradj, né en 897, mort à Bagdad en 967, Omeyyade d'origine; Aboul-Féda, né à Damas en 1273, mort en 1331; parmi les historiens de l'Espagne, il faut citer Aben-Hayda traduit par Conde.

Le goût des récits d'aventure était très développé, et les conteurs affluaient à la cour du calife. Mais la poésie était surtout en honneur ; les souverains rivalisaient avec les poètes de profession, depuis le premier Abd al-Rahman jusqu'au dernier roi de Grenade (La littérature arabe).  (L. Geley).

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