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Bastiat

Frédéric Bastiat est un économiste né à Bayonne le 29 juin 1801, et mort à Rome le 24 décembre 1850. Fils d'un négociant aisé de Bayonne, Frédéric Bastiat devint orphelin de bonne heure et passa sous la tutelle de son aïeul paternel, possesseur d'un domaine important près de Mugron (Landes). La première jeunesse du futur, représentant se passa sans incident remarquable. En 1827, devenu propriétaire de domaines assez étendus, il essaya de les exploiter lui-même, mais renonça bientôt à ces essais agricoles qui ne furent pas heureux. On le trouve plus tard juge de paix à Mugron, qu'il habita jusqu'en 1844, époque où il devint subitement célèbre. 
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Bastiat.
Frédéric Bastiat (1801-1850).

Ce n'est pas que durant cette période de sa vie, consacrée à des études calmes et continues, Bastiat soit resté inactif. Il fut comme on dit une célébrité de clocher. Aux élections du mois de novembre 1830, il publie une adresse aux électeurs du département des Landes pour soutenir un candidat à la députation qui n'avait pas fait partie des 221; il maintint que, le mandat législatif ne doit pas être exclusivement une récompense. Successivement candidat lui-même, mais sans succès, il lance des professions de foi qui dénotent une grande défiance de l'état et des monopoles. En 1834, il attaque dans un écrit une pétition des chambres de commerce de Bordeaux et du Havre qui demandait la libre entrée des matières premières. Il veut qu'on détaxe également les objets fabriqués. 

Bastiat n'était guère encore qu'un inconnu, lorsqu'un numéro du journal anglais The Globe and Traveller lui tomba par hasard sous la main; il connut alors l'existence de ce grand mouvement réformiste tenté par Richard Cobden pour détaxer les blés et sauver malgré elle l'aristocratie anglaise qu'une révolution pouvait anéantir. On était en 1844; il envoya à Paris, au Journal des Économistes, un article intitulé : de l'influence des tarifs français et anglais sur l'avenir des deux peuples. Le succès fut considérable. Bastiat écrivit alors à Cobden, déclara que la question qui s'agitait n'était pas seulement anglaise mais universelle, et pouvait être résolue sous le régime constitutionnel. L'écrivain se rendit à Bordeaux où il organisa le mouvement libre-échangiste (Le libéralisme économique) qui commençait, puis vint à Paris.

Nourri des écrits de Smith, de Say, de Destutt de Tracy, de Ch. Comte, il arriva dans les bureaux du Journal des Economistes où nul ne le connaissait. Il avait, a écrit Molinari, une physionomie de campagnard malicieuse et spirituelle; l'oeil noir, vif et lumineux; tout, en lui portait l'empreinte de la pensée. C'était l'instant où les idées de la ligue des céréales ayant traversé le détroit, des hommes de courage et d'intelligence tels que Blanqui aîné, Joseph Garnier, Guillaumin, le duc d'Harcourt, organisaient des meetings en faveur du libre-échange. C'était une recrue puissante qui arrivait du fond des Landes. 

Bastiat, bientôt secrétaire de la commission centrale, correspondit avec tous, et fonda la journal le Libre-Echange. Il publia à ce moment une lettre à Lamartine sur la question des subsistances. Il reprochait au grand poète, dont la manifestation d'opinion était impatiemment attendue, de vouloir le droit au travail et le socialisme
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Journal Le Libre-Echange.
Le Libre-Echange (numéro du 20 février 1848).

Lutte pour le libre-échange et contre le socialisme, tel sera désormais le labeur qui incombera à Bastiat, et remplira le temps qui lui reste à vivre. Le coup de tonnerre de 1848 éclate, le mouvement libre-échangiste est abandonné, ceux qui l'avaient provoqué tournent leurs efforts contre le socialisme. Bastiat est envoyé à l'Assemblée nationale par les électeurs des Landes; il entre dans une nouvelle phase de son existence, la plus laborieuse et la dernière.

Le nouvel élu professait cette doctrine : que l'état social, tel qu'il était constitué, suffisait pour donner à tous, par le travail et l'économie, une existence heureuse. Il voulait maintenir toujours le gouvernement existant; c'est ainsi qu'aux élections présidentielles de 1848, il vota pour le général Cavaignac. Ce qui l'effraie dans la Révolution de 1848, c'est la curée des places. Il s'en explique dans le journal la République française et écrit à un ami :

« Il sutffirait pourtant de diminuer les taxes. Simple curieux, je verrai le mât de cocagne sans y monter, la liberté y périra. » 
Du reste, il se lança hardiment dans le mêlée, ouvrit un cours rue Taranne, et harangua les ouvriers dans les réunions publiques, se plaisant à constater que seuls les journaux de la démocratie donnaient aux questions économiques et sociales l'importance qu'elles méritent.

Son influence était grande à l'Assemblée nationale; il fut nommé 8 fois vice-président du comité des finances. A la Législative, il prononça un discours sur l'abolition de l'impôt sur les boissons, discours plein de sentiments démocratiques; le déficit, suivant lui, devait être couvert par des économies. Il professait du reste cette opinion : que dans un vote, les considération économiques l'emportent sur les questions de politique pure. Dans un autre discours, en novembre 1849, il réclama la liberté des coalitions; c'est à ce moment qu'il demanda à l'assemblée « de l'indulgence pour ses poumons ». En effet, déjà d'une faible santé durant ses années de calme et d'étude à Mugron, il était miné par la phtisie.
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Stulta et Puera

« Il y avait, n'importe où, deux villes, Stulta et Puera. Elles construisirent à gros frais une route qui les rattachait l'une à l'autre. Quand cela fut fait, Stulta se dit : 

« Voici que Puera m'inonde de ses produits, il faut y aviser. » 
En conséquence, elle créa et paya un corps d'Enrayeurs, ainsi nommés parce que leur mission était de mettre des obstacles aux convois qui arrivaient de Puera. Bientôt après, Puera eut aussi un corps d'Enrayeurs.

Au bout de quelques siècles, les lumières ayant fait de grands progrès, la capacité de Puera se haussa jusqu'à lui faire découvrir que ces obstacles réciproques pourraient bien n'être que réciproquement nuisibles. Elle envoya un diplomate à Stulta, lequel, sauf la phraséologie officielle, parla en ce sens : 

« Nous avons créé une route, et maintenant nous embarrassons cette route. Cela est absurde. Mieux eût valu laisser les choses dans leur premier état. Nous n'aurions pas eu à payer la route d'abord, et puis les embarras. Au nom de Puera, je viens vous proposer, non point de renoncer tout à coup à nous opposer des obstacles mutuels, ce serait agir selon un principe, et nous méprisons autant que vous les principes, mais d'atténuer quelque peu ces obstacles, en ayant soin de pondérer équitablement à cet égard nos sacrifices respectifs. » 
Ainsi parla le diplomate. Stulta demanda du temps pour réfléchir. Elle consulta tour à tour ses fabricants, ses agriculteurs. Enfin au bout de quelques années, elle déclara que les négociations étaient rompues.

A cette nouvelle, les habitants de Puera tinrent conseil. Un vieillard (on a toujours soupçonné qu'il avait été secrètement acheté par Stulta) se leva et dit :

« Les obstacles créés par Stulta nuisent à nos ventes, c'est un malheur. Ceux que nous avons créés nuisent à nos achats et c'est un autre malheur. Nous ne pouvons rien sur le premier, mais le second dépend de nous. Délivrons-nous au moins de l'un, puisque nous ne pouvons nous défaire des deux. Supprimons nos Enrayeurs sans exiger que Stulta en fasse autant. Un jour sans doute elle apprendra à mieux faire ses comptes. »
Un second conseiller, homme de pratique et de faits, exempt de principes et nourri de la vieille expérience des ancêtres, répliqua : 
« N'écoutons pas ce rêveur, ce théoricien, ce novateur, cet utopiste, cet économiste, ce stultomane. Nous serions perdus si les embarras de la route n'étaient pas bien égalisés, équilibrés et pondérés entre Stulta et Puera. Il y aurait plus de difficultés pour aller que pour venir, et pour exporter que pour importer. Nous serions, relativement à Stulta dans les conditions d'infériorité où se trouvent le Havre, Nantes, Bordeaux, Lisbonne, Londres, Hambourg, la Nouvelle-Orléans, par rapport aux villes placées aux sources de la Seine, de la Loire, de la Garonne, du Tage, de la Tamise, de l'Elbe et du Mississippi; car il y a plus de difficultés à remonter les fleuves qu'à les descendre.
- (Une voix : Les villes des embouchures ont prospéré plus que celles des sources).
- Ce n'est pas possible. 
- (La même voix : Mais cela est). 
- Eh bien, elles ont prospéré contre les règles. » 
Un raisonnement si concluant ébranla l'assemblée. L'orateur acheva de la convaincre en parlant d'indépendance nationale, d'honneur national, de dignité nationale, de travail national, d'inondation de produits, de tributs, de concurrence meurtrière; bref, il emporta le maintien des obstacles; et, si vous en êtes curieux, je puis vous conduire en certain pays où vous verrez de vos yeux des cantonniers et des enrayeurs travaillant de la meilleure intelligence du monde, par décret de la même assemblée législative et aux frais des mêmes contribuables, les uns à déblayer la route et les autres à l'embarrasser. »
 
F. Bastiat (extrait des Sophismes économiques, 1847).

Aux discours à la tribune qu'il lui était difficile de prononcer, il substitua des écrits publiés au cours des discussions. C'est ainsi qu'on eut de lui : Paix et liberté, Incompatibilité parlementaire, Baccalauréat et socialisme, Spoliation et loi, la Loi, etc., travaux pleins de lucidité comme de science, et qui figurent dans la collection de ses oeuvres complètes, sous le titre de : Petits pamphlets. A cette époque eut lieu sa lutte célèbre avec Proudhon sur le légitimité de l'intérêt. L'un des pamphlets de Bastiat intitulé Capital et rente avait été attaqué le 22 octobre 1849, dans le journal de Proudhon, la Voix du peuple, par un des rédacteurs, Chevé. Bastiat envoya une réponse qui fut insérée dans le même journal, mais avec cet avertissement qu'il aurait à batailler désormais non contre Chevé, mais contre Proudhon. 

Le nombre des lettres échangées fut de 14. Bastiat soutenait que l'intérêt était légitime, le capital étant formé par l'économie. Proudhon attaquait l'infâme, l'odieux capital, qualifiant d'usure tout ce qui ne résultait pas du travail du capitaliste. Il se faisait fort de remplacer immédiatement la Banque, « mal nommée de France », par une Banque dite du peuple. La logique de Bastiat fut tellement serrée que son adversaire, d'ailleurs persécuté par le gouvernement, amena l'interruption de la polémique par ses violences. 

« Scientifiquement, lui dit-il, vous êtes un homme mort. Ma consultation va commencer pour vous cette éducation intellectuelle, sans laquelle on n'est, suivant Aristote, qu'un animal parlant. » 
Durant la polémique, Proudhon avait vu manquer sa souscription à la Banque du peuple, on l'avait enfermé à Sainte-Pélagie, la Voix du Peuple était supprimée. Son adversaire termina la polémique par une lettre pleine de dignité. 

A ce moment Bastiat voyait plus que jamais décliner sa santé; au mois de septembre 1850, il alla demander au climat d'Italie une guérison qu'il n'espérait guère; il s'éteignit à Rome à l'âge de quarante-neuf ans, laissant incomplet le manuscrit des Harmonies économiques, son plus important ouvrage.  (A. Mercier).

Il faudrait énumérer tous les livres de Bastiat, nous citerons seulement : Cobden et la Ligue (Paris, 1845, in-8); Sophismes économiques (Paris, 1847-1848, 2 vol, in-16); Harmonies économiques (Paris, 1850, in-8), l'ouvrage n'a pas été terminé. Outre ces livres et la multitude de ses pamphlets, Bastiat a laissé de nombreux articles de revue, notamment dans le Journal des Economistes. On a publié de lui, en 1877, des lettres intimes d'un tour agréable et délicat.
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