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Les Fleurs du Mal
Charles Baudelaire

Le Jet d'eau

Baudelaire
1857 
Tes beaux yeux sont las, pauvre amante!
Reste longtemps sans les rouvrir,
Dans cette pose nonchalante
Où t'a surprise le plaisir.
Dans la cour le jet d'eau qui jase
Et ne se tait ni nuit ni jour,
Entretient doucement l'extase
Où ce soir m'a plongé l'amour.

    La gerbe épanouie
      En mille fleurs,
    Où Phoebé réjouie
      Met ses couleurs,
    Tombe comme une pluie
      De larges pleurs.

Ainsi ton âme qu'incendie
L'éclair brûlant des voluptés
S'élance, rapide et hardie,
Vers les vastes cieux enchantés.
Puis, elle s'épanche, mourante,
En un flot de triste langueur,
Qui par une invisible pente
Descend jusqu'au fond de mon coeur.

    La gerbe épanouie
      En mille fleurs,
    Où Phoebé réjouie
      Met ses couleurs,
    Tombe comme une pluie
      De larges pleurs.

Ô toi, que la nuit rend si belle,
Qu'il m'est doux, penché vers tes seins,
D'écouter la plainte éternelle
Qui sanglote dans les bassins!
Lune, eau sonore, nuit bénie,
Arbres qui frissonnez autour,
Votre pure mélancolie
Est le miroir de mon amour.

    La gerbe épanouie
      En mille fleurs,
    Où Phoebé réjouie
      Met ses couleurs,
    Tombe comme une pluie
      De larges pleurs.

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© Serge Jodra, 2006. - Reproduction interdite.