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Les bardes
Les bardes étaient des poètes et chanteurs chez les Celtes. Les Gaulois reconnaissaient trois catégories dans la classe des lettrés : les druides, les devins et les bardes. César ne mentionne que les premiers. Le nom des bardes pourtant, un vocable évidemment d'origine celtique, nous est, comme celui des druides, aussi connu que leur rôle et leurs attributions le sont peu.

C'étaient des poètes lyriques, sans métaphore; dans plus d'un auteur latin, l'instrument dont ils s'accompagnaient pour « chanter la louange des uns et faire la satire des autres », est appelé crotta : on a prétendu que de là est dérivée la rote. Quelquefois on a confondu les bardes avec les druides, et on les a pris pour des druides d'un ordre inférieur. Il est probable, pour la Gaule du moins, que ceux-ci n'ont eu rien, ou presque rien, de commun avec ceux-là. Les bardes gaulois ont survécu au druidisme, « dont il n'est plus parlé, au présent, après le Ier siècle de notre ère; ils ont duré sans doute autant que la langue nationale » (Arbois de Jubainville) et ils ont disparu fatalement avec elle, c.-à-d. assez longtemps avant l'arrivée de ces autres bardes « portés en Armorique par les émigrés bretons », du Ve au VIIe siècle; et c'est même de ces derniers qu'il s'agit exclusivement, lorsqu'il est question de ces noms d'homme, encore très répandus dans la Bretagne armoricaine et qui sont venus du mot antique : Bars, Barzic, Le Bars ou Lebars. D'un autre côté, l'on retrouve aussi chez quelques auteurs latins comme nom propre le mot Bardus.

Les bardes irlandais avaient une situation humiliante; on les mettait au-dessous des file; ils étaient en butte au mépris de ces poètes et devins : 

« Ils n'ont besoin de rien savoir, disent les lois irlandaises; leur intelligence naturelle leur suffit. La connaissance des lettres ogamiques ne leur est pas nécessaire, ni celle du mètre poétique. » 
C'étaient tout à fait, dans le sens vulgarisé par les traditionnistes, des chanteurs populaires. Les représentants de la poésie pour ainsi dire officielle étaient tous des lettrés; une injure grave à leur adresser était de leur dire qu'ils « dégénéraient à ce point qu'ils n'étaient plus que des bardes ». On voit que le célèbre Ossian, fils de Fingal, ne pouvait appartenir à la catégorie de ces pauvres gens du commun. Les bardes de la Bretagne insulaire  n'étaient pas d'une aussi basse condition que leurs confrères de l'Irlande, et ils ont eu la vie plus dure que ceux de la Gaule; on les retrouve encore, à l'état ancien, jusqu'au VIIIesiècle. 

Leur vitalité a-t-elle tenu aux grands honneurs dont ils étaient l'objet? Ils se sont vus les seuls représentants de la classe des lettrés. Ils formaient une véritable corporation; et la législation d'alors s'occupe de leurs privilèges. Ils avaient leur place marquée à la table même du roi. Le barde royal était le huitième officier du palais; en temps de guerre, il avait pour charge de chanter principalement le poème intitulé : Monarchie de Bretagne

On observait chez les bardes bretons, comme entre les druides et les file d'Irlande, des degrés ; tous n'avaient pas droit aux mêmes honneurs et aux mêmes privilèges. Les plus fameux ont été Taliésin, Aneurin, Liwarc'h-Henn, etc. Il est permis d'avancer que les chanteurs gallois de l'époque néo-celtique sont les héritiers presque directs des anciens bardes (la Littérature galloise); leurs instruments de musique se sont appelés successivement pibgorn, crwth, telyn, etc. A part cet accompagnement, qui est entre leurs mains autre chose qu'un accessoire de couleur locale, on serait tenté de les assimiler à des poètes, vu leur art consommé, plutôt qu'à des bardes, suivant l'acception moderne de ces deux mots.

Quand les Bretons insulaires furent poussés vers l'Armorique par l'invasion saxonne, vers le Ve siècle, la langue latine avait depuis longtemps étouffé le bardisme dans la Gaule. Les bardes suivirent en exil les princes et les nobles de Cambrie. Mais d'autres poètes se mêlaient à ces chanteurs nationaux; déjà le christianisme ouvrait à la poésie une source nouvelle d'inspiration : au personnage mythique de Merlin ou Marzin et à Gwenc'hlan, on associe à cette époque, S. Sulio et S. Hervé l'aveugle. 

Chez les Bretons-Armoricains, les bardes sont devenus « l'ornement de toutes les fêtes populaires; ils s'assoient et chantent à la table des fermiers, ils figurent dans les mariages du peuple, ils fiancent les futurs époux en vertu de leur art, selon d'antiques et invariables rites, même avant que la cérémonie religieuse ait eu lieu. ils ont leur part dans les présents de noces. Ils jouissent d'une grande liberté de parole, d'une certaine autorité morale, d'un certain empire sur les esprits. » (Villemarqué).
Mais les choses, avec le temps, tendent à changer. Les bardes des temps modernes  ne descendent guère de leurs ancêtres du même nom, et même le mot bardisme, malgré sa terminaison moderne, est un vocable sans application. Au XIXe siècle, encore, les bardes bretons, pour n'être plus constitués en caste, sont toutefois une classe assez nombreuse encore. D'abord, les bardes-mendiants : ils gagnent leur pain à chanter, fréquentent les foires, errent de ferme en ferme, ou se trouvent sur les grands chemins, attendant le passage des diligences et courant après les voyageurs jusqu'à ce qu'on leur ait jeté « le petit sou de la charité ». Ceux-là ne portent que leurs propres élucubrations, souvent imprimées sur des feuilles volantes.

Voilà les chanteurs de profession. Autre chose, ceux qui ont un métier avoué. Il est incontestable que les meuniers, les tailleurs, les tisserands, sont les plus sûrs dépositaires de la véritable poésie populaire. Aussi bien que les bardes ambulants, ils composent eux-mêmes une satire, ou une chanson légère, ou une élégie sur des faits récents. Comme ils ne riment pas pour vivre, mais qu'ils « chantent pour rire », on trouve toujours quelque chose de bon à prendre dans ce qu'ils offrent. Le kloarek (écolier de séminaire) fut aussi un chanteur de renom. Les chants de kloer feraient tout un cycle, surtout ceux du pays de Tréguier. Mais l'internat a mis fin partout à la vie libre
du kloarek et à ses chansons d'amour. La poésie d'une culture ne disparaît pas avant la langue qui l'a produite; elle se transforme, suivant les âges, avec la population qui se sert de cet idiome. Les bardes ont encore bien du temps à vivre. (N. Quellien).

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