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La religion phénicienne
Le culte
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Le culte

Les temples.
Un amas carré de pierres ou une colonne sur le haut d'une montagne (Carmel ou Kasius), voilà les temples primitifs des Phéniciens. Plus tard on y ajoutait des chapelles et des enceintes sacrées. Le temple n'était pas dans l'origine un lieu de réunion pour les dévots; c'était un domicile d'honneur pour la divinité ou son symbole. Il se divisait en deux compartiments, l'un postérieur, l'autre antérieur. Dans le compartiment postérieur, c'est-à-dire le plus éloigné de l'entrée, on conservait les attributs sacrés du dieu, c'était l'équivalent du saint des saints chez les Juifs. Là se conservaient, loin du regard des profanes, les images ou les symboles de la divinité, les arches, les vases sacrés, qu'on promenait publiquement dans de grandes solennités. Les processions de la fête-Dieu chez les catholiques nous en offrent une idée. C'est dans le sanctuaire qu'on conservait aussi les annales sacrées et que les prêtres avaient établi des laboratoires l'alchimie quand cette pratique fut - tardivement -importée d'Égypte; on y voyait des stèles avec des inscriptions, et des emblèmes sacrés sur les murs. Dans le compartiment antérieur, près de l'entrée, étaient exposées à la vénération publique les images des divinités. Il y avait là un autel où l'on brûlait de l'encens et d'autres matières aromatiques. Les autels sur lesquels on offrait des victimes et des sacrifices non sanglants étaient à l'entrée et en dehors du temple. Pendant le service divin les prêtres et hiérodules dansaient autour. Il y avait encore dans tous les temples une source d'eau vive et un feu éternel. L'eau puisée dans cette source servait à des lustrations ou à la purification des prêtres et des initiés; des bois ombragés, où l'on célébrait les orgies nocturnes environnaient les temples des déesses. Des étangs et des lacs, contenant des poissons sacrés, étaient près des sanctuaires d'Ascalon, d'Aphaka et de Mabug.

Une colonne de pierre était la plus ancienne idole d'un dieu. Une colonne de bois (aschera) représentait une déesse. Les colonnes de pierre portent le nom de matsébot dans l'Ancien Testament et dans les inscriptions phéniciennes. Les khammamim étaient des colonnes atténuées au sommet sous la forme d'une flamme : elles se rapportaient au culte du feu et de Baal. Celle de Melqart ou Baal-khamman, dans le temple de Tyr, était d'émeraude (ou d'une pierre prise pour une émeraude), et éclairée intérieurement pendant la nuit. Les figures ou colonnes de phallus, symboles des dieux de la génération, étaient placées, comme des obélisques, à l'entrée des temples. Celles qui figuraient dans les mystères priapiques avaient des dimensions beaucoup moins grandes. Les bétyles, dont nous avons déjà parlé, étaient , non pas des chapelles, comme on pourrait le croire d'après l'étymologie (de bel, maison , et el, dieu), mais des idoles grossièrement façonnées, parfois peut-être des pierres météoritiques. Ces idoles s'appelaient à Carthage abadirs (de ab, père, et adir, élevé), et leurs prêtres eucarddires. Les images figuratives ou symboliques des dieux étaient des ouvrages extrêmement grossiers, comparativement aux sculptures des Grecs. Presque tous les dieux avaient des ailes : El, ou le dieu suprême, en avait quatre, les autres n'en avaient que deux. La plupart sont des espèces de monstres bimorphes, moitié humain, moitié taureau , lion, etc. L'anthropomorphisme pur, c'est-à-dire la divinité faite à l'image de l'humain, paraît avoir été inconnu dans l'ancienne religion des Phéniciens et des autres nations sémitiques. Les Grecs, dans leur art plastique, osèrent seuls représenter leurs dieux sous la forme humaine. Mais cette assimilation comprenait tout à la fois le physique et le moral les dieux des Grecs et des Romains sont des êtres ayant la figure en même temps que les passions de l'humain. Leur polythéisme était de l'anthropomorphisme pur, tandis que le polythéisme des peuples du Croissant fertile était ce que nous proposerions d'appeler tératomorphisme, c'est-à-dire le culte des dieux représentés par des êtres surnaturels, par des monstruosités. Il y avait la un sentiment profond de l'inanité de l'humain en face de la grandeur divine. Ce sentiment épuré, ennobli, devait plus tard donner naissance au mosaïsme.

Les sacrifices.
Le monument phénicien découvert au XIXe siècle à Marseille jette beaucoup de lumière sur plusieurs points de la religion phénicienne. On y voit énumérés les animaux destinés aux sacrifices, avec le tarif des prix, tel qu'il avait été arrêté par un décret du sénat de Carthage. Ces victimes portaient, comme en hébreu, le nom de zabakh; c'était le plus souvent des bestiaux (boeufs, moutons, boucs, etc.) ou des oiseaux. Dans cette liste les taureaux occupaient le premier rang : on les offrait particulièrement en l'honneur de Baal ou de Melqart. Les vaches ne servaient pas aux sacrifices : on n'en mangeait pas la chair. 

« Les Égyptiens et les Phéniciens, dit Porphyre, dans son livre sur l'Abstinence (lib. II, cap. 11 ), auraient mangé de la chair humaine plutôt que de la chair de vache. »
On n'immolait pas non plus de veaux; cependant on en amputait les parties génitales pour les offrir à Astarté. Les sacrifices de boucs étaient fort estimés : on donnait un bouc aux « femmes sacrées », khetochot, comme prix de leur prostitution. Parmi les oiseaux on donnait la préférence à ceux qui semblent avoir l'instinct de la génération le plus marqué, tels que les pigeons, les poules, les perdrix, les cailles; ces dernières composaient le sacrifice favori de Baal-Melqarth. 

Les supposés sacrifices humains étaient, si l'on en croit les Romains, offerts aux dieux vengeurs, particulièrement à Baal-Samin, à Astarté, à Melqarth et à la déesse que l'on ne connaît que par le nom égyptien de Mout. Comme les victimes devaient être pures et sans tache, on choisissait pour cela des enfants mâles, plus souvent des vierges. En même temps on désignait l'objet le plus cher, le premier-né ou le fils unique des plus nobles familles de l'État. Le fils aîné du roi était la plus belle victime. Ces sacrifices étaient anciennement en usage non seulement chez les Phéniciens et les Carthaginois, mais chez presque tous les peuples sémitiques, les Assyriens, les Cananéens, les Hébreux et les Arabes. On les offrait d'abord annuellement pour la grande fête de la purification, puis à l'occasion d'une grande entreprise, comme la fondation d'une colonie, d'une ville, ou d'une expédition. 

Les Phéniciens, dit Porphyre, sacrifiaient la personne la plus chère à l'occasion d'une grande calamité, telle qu'une guerre, la famine, une épidémie. Selon Eusèbe, on se proposait, par la mort d'un seul offerte en expiation aux divinités vengeresses, de prévenir la perte de tous. Parmi ces divinités Moloch occupait le premier rang.

On lit dans l'Ancien Testament (1 Reg. 22, 10; Jérem., 31 , 32; 19, 6) que les Hébreux idolâtres faisaient, d'après la coutume des Ammonites, des sacrifices humains dans la vallée d'Hinnon ou Jophet, près de Jérusalem. Au rapport des rabbins, il y avait dans cette vallée une statue de Moloch en airain, ayant la tête d'un taureau et le corps d'un humain, creux à l'intérieur; on allumait un bûcher sous cette statue, et on mettait les enfants sur les bras incandescents de l'idole. Cette description se rapproche beaucoup de celle que Diodore fait de la statue de Moloch (qu'il appelle Cronos) à Carthage. Après la victoire d'Agathocle les Carthaginois se reprochèrent, entre autres manquements aux anciennes coutumes religieuses, de s'être aliéné Moloch, parce qu'ils lui avaient autrefois offert en sacrifice les enfants des plus puissants citoyens, et qu'ils avaient plus tard renoncé à cet usage en achetant des enfants secrètement et les élevant pour être immolés à ce dieu.

« Des recherches établirent, continue Diodore, que plusieurs de ces enfants sacrifiés étaient des enfants supposés. En considérant toutes ces choses, et en voyant, de plus en plus, les ennemis campés sous les murs de leur ville, ils furent saisis d'une crainte superstitieuse, et ils se reprochèrent d'avoir négligé les coutumes de leurs pères à l'égard du culte des dieux. Ils décrétèrent donc une grande solennité, dans laquelle devaient être sacrifiés deux cents enfants, choisis dans les familles les plus illustres; quelques citoyens, en butte à des accusations, offrirent volontairement leurs propres enfants, qui n'étaient pas moins de trois cents. Voici quelques détails concernant ce sacrifice. Il y avait une statue d'airain représentant Cronos, les mains étendues et inclinées vers la terre, de manière que l'enfant qui y était place roulait et allait tomber dans un gouffre rempli de feu. »
Hamilcar, voyant ses troupes en Sicile ravagées par une épidémie, ordonna, nous dit-on, de sacrifier un enfant à Moloch, et de plonger dans la mer une foule de victimes en l'honneur du dieu de la Mer. Pendant ces sacrifices cruels, il était interdit aux parents de manifester le moindre signe de douleur, et le cri des infortunés était couvert par le bruit d'instruments retentissants. A la chute de la victime dans le gouffre embrasé, les prêtres observaient avec anxiété les traits du visage et les convulsions du corps et des membres, pour en tirer un bon ou un mauvais augure. Dans certaines solennités, on sacrifiait (peut-être) non seulement des enfants, mais des adultes et surtout des centaines de prisonniers de guerre. Les victimes étaient désignées au sort.

Prostitution, circoncision.
D'après une coutume religieuse répandue dans une grande partie de l'Asie, particulièrement en Inde et en Babylonie, les jeunes filles avant leur mariage devaient, chez les Phéniciens, se prostituer en l'honneur d'Astarté. Cette coutume existait aussi en Phénicie. Dans les temples ou bois sacrés où ces prostitutions avaient lieu on conservait l'image mystique de la déesse de la fécondation, espèce de fétiche, dont voici la figure :

Tanit

On trouve des figures semblables sur des monuments phéniciens ou libyques, sur des médailles, des animaux, des abraxas, etc. Tanit, la déesse carthaginoise, si proche d'Astarté, a été représentée ainsi. La déesse de Paphos paraît avoir être représentée également par une image du même genre. Ces prostitutions se faisaient pendant des pèlerinagesà un endroit réputé saint, particulièrement à Héliopolis. Là était l'antique siège de la déesse impudique de la Syrie. Les femmes et les enfants y étaient en commun. Les vierges devaient, selon la loi, s'offrir elles-mêmes aux étrangers.

Leur beauté passait pour un don de la déesse à laquelle elles sacrifiaient. Peu à peu ces sacrifices tombèrent en désuétude, et furent remplacés par la coutume imposée aux femmes de se couper les cheveux tous les ans à la fête d'Adonis; celles qui ne voulaient pas s'y soumettre étaient livrées aux étrangers. Le prix de la prostitution était dépensé en offrandes pour la déesse. Les prêtresses des temples d'Aphaka, de Tyr, de Sicca Venerea, près de Carthage, servaient la divinité en offrant leurs corps. Elles étaient d'ordinaire déguisées en hommes. Le culte d'Astarté à Sicca Venerea a subsisté jusqu'aux premiers siècles de l'ère chrétienne.

La circoncision avait dans le sens religieux la même signification que la prostitution. c'était l'offrande des prémices de l'innocence; c'était un sacrifice d'initiation à la vie humaine : on la faisait en honneur d'El, du dieu de Béryte et de Byblos. Les Grecs et les Romains ne nous disent pas si la circoncision était pratiquée dans l'Afrique carthaginoise.

Les fêtes.
Quelques-unes des solennités publiques rappellent les fêtes du christianisme. La fête de la résurrection de Melqart fut d'abord célébrée par le roi Hiram Ier, dans le mois péritius. Or, d'après le calendrier de Tyr, le mois péritius commençait le 16 février et finissait le 17 mars. C'était donc la fête du printemps, coïncidant presque avec la pâque du Judaïsme; on célébrait le réveil de la nature, sous une forme allégorique. C'est au mythe de la résurrection du Baal de Tyr que le prophète Elie fait allusion (I Reg., 18 , 27). D'après ce mythe , Baal ou Melqart de Tyr avait été tué dans sa lutte contre le dieu connu sous le nom grec de Typhon; mais son compagnon, Iolaüs (divinité lybico-phénicienne), le ressuscita par l'odeur d'une caille. C'est pourquoi les Tyriens lui offraient des sacrifices de cailles.

La fête de l'Autocombustion était célébrée en l'honneur du Melqart de Gadès, qui s'était lui-même consumé dans le feu. Elle avait de l'analogie avec la fête sacéenne, qu'on célébrait dans l'Asie Mineure à l'époque du lever de Sirius; la solennité se terminait par la combustion d'un homme sur un bûcher.

Une fête quinquennale était célébrée, en l'honneur de Melqart de Tyr, par des jeux semblables aux jeux olympiques. L'époque des vendanges était aussi l'occasion d'une fête, en souvenir deu supposé équivalent phénicien de Dionysos, qui passait pour avoir inventé le vin à Tyr. La fête de la Fuite ou de la Disparition était une fête lunaire, en l'honneur d'Astarté, confondue, dans les mythes grecs, avec Io, Europe, Hélène, Harmonie.

Lucien nous donne les détails suivants sur les Adonies, ou fêtes d'Adonis

« A Byblos, dit-il, j'ai vu un temple de Vénus byblienne, où l'on célèbre des mystères en l'honneur d'Adonis; je m'y suis fait aussi initier. Les habitants prétendent que l'histoire d'Adonis s'est passée dans leur pays; c'est pourquoi ils ont institué ces orgies, en célébrant la mort d'Adonis par un deuil public. Après s'être déchiré le sein et pleuré suffisamment, ils offrent au mort un sacrifice funèbre; puis le lendemain ils le proclament ressuscité et monté au ciel. Ils se coupent aussi les cheveux, comme les Égyptiens à la mort de leur Apis. Les femmes trop coquettes pour sacrifier leur belle chevelure sont condamnées pendant un jour à se livrer au premier venu. Cependant la place où cette prostitution a lieu n'est ouverte qu'aux étrangers. C'est avec ce gain qu'on fait à Vénus [Astarté] un sacrifice. »
Quelque temps avant les Adonies on promenait publiquement des corbeilles de fleurs, ou des pots dans lesquels on avait semé des plantes; c'est ce qu'on appelait des jardins d'Adonis. La fête elle-même durait deux jours; le premier jour ou célébrait avec pompe les funérailles d'Adonis, le second jour était consacré à des réjouissances. Cette fête était répandue dans une grande partie de l'Ancien Monde; on en retrouve des traces en Babylonie (Baruch, VI, 30), en Assyrie (Macrobe, Saturnales, VIII, 14), en Égypte, en Grèce et même à Rome.

Nous devons mentionner une fête également très répandue, et dont on retrouve encore des vestiges chez les habitants de la Syrie. C'était la fête des fiançailles de l'eau douce avec l'eau de mer. Près de l'emplacement de l'ancienne Tyr est une tour ruinée, dans laquelle est un puits où les femmes viennent chercher l'eau. Ce puits a quinze ou seize pieds de profondeur; mais l'eau n'en a pas plus de deux ou trois; on n'en boit pas de meilleure sur toute la côte. Par un phénomène d'origine géophysique, elle se trouble en septembre, et devient pendant quelque temps pleine d'une argile rougeâtre. C'est l'occasion d'une grande fête pour les habitants, ils viennent alors en troupe à ce puits, et ils y versent un seau d'eau de mer, qui selon eux a la vertu de rendre la limpidité à l'eau de la source.

Ici la mer passait pour le principe mâle, qui s'alliait à l'eau de source, représentant le principe femelle; ailleurs c'était l'inverse, comme dans l'union des fleuves d'Adonis et d'Aziz (dieu associé à Mars), personnifiés avec la mer. A Hiéropolis on portait deux fois par an de l'eau de mer dans le temple; on accourait de fort loin pour participer à cette fête. On y versait l'eau dans une crevasse qui figurait une vulve. Ces théogonies avaient ordinairement lieu au printemps et en automne, à l'époque des équinoxes.

Dans ces fêtes les arts et l'industrie déployaient toute leur puissance. Les Éthiopiens, les Ciliciens, les Arabes, les Babyloniens, se rendaient dans les villes célèbres par quelque divinité; et ces pèlerinages favorisaient singulièrement le développement du commerce.

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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