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La Grande Guerre
L'attentat de Sarajevo
28 juin 1914
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L'assassinat (28 juin 1914) à Sarajevo, capitale de la Bosnie, de l'archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d'Autriche-Hongrie, ainsi que de son épouse Sophie de Hohenberg, a été le prologue, sinon la cause immédiate, de la Première Guerre mondiale. Il a donné lieu à des controverses passionnées et se rattache au problème général des responsabilités de guerre.

Les antécédents.
L'archiduc François-Ferdinand d'Autriche-Este, né à Gratz en 1863, fils du second frère de l'empereur François-Joseph, était héritier du trône des Habsbourg depuis la mort de son père en 1896. Il avait épousé morganatiquement une Tchèque, la com tesse Chotek, qui devint duchesse de Hohenberg. Il dut alors signer un acte solennel de renonciation qui excluait ses enfants de la succession au trône et interdisait à la comtesse Chotek de prétendre au rang d'impératrice.

L'archiduc François-Ferdinand, très attaché à la religion catholique, passait pour fort autoritaire et son entourage ne dissimulait pas qu'il avait, dans bien des questions politiques, une manière de voir opposée à celle de François-Joseph. Aussi la Hofburg avait-elle pris soin de limiter son activité aux questions militaires; il exerçait, lors de l'attentat, les fonctions d'inspecteur général de l'armée impériale et royale. On lui attribuait - et son mariage vint confirmer cette impression - des sentiments assez favorables aux Slaves de la Double-Monarchie. Il semble qu'il ait nourri le projet de substituer au dualisme austro-hongrois en vigueur depuis 1867 une base « trialiste » qui avait placé plus ou moins sur un pied d'égalité l'Autriche, la Hongrie et la Croatie.

Ce projet et certaines attitudes de sa vie publique l'avaient par contre rendu impopulaire en Hongrie, où l'on considérait son avènement comme une menace pour la situation privilégiée dont les Magyars jouissaient depuis un demi-siècle dans la Double-Monarchie.

A première vue, on pouvait croire que son inclination pour les Slaves lui vaudrait la sympathie ou l'appui de ceux-ci. Il n'en fut rien : bien au contraire, le développement rapide de la conscience des nationalités slaves (tchèque, croate, etc.) avait accrédité, dans les groupements placés à la pointe de ce mouvement, l'idée qu'un empereur ménageant les Slaves endormirait les aspirations des masses et ajournerait à une date éloignée la réalisation du suprême objectif des nationalistes : l'indépendance.

C'est une des causes de l'aversion que rencontra la personnalité de l'archiduc dans les milieux irrédentistes. Cette aversion prit sa forme la plus dangereuse dans les provinces de la Double-Monarchie que travaillait l'esprit révolutionnaire, la Croatie et surtout la Bosnie-Herzégovine.
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François Ferdinand d'Autriche et son épouse, une heure avant l'attentat de Sarajevo.
L'archiduc François-Ferdinand d'Autriche et Sophie de Hohenberg,
une heure avant l'attentat de Sarajevo.

L'annexion de la Bosnie-Herzégovine par l'Autriche en 1908 avait été en effet le point de départ d'une ère de tension entre Vienne et Belgrade, et les éléments nationalistes de Bosnie et d'Herzégovine, les yeux fixés sur la Serbie indépendante, entretenaient contre la domination des Habsbourg une agitation croissante, La génération parvenue à l'âge adulte depuis l'annexion, et surtout au temps des guerres balkaniques (1912-1913), vivait dans un état de révolte latente, dans une atmosphère d'attentats. Sous ce rapport, le crime de Sarajevo - les déclarations des assassins et de leurs complices en témoignent explicitement - est le suprême épisode de la lutte engagée sur le sol de l'Autriche-Hongrie entre Slaves et Germains.

L'attentat. 
Au printemps de 1914, les autorités autrichiennes décidèrent de faire exécuter en Bosnie-Herzégovine des manoeuvres d'armée auxquelles participeraient les XVe (Sarajevo) et XVIe (Raguse / Dubrovnik) corps, ainsi que des éléments du XIIIe (Zagreb). Ces manoeuvres auraient pour thème une attaque contre la Serbie. Le dimanche 28 juin, la fin des opérations serait marquée par une visite solennelle de l'archiduc héritier d'Autriche et de sa femme à la ville de Sarajevo.

Dans l'état d'effervescence où étaient les esprits en Bosnie-Herzégovine, cette décision fut regardée par de nombreux Slaves comme une provocation, d'une part en raison du thème des manoeuvres, d'autre part du jour choisi pour la visite de l'archiduc. Le 28 juin ou Vidovdan est la date commémorative de l'effondrement de l'Empire serbe médiéval à la bataille de Kosovo (1389) et aussi de la fin victorieuse des guerres balkaniques. Cette date est célébrée chaque année par les peuples serbes avec une solennité particulière. Le choix d'un pareil jour pour la visite de l'archiduc offrait ainsi un nouveau motif de surexcitation aux passions des nationalistes.

Il semble bien d'ailleurs que François-Ferdinand ait eu le pressentiment du sort qui l'attendait en allant dans la capitale de la Bosnie et qu'il ait fait part de ses appréhensions à ses intimes. La police autrichienne eut, d'autre côté, certaines indications relatives à un complot. Néanmoins le voyage eut lieu, et les précautions habituelles en pareil cas (celles, par exemple, qui avaient été prises lors de la visite de l'empereur François-Joseph en 1910) furent négligées, en raison, paraît-il, d'un manque de liaison entre le gouvernement provincial et l'autorité militaire.

Le 28 juin, le cortège officiel fit son apparition dans la principale rue de Sarajevo, se dirigeant vers l'hôtel de ville. François-Ferdinand, son épouse et le gouverneur militaire de Bosnie-Herzégovine, le feld-maréchal Potiorek, avaient pris place dans la même automobile. A mi-chemin, une bombe fut lancée contre eux : elle fit ricochet sur la voiture et éclata sur le sol, en blessant un officier de l'escorte et quelques curieux. L'auteur de l'attentat fut appréhendé c'était un étudiant nommé Tchabrinovitch.
Le cortège n'en continua pas moins son chemin jusqu'à l'hôtel de ville, où le couple princier fut reçu et complimenté par le maire. 
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L'attentent de Sarajevo.
L'attentat de Sarajevo.

La réception terminée, l'archiduc exprima le désir de se rendre à l'hôpital, au chevet de l'officier blessé par la bombe. L'automobile repartit : à l'angle de la rue François-Joseph et du quai, elle essuya deux coups de revolver tirés à quatre ou cinq mètres de distance. L'archiduc fut blessé au cou, sa femme à l'abdomen. Transportés tous deux à l'hôtel du gouverneur, ils y moururent quelques minutes plus tard sans avoir repris connaissance. La police s'était assurée de la personne du meurtrier, un autre étudiant nomme Gavrilo Prinzip (ou Princip). Les auteurs des deux attentats étaient des slaves, mais de nationalité austro-hongroise. Aucun d'eux n'avait vingt ans.

Les conséquences politiques.
Bien que les conjurés fussent ressortissants austro-hongrois et que le crime eût été perpétré sur le territoire de la Double-Monarchie, la presse autrichienne s'empara dès le lendemain de cet événement pour réclamer une action énergique contre la Serbie, considérée comme l'instigatrice de l'attentat. La Reichspost, organe dévoué à l'archiduc et influent dans les milieux militaires, déclara le 29 juin : 

« Nous avons une défaite à réparer, nous avons à faire payer le meurtre de Sarajevo à ses instigateurs. L'assassinat de notre archiduc héritier est pour nous l'avis que la onzième heure a sonné : nous attendons le coup de la douzième. »
En effet le gouvernement de Vienne se mit aussitôt à réunir les éléments d'un acte d'accusation contre la Serbie. Son attention se porta sur une société patriotique serbe, la Narodna Odbrana, fondée en octobre 1908 à Belgrade, dont les comités locaux travaillaient au relèvement intellectuel et économique du peuple et au développement de la conscience unitaire entre tous les Slaves du Sud (Serbes, Croates et Slovènes). Une enquête tendant à relever toutes les manifestations d'activisme anti-autrichien imputables à cette organisation fut menée dans les premières semaines de juillet. Elle aboutit « officiellement » à cette conclusion que tous les fils de la conjuration qui avait coûté la vie à l'archiduc conduisaient à Belgrade et que la responsabilité des autorités serbes était directement engagée dans cette affaire.

En réalité, depuis le début de juillet, une action était envisagée à Vienne contre la Serbie. Le comte Tisza, premier ministre de Hongrie, éleva en vain des objections fondées sur l'inopportunité diplomatique d'une intervention militaire Le Ballplatz, fort de l'appui de l'Allemagne et convaincu qu'en cas de conflagration générale le concours militaire de celle-ci garantirait la victoire aux Empires centraux, se montra intransigeant et Tisza lui-même finit par se rallier, le 19 juillet, à l'idée d'une guerre. A cette date en effet le conseil des ministres austro-hongrois arrêta le texte d'un ultimatum à la Serbie, texte que François-Joseph approuva sans modification le 21 juillet. Le 23 juillet à 18 heures le représentant de l'Autriche à Belgrade remit cet ultimatum au gouvernement serbe. Un préambule évoquait le développement de la propagande panserbe, son caractère agressif et son but visible, qui était de détacher certains territoires de la monarchie austro-hongroise. Pour mettre fin à cette situation, le gouvernement autrichien exigeait du Cabinet de Belgrade :

• Qu'il publie au Journal officiel une déclaration condamnant toute propagande dirigée contre l'Autriche-Hongrie et regrettant la participation de certains officiers et fonctionnaires serbes à cette propagande;

• Qu'il introduise dans la législation et dans la constitution du royaume des dispositions punissant de la manière la plus sévère toute provocation à la haine et au mépris de la monarchie austro-hongroise;

• Qu'il supprime la Narodna Odbrana et confisque ses moyens de propagande;

• Qu'il ouvre une enquête judiciaire et sévisse contre les fonctionnaires impliqués dans le meurtre du 28 juin;

• Qu'il accepte sur le territoire du royaume la collaboration d'organes du gouvernement austro-hongrois dans la recherche des coupables et la répression de tout mouvement subversif.

La réponse serbe devait être remise dans les quarante-huit heures, donc avant le 25 juillet, 18 heures. Faute d'une acceptation sans réserves, les relations diplomatiques seraient aussitôt rompues.

Cette réponse fut remise par Pachitch quelques minutes avant l'expiration du délai. Elle contestait les accusations générales énoncées dans la note du Ballplatz. Mais elle acceptait en principe les conditions imposées, sauf la participation d'agents austro-hongrois à l'enquête relative au crime de Sarajevo : cette participation, la Serbie ne l'admettait que dans la mesure où elle répondrait « aux principes du droit international ainsi qu'aux bons rapports de voisinage ».

Au cas où cette réponse ne serait pas jugée suffisante, le gouvernement de Belgrade se déclarait prêt à accepter une « entente pacifique »; il suggérait de porter l'affaire devant le tribunal de La Haye ou de s'en remettre aux grandes puissances qui avaient pris part à l'élaboration de la déclaration faite par le gouvernement serbe (18-31 mars 1909), lorsqu'il s'était engagé à vivre désormais avec l'Autriche-Hongrie « sur le pied d'un bon voisinage ».

Le ministre d'Autriche, ayant jugé au premier coup d'oeil cette réponse insuffisante, quitta aussitôt Belgrade après avoir notifié la rupture. La mobilisation de huit corps d'armée fut décidée à Vienne. Le 26 et le 27 juillet les grandes puissances échangèrent des notes cherchant, les unes à « localiser », les autres à conjurer le conflit.

L'empereur Guillaume II sembla un moment désapprouver la politique du Ballplatz : 

« Un grand succès moral pour Vienne - écrivit-il en marge de la réponse serbe -, mais il fait disparaître toute raison de guerre, et Giesl (l'ambassadeur d'Autriche-Hongrie) aurait dû rester tranquille à Belgrade. Après cela je n'aurais jamais ordonné la mobilisation. »
 Mais le lendemain l'orientation de la politique allemande se modifia de nouveau, encourageant l'Autriche à recourir aux solutions extrêmes. Celle-ci avait du reste dès la veille (28 juillet) déclaré la guerre à la Serbie, guerre d'où allait sortir la semaine suivante une conflagration générale.

La controverse des responsabilités.
Tout le monde est d'accord pour reconnaître que le Ballplatz, lorsqu'il a adressé son ultimatum à Belgrade, n'avait pas en mains les preuves d'une participation quelconque de la Serbie officielle à l'attentat de Sarajevo. Par la suite, une longue et âpre polémique s'est rétrospectivement poursuivie sur cette question; en voici les arguments essentiels :

Thèse anti-serbe.
Les assassins de Sarajevo sont venus de Belgrade où ils séjournaient encore en mai 1914. Ils y avaient été en relation avec les membres d'une organisation secrète à visées terroristes, la Main Noire, dirigée par le colonel Dimitriévitch (Apis) qui était, lors de l'attentat, à la tête du service des renseignements à l'état-major serbe. Ce Dimitriévitch (qui devait être passé par les armes en juin 1917 sur le front de Salonique) aurait fait remettre à Prinzip et à Tchabrinovitch les bombes destinées à être lancées contre l'archiduc. Donc, connivence entre des officiers en activité de l'armée serbe et les conjurés.
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Membres de la Main Noire.
Membres de la Main Noire. Dimitriévitch Apis, est en haut, à droite.

En second lieu, une personnalité politique, Ljouba Yovanovitch, ministre de l'intérieur en juillet 1914, a écrit en 1925 que le gouvernement dont il faisait partie lors de l'attentat avait été plus ou moins vaguement averti de préparatifs d'attentat, mais qu'il avait hésité à prévenir Vienne, d'une part à cause de l'imprécision de ses informations, de l'autre par crainte que sa démarche fût interprétée comme une manoeuvre tendant à différer le voyage de l'archiduc à Sarajevo. Pour ces raisons, le gouvernement serbe s'était borné à alerter les postes frontières afin qu'on ne laissât point passer les suspects.

Donc négligence du Cabinet de Belgrade qui, ayant avis d'un complot contre l'archiduc héritier, n'a pas mis les autorités autrichiennes en mesure de le prévenir;

Thèse pro-serbe. 
Il n'est pas contesté que des affiliés de la Main Noire, à la dévotion du colonel Dimitrievitch, aient fourni des bombes et des revolvers aux auteurs de l'attentat. Mais la Main Noire poursuivait alors une lutte sans merci contre Pachitch sur le terrain de la politique intérieure, et cette circonstance, de notoriété publique, exclut, en dehors de toute considération d'ordre moral, l'hypothèse d'une connivence. Il ne peut donc s'agir que d'initiatives individuelles, que le gouvernement eût d'autant plus certainement paralysées s'il les avait connues qu'il savait qu'elles pouvaient mener à un conflit armé et que le pays, exténué par les récentes guerres balkaniques, était hors d'état d'y faire face.

Quant au témoignage de Yovanovitch, il a été démenti par Pachitch lui-même, qui y a vu une manoeuvre d'un de ses adversaires politiques, Enfin le procès de Sarajevo a établi de la façon la plus décisive que l'initiative de l'attentat était venue des conjurés eux-mêmes et qu'ils n'avaient trouvé dans les milieux révolutionnaires belgradois qu'un appui matériel, limité à la fourniture de quelques engins. Ils étaient totalement dépourvus d'argent, ce qui n'eût certainement pas été le cas s'ils avaient été les exécuteurs d'un plan conçu en dehors d'eux par des personnages plus ou moins haut placés.

Faut-il encore ajouter que, de l'aveu même des conjurés, ils ont rencontré bien plus de difficultés pour sortir du territoire serbe que pour circuler en Bosnie en dépit des mesures de surveillance qu'aurait dû provoquer le voyage de l'archiduc?
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Sceau de la Main Noire.
Le sceau de la Main Noire.

Les autres thèses.
En dehors de ces deux thèses, il en existe d'autres plus ou moins vraisemblables imputant la préparation du meurtre soit à la camarilla de Vienne, soit à la Hongrie, soit à la Russie, etc. La publication officielle des documents diplomatiques autrichiens (1930) et russes (1932) n'a rien apporté qui renouvelle la question.

Le procès des conjurés.
Il s'ouvre le 12 octobre 1914 devant le tribunal de Sarajevo. Les vingt-cinq inculpés sont pour la plupart de tout jeunes gens, presque des enfants. L'attentat de Sarajevo est un « crime de collégiens » : Prinzip et Tchabrinovitch ont dix-neuf ans : Popovitch, Djoukitch et Zagorats, dix-huit ans; Marko Perine. dix-sept ans; Kalember, seize ans. L'acte d'accusation voit dans cette précocité un indice accablant des progrès du nationalisme dans la jeunesse.

Devant les juges, les accusés paraissent déconcertés par les conséquences de leur acte. Tchabrinovitch se montre tantôt rétif, tantôt repentant. Prinzip ne se départ, par contre, à aucun moment de la froide résolution qui l'a conduit au meurtre. Ce sont des personnalités anarchistes, aigries par la maladie et les difficultés prématurées de l'existence, travaillées par des lectures mal assimilées.

Ils ressassent avec la même obstination la nécessité de réaliser l'union de tous les Yougoslaves. Dans ces cerveaux confus, c'était l'unique idée claire. 

«Je suis nationaliste yougoslave, dira le meurtrier de l'archiduc, j'aspire à l'union de tous les Yougoslaves, sous quelque forme politique que ce soit, et à leur délivrance de l'Autriche. » 
Pour eux, l'Autriche-Hongrie était un pays dans lequel une minorité allemande faisait la loi à une majorité de slave. Cette notion était d'ailleurs aussi concrète dans l'esprit d'un paysan que dans celui d'un « intellectuel ». Elle explique la mystérieuse et soudaine complaisance que les conjurés avaient trouvée dans la population serbe de bosnie partout où ils étaient passés, malgré le risque effroyable où cette complaisance allait entraîner ses auteurs. Le procureur dira dans son réquisitoire : 
« Des paysans qui ne savaient rien de la Serbie ni de ce qui se passait sur la frontière se sont joints aux Serbes dès qu'ils ont fait leur apparition (lors de la guerre), si bien que nous nous sommes vus dans l'obligation de les faire pendre. »
A la lumière de ces dépositions le meurtre de l'archiduc apparaît au premier chef comme un « drame bosniaque »; une explosion du fanatisme révolutionnaire qui régnait dans l'organisation connue sous le nom de « Jeune Bosnie ». Mais il va de soi que, dans leur haine de l'Autriche, les conjurés se tournaient vers la Serbie, terre de liberté pour les Slaves, appelée à jouer le rôle du Piémont dans le processus de l'émancipation.

Les avocats des inculpés se montrèrent en général assez timides. L'un d'eux, cependant, le Dr Zistler, prononça une brillante plaidoirie pour démontrer qu'une tentative en vue de détacher la Bosnie et l'Herzégovine de l'Autriche-Hongrie ne constituait nullement, en droit, un acte de haute trahison. Il constata que, dans la Double-Monarchie, 

« les procès de trahison, par leur périodicité, étaient en passe de devenir une institution d'Etat, amenant tour à tour, sur les bancs des accusés, l'irrédentisme italien, le panslavisme et la propagande grand-serbe ».
Le verdict fut rendu le 29 octobre 1914. Il déclarait la plupart des prévenus coupables : 
1° de haute trahison pour avoir voulu arracher par la force les territoires de Bosnie et d'Herzégovine à l'Autriche-Hongrie afin de les rattacher à la Serbie; 

2° de meurtre (ou complicité) par guet-apens sur la personne de l'archiduc et sur celle de son épouse.

Les auteurs des deux attentats, Prinzip et Tchabrinovitch, mineurs de vingt ans, ne pouvaient aux termes de la loi être condamnés à mort; ils furent frappés de vingt années de réclusion, avec aggravation d'un jour de jeûne par mois et de la mise au cachot le 28 juin de chaque année.

Cinq de leurs complices furent condamnés à la pendaison (deux de ceux-ci bénéficièrent d'un abaissement de peine); d'autres à la réclusion ou à la prison; il y eut quelques acquittements.

Aucun des protagonistes de ce drame ne devait voir la fin de la guerre que leur geste avait contribué à déclencher. Tchabrinovitch mourut de la tuberculose au printemps de 1915; Prinzip, miné par le même mal, dut être amputé du bras gauche. Il s'en fallut de quelques mois pour qu'il vit l'effondrement de l'Autriche; il succomba à la fin d'avril 1918.

On l'enterra de nuit, comme on l'avait fait pour ses compagnons, dans un coin écarté du cimetière, afin que le lieu de leur sépulture demeurât ignoré. Le hasard voulut qu'un jeune étudiant tchèque, servant comme soldat à la forteresse de Theresienstadt, gardât le repérage exact des tombes. Il remit ce plan à son père avant de partir pour le front; c'est ainsi que les corps ont pu être exhumés par la suite et ramenés au cimetière orthodoxe de Sarajevo où un monument anonyme abrite les restes de onze Serbo-Croates morts dans les prisons autrichiennes ou pendus par ordre des autorités impériales et royales. La dalle centrale, un peu plus élevée, recouvre le corps de Prinzip.

Enfin le pont des Latins, au débouché duquel eut lieu l'attentat et où se dressait pendant la guerre une chapelle expiatoire, s'appelle maintenant le pont Prinzip. La chapelle a été rasée et remplacée par une plaque commémorative. (A. Mousset).
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Plaque commémorative de l'attentat de Sarajevo.
Plaque commémorative de l'attentat de Sarajevo.
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