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Bouilhet

Louis Hyacinthe Bouilhet est un écrivain français, né à Cany (Seine-Maritime) le 27 mai 1822, mort à Rouen le 18 juillet 1869. Fils d'un médecin des armées de l'Empire, il fut, après de brillantes études classiques au collège de Rouen, l'un des internes du père de Gustave Flaubert auquel le lia de bonne heure une amitié fraternelle. Il renonça bientôt à la chirurgie pour donner des répétitions de grec et de latin qui lui laissaient le loisir de se livrer aux lettres. 

Son début fut un poème en strophes de six vers, intitulé Mélaenis, publié d'abord dans la Revue de Paris, puis tiré à part (1851, in-4) et réimprimé dans le format in-18 (1857), savante et élégante restitution de Rome au temps de l'empereur Commode, mêlée à une tragique histoire d'amour. Dans d'autres poèmes intitulés les Fossiles, Bouilhet s'était proposé de retracer divers épisodes de convulsions géologiques du globe, comme il s'essaya plus tard à rimer de courtes pièces imitées du chinois : le tout a été réuni sous le titre de Festons et Astragales (1859, in-18). 

Le théâtre attirait Bouilhet et, malgré des revers, c'est à lui surtout qu'il dut sa notoriété. Madame de Montarcy, drame en cinq actes et en vers, reçu d'abord à correction au Théâtre Français, puis refusé à une seconde lecture, fut, après deux ans d'une nouvelle attente, joué à l'Odéon le 6 novembre 1856, et obtint soixante-dix-huit représentations consécutives. Malgré quelques réminiscences flagrantes des drames de Victor Hugo, cette peinture de la cour de Louis XIV dominé par Mme de Maintenon, décelait un vigoureux talent qui se fit jour sous une forme nouvelle dans Hélène Peyron, autre drame en cinq actes et en vers (Odéon, 11 novembre 1858), dont l'intrigue se déroulait dans un milieu exclusivement bourgeois et contemporain, de même que l'Oncle Million, comédie en cinq actes et en vers (Odéon, 6 décembre 1860). 
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L'Appel du roi

« LE ROI LOUIS XIV, à l'ambassadeur de Savoie.
Le Montferrat?... Jamais I... Votre duc voulait rire; 
Céder le Montferrat!

L'AMBASSADEUR DE SAVOIE, s'inclinant.
Vous y songerez, Sire.

LE ROI, à l'ambassadeur de Portugal.
Oh! pour le Portugal, je comprends le lien 
Qui l'attache...

L'AMBASSADEUR DE PORTUGAL, à voix basse.
On entend, Sire, notre entretien...

LE ROI, avec indifférence.
Vous croyez!... L'Angleterre a travaillé, sans doute...

L'AMBASSADEUR DE PORTUGAL
Sire...

LE ROI, très haut.
Qu'ai-je à cacher, lorsque mon peuple écoute? 
Monsieur l'ambassadeur, écartez ce souci :
Nous sommes en famille, on peut tout dire ici.
(S'adressant aux seigneurs.)
Vous ne le saviez pas, le Portugal nous aime!
Le Portugal, messieurs, brûle d'un zèle extrême, 
Et tout irait au mieux, si, pour couper le mal, 
Nous suivions simplement l'avis du Portugal! 
Il s'agit tout d'abord d'abandonner l'Espagne, 
Moyennant quoi, messieurs, on finit la campagne. 
Voilà tout... c'est très clair. La Savoie, à son tour, 
Exige, au plus, de nous, six mille francs par jour, 
Soixante mille écus par mois. C'est peu de chose.
Le Savoyard se donne!
(Se tournant vers les ambassadeurs.)
Ainsi donc on suppose
Que nous sommes, ici, bien perdus et bien bas,
Puisqu'on lâche après nous tous les petits États,
Et qu'éveillant partout des morgues ridicules,
On nous fait mordre au pied par les principicules!

L'AMBASSADEUR DE PORTUGAL, indigné.
Sire!

LE ROI, avec autorité.
Vous entendrez jusqu'au bout, s'il vous plaît. 
Nous avons écouté vos discours au complet!
Or donc, on vous a dit que l'heure était venue 
D'arracher par lambeaux la France toute nue, 
Et que, cachant l'ennui qui le ronge au dedans, 
Le vieux lion royal avait perdu ses dents!
On vous a dit cela, pour qu'avec tant d'audace,
Vous m'osiez marchander vos amitiés en face!
Me donner des conseils, vous à moi ! - C'est fort bien,
Mais, je le jure ici, vous ne connaissez rien. 
On vous abuse. - Ouvrez vos oreilles avides 
On nous dit fort gêné, mais nos coffres sont vides;
On ne nous croit que pauvre, et nous manquons de pain!
Écoutez!... au dedans, la misère et la faim;
Au dehors, la fortune à nos armes contraire.
- Voilà la vérité qu'on n'eût pas dû vous taire.
Car vous eussiez compris qu'en un tel désarroi 
C'est la pâleur au front qu'on aborde un grand roi 
Et que la France, enfin, sur sa couche inféconde, 
De ses deux bras mourants peut étouffer le monde! 
Eh bien! mon peuple est prêt pour les derniers efforts.
Plus de trêve aujourd'hui!... Nous nous sentons le corps
Assez ferme et dispos, malgré l'âge où nous sommes,
Pour monter à cheval, avec nos gentilshommes
, Et dresser, comme un mur impénétrable aux coups, 
Nos quarante ans de gloire entre la France et vous!
(Se retournant.)
C'est plaisir de manger dans de la porcelaine,
Quand nos buffets vidés font notre bourse pleine. 
Plus de froment, surtout, c'est par trop délicat
Nous mordrons comme un autre au pain noir du soldat,
Et si, jusqu'à la fin, le sort nous abandonne, 
Pour le dernier combat nous fondrons la couronne... 
Ça, qui de vous, messieurs, veut mourir avec moi?

LES SEIGNEURS
Tous! aux armes!
(Les épées sont tirées.)

LE ROI, saluant.
Voilà comme on répond au roi! »
 

(L. Bouilhet, extrait de Madame de Montarcy).

Louis Bouilhet revint au drame héroïque, où il se sentait plus à l'aise, avec Dolorès (4 actes en vers, Théâtre-Français, 22 septembre 1862), qui n'eut que quelques représentations; avec Faustine, cinq actes en prose (Porte-Saint-Martin, février 1864), assez mal accueillie du public habituel de ce théâtre et par la critique dont un des griefs fut précisément le soin et le luxe de la mise en scène; enfin et surtout avec la Conjuration d'Amboise, cinq actes en vers (Odéon, 29 octobre 1866), le plus grand succès de l'auteur. Déjà miné par la maladie qui ne lui permettait guère de remplir les fonctions de bibliothécaire de Rouen auxquelles il avait été appelé, Bouilhet put terminer néanmoins et faire recevoir à l'Odéon, en mai 1869, un nouveau drame, Mademoiselle Aïssé, représenté seulement en 1872 et qui, malgré de réelles qualités, disparut promptement de l'affiche.

Il laissait inachevées une comédie intitulée le Sexe faible et une féerie, le Coeur à droite, pour laquelle Flaubert fut son collaborateur. Ce fut celui-ci qui rassembla, sous le titre assez mal choisi de Dernières Chansons (1872, in-8, portrait gravé par L. Flameng), les poésies posthumes de son ami en y joignant une notice; ce fut également lui qui, après de longs débats avec la municipalité de Rouen, obtint qu'on élevât à Bouilhet un petit monument encastré dans la mur du nouvel édifice occupé par le musée à la bibliothèque.

Bien que Louis Bouilhet se soit toujours proclamé partisan de la poésie « objective et impersonnelle », quelques-uns de ses meilleurs vers sont précisément ceux où il a trahi le sentiment qui l'obsédait en les écrivant et les stances fameuses : A une Femme, où l'amour blessé a de si fiers et si dédaigneux accents, sont à bon droit célèbres. Doué d'une facilité rare et d'un don extraordinaire d'assimilation, il s'est parfois amusé à parodier les genres auxquels il était le plus hostile : Du Camp a conservé d'amusants spécimens de ces fantaisies, telles que le Bonnet de coton, chanson sur l'air du Dieu des bonnes gens, et quelques vers, d'une prétendue tragédie dont le sujet était : Jenner ou la Découverte de la vaccine. (Maurice Tourneux).

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