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Le jeûne,
à titre de macération, de pénitence ou d'expiation, est offert aux dieux
comme un sacrifice, notamment dans les religions
historiques. Les théologiens et les législateurs
religieux, les fondateurs d'ordres, ont vu sans doute aussi un principe
d'ordre dans sa pratique régulièrement imposée à des époques fixes
et pendant un temps assez long. Encore ne faut-il pas exagérer la vocation
du jeûne comme moyen de discipline morale. Les motifs qui ont fait inventer
et adopter l'usage du jeûne tel qu'il existe on a existé chez la plupart
des peuples sont a chercher parmi ceux qui sont à l'origine de toutes
les épreuves initiatiques (les mutilations corporelles, par exemple).
Il s'agir toujours de franchir un cap symbolique, de signifier une rupture
avec un ordre qui est le plus souvent celui de la simple quotidienneté,
afin accéder à un ordre de valeur supérieure. On peut avoir affaire
à un jeûne qui marque un changement de statut social de l'individu, ou,
comme dans les rituel périodiques (Carême des
chrétiens, Ramadan
des musulmans), Ã des expressions de purification,
revivification, ou de régénération de la société dans son ensemble.
Dans certaines sociétés, le jeûne est
aussi décrit comme un moyen d'entrer en communication avec les esprits.
Sans doute, le jeûne un peu prolongé détermine-t-il des vertiges, exaspère-t-il
la sensibilité et jette-t-il l'organisme dans un état d'anxiété terrifiante.
Les idées délirantes peuvent bien être le fruit spontané de cet état;
et l'on peut aussi comprendre qu'elles se développent dans le sens des
préoccupations habituelles et s'amplifient par les impressions douloureuses
que cause la solitude où les moindres moindres formes ou bruits, prennent
des proportions fantastiques. Par le jeûne, on arrive donc peut-être
à volonté à l'exaltation de l'imagination, à la fixation du rêve tout
éveillé, aux visions, c.-à -d., à ce que l'on interprètera finalement
comme des inspirations par les esprits. Parfois des drogues sont utilisées
pour obtenir des résultats similaires. Mais encore convient-il de ne pas
sombrer dans le biologisme ( Scientisme)
et trop surestimer l'impact physiologique de telles privations. Aussi réel
puisse-t-il être dans quelques cas, en général, ce dont il est question,
ce n'est pas de biologie, mais bien de psychologie sociale. Le jeûneur
n'a pas besoin de « voir », pour que son intervention
acquière une pertinence au sein des représentations collectives.
Le jeûne se pose avant tout comme l'un
des moyens à la disposition du sorcier pour accomplir sa médiation entre
le monde concret et le monde-autre, auquel croit la communauté à laquelle
il appartient, et c'est aussi un moyen pour lui de revendiquer son propre
statut au seins de ladite société. Ainsi, les prophètes-juifs,
qui annonçaient au peuple leurs «-visions
» se procuraient des visions en se mettaient, pensaient-ils, en communication
avec les esprits supérieurs, en se retirant, pour jeûner, dans la solitude.
Mais avant tout, ce dispositif était un moyen destiné à exprimer et
à propager une certaine conception religieuse. Le raisonnement
qu'ils se faisaient, les ethnologues l'on retrouvé chez bien d'autres
peuples contemporains.
« Le corps
que l'on remplit constamment, dit-on par exemple, chez les Zoulou, ne saurait
apercevoir les choses secrètes.»
Pourtant, ce sont moins ces
« choses secrètes » qui sont visées, que des « choses concrètes ».
Le jeûne appartient d'abord au vocabulaire et à la grammaire des relations
sociales. La plupart des sorciers, depuis le Groenland jusqu'Ã
l'Afrique australe, se préparent à l'exercice de leurs professions par
des jeûnes prolongé. Et nulle part peut-être leur usage n'a été aussi
général et aussi rigoureusement imposé que chez les anciens Amérindiens.
Chez certaines populations, les ambitieux s'exerçaient à jeûner dès
le jeune âge et, dès qu'ils se sentaient assez préparés, ils se soumettaient
à un jeûne plus prolongé pendant lequel ils faisaient, enregistraient
devant témoin des prophéties. Si quelque chose de ces prophéties dont
on devine la tournure baroque, paraissait s'adapter aux événements survenus,
après examen des vieillards, ils étaient sûrs de passer sorciers et
chefs. On ne devenait pas chef sans cette épreuve. Le développement du
culte dans la civilisation mexicaine n'avait fait qu'étendre cette coutume.
A la fête d'un des dieux du Mexique tous les prêtres devaient jeûner
160 jours. Ils se passaient des baguettes à travers la langue pour témoigner
de la constance de leurs privations.
(Zaborowski). |
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