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Les esprits

Les esprits sont des entités fantastiques, objets de légendes, parfois de cultes, que l'on rencontre aussi bien dans les traditions populaires (Folklore) que dans les religions constituées. Si, du point de vue philosophique, il existe une différence radicale entre les monothéismes et les polythéismes, cette différence s'estompe dès que l'on considère la manière dont la plupart des croyants des diverses religions comprennent et vivent en pratique leur foi, ce qui ouvra partout un espace pour la croyance aux esprits. Ce qu'il est convenu d'appeler la religion populaire n'est pas plus avare en divinités subalternes dans les monothéismes que dans les polythéismes. Ces entités que l'on appelle, ici, anges, démons, génies ou saints, seront, là, des des dieux secondaires, des faunes, des nymphes, des fées, des revenants ou des demi-dieux. Au final, les esprits sont partout dans l'imagination des humains et, dès lors, partout aussi autour d'eux.

Le monde intermédiaire

Toute cette foule constitue un monde foisonnant, où viennent se fondre des traditions d'origines très diverses, et que les divers auteurs qui en ont parlé ont cherché à théoriser et à ordonner logiquement, ou du moins à concilier avec la structuration du monde à laquelle ils croyaient. Fontenelle disait, à propos des esprits  : 

« On est embarrassé de cet espace infini qui est entre Dieu et les hommes, et on le remplit de génies et de démons. »
Autrement dit, les esprits ne seraient que les produits de la psychologie humaine qui a a horreur du vide. Les auteurs de l'Ancien Testament évoquent de leur côté l'échelle mystérieuse de Jacob qui redescend du firmament sur la terre; des myriades d'anges en remplissent les degrés; les séraphins, les chérubins, les dominations et les trônes font résonner les voûtes du ciel de leurs cantiques. Dieu aussi aurait horreur du vide, et donc l'espace intermédiaire se remplit selon le mode surnaturel...
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Thaïlande : une maison d'esprit, à Bangkok.
Une maison d'esprit, à Bangkok (Thaïlande).
Source : The World Factbook.

Les agents du bien et du mal.
Il y a aussi des anges déchus et tout un monde de démons qui est comme le miroir du monde du bien. Il en est donc des esprits à peu près comme des humains : il y en a de bons, d'honnêtes, de bienfaisants, d'enjoués, de divertissants; il y en aussi de chagrins, de méchants et de cruels. Les bons aiment les humains; ils se plaisent à leur faire du bien, ils les secourent dans leurs besoins. ils les consolent dans leurs afflictions, ils les aident de leurs conseils, ils détournent les malheurs qui les menacent, etc. Tels sont les esprits familiers.

Une conception qui n'est pas propre aux religions de la Bible. Ainsi, Zoroastre enseignait-il l'existence d'un nombre infini d'esprits entre la Divinité et les mortels, et les Perses avaient deux génies représentant le bon et le mauvais principe le premier portait le nom d'Oromase, l'autre celui d'Arimane. De la même façon, on voit souvent figuré sur les vases étrusques et dans les hypogées de Tarquinium, deux personnages qui représentent le bon et le mauvais génie : le premier s'offre avec des formes juvéniles et des ailes blanches; on y donne au second des traits décharnés et repoussants. On pourra ensuite tout à loisir discuter de l'étendue de l'empire des uns et des autres. 

Chez les auteurs chrétiens, l'opinion la plus commune veut que les esprits soient des démons ou des diables qui, après leur chute, sont restés dans l'air, dans les eaux et sur la terre; et cette opinion s'est appuyée sur l'explication de quelques endroits de la Bible et des Pères de l'Eglise. Dans une de ses Epîtres aux Ephésiens, saint Paul écrit, par exemple : 

« Nous n'avons pas seulement à combattre les inspirations de la chair et du sang, nous avons de plus à lutter contre les principautés, les puissances des ténèbres, et contre les esprits malins qui remplissent les airs. »
David disait tout le contraire  :
« Le Seigneur t'a recommandé à ses anges : partout ils veilleront sur toi avec sollicitude; ils te porteront dans leurs bras, de peur que ton pied ne heurte par hasard à quelque pierre; et tu pourras marcher sans crainte sur le basilic, sur le dragon et sur le lion du désert. »
Cosmas, Patrice, saint Hilaire et Théodore, évêque de Mopsueste, placent eux aussi, au lieu de démons, des anges dans la région sublunaire, et en font des intermédiaires entre Dieu et les humains. 

La théorie des esprits élémentaires.
Les auteurs cabalistes ont prétendu que les esprits étaient des créatures matérielles, composées de la substance la plus pure des éléments; que plus cette matière était subtile, plus ils avaient de pouvoir et d'action. Ceux qui ont cru que les esprits étaient de cette sorte, les ont assujettis à la mort comme les humains, un peu à l'images des Pénates des anciens Romains qui mouraient lorsque la famille dont ils étaient les protecteurs disparaissait. Cardan dit que les esprits qui apparurent à son père lui firent connaître qu'ils naissaient et qu'ils mouraient comme nous; mais que leur vie était plus longue et plus heureuse que la nôtre. 

Ces auteurs distinguent des esprits de deux sortes : supérieurs et inférieurs. Les supérieurs sont ou célestes ou aériens; les inférieurs sont ou aquatiques ou terrestres. 

  • Les esprits célestes que l'on appelle esprits ignéens ou salamandres, résident entre le ciel des étoiles et le concave de la lune. Comme ils sont composés du plus pur des éléments, ils ont plus de connaissance que les autres ils savent tout ce qui se passe dans l'univers; ils observent jusqu'aux moindres changements qui y arrivent.

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  • Les esprits aériens ou sylphes occupent le grand espace qui est depuis le concave de la lune jusqu'à la superficie du globe inférieur. Ils possèdent les arts et les sciences dans un état parfait.

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  • Les esprits aquatiques, que l'on nomme fées, nymphes, sibylles blanches ou ondins, demeurent dans les eaux. Ils prédisent la bonne ou méchante fortune; ils se disent les maîtres de la Parque et du Destin. Ce fut un de ces esprits qui, au rapport de Pline le Jeune, prédit, en Afrique, à Curtius Rufus qu'il retournerait bientôt à Rome, où il recevrait de grands honneurs; qu'on le choisirait pour être gouverneur d'Afrique, et qu'il mourrait dans cet emploi. Ce furent aussi des nymphes qui firent présent, dit-on, à un roi de Suède, d'une ceinture fatale de laquelle il n'avait qu'à se ceindre pour vaincre sus ennemis.

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  • Les esprits terrestres habitent les forêts, les plaines, les vallons, les montagnes, les cavernes et les lieux souterrains. Ils ont différents noms, selon les lieux où ils se trouvent. On appelle farfadets ou esprits familiers, ceux qui habitent avec les humains; satyres ou sylvains, ceux qui errent dans les vallons, dans les forêts et les montagnes; gnomes et nains ceux qui habitent dans les mines et autres lieux souterrains, ces derniers esprits sont gardiens des trésors et des richesses.
  • Les esprits célestes ou aériens communiquent rarement avec les humains; mais les aquatiques et les terrestres ont beaucoup de commerce avec eux. Il y a même quelques familles considérables qui se vantent d'en être sorties, et qui portent des fées sur la cimier de leurs armes. Les princes de la famille des Jagellons en Pologne, se disent aussi descendus de ces esprits. Quelques auteurs prétendaient que les Huns étaient issus des satyresqui séduisirent les femmes débauchées l'armée de Filimer, roi des Goths, qui les avait fait conduire, quelque temps auparavant, dans un désert, où elles étaient éloignées du commerce des hommes. On dit la même chose des Pégusians et des Scianites, dont les mères avaient eu affaire avec quelques follets.

    Ils sont parmis nous!
    Au moins une chose est sûre pour tous ces auteurs : de nombreux esprits côtoient les humains.

    « Ils, sont, dit Apulée, immortels comme les dieux, et sujets à la pitié et à la colère comme nous; ils se laissent toucher par les prières, par les présents et par les honneurs; ils sont sensibles aux injures et au mépris, etc. Toute leur occupation n'est que d'entretenir la commerce entre les dieux et les humains, et de prendre soin des choses d'Ici-bas. »
    La proximité des esprits est une croyance présente aussi chez  Platon, Xénocrate, Varron et d'autres encore, croyaient à l'existence des démons invisibles a nos yeux, qui habitaient les airs et communiquaient quelquefois avec les humains au moyen des oracles et des procédés divers de la magie et des enchantements. Les Grecs avaient des esprits qu'ils nommaient coryciens, et ils avaient l'habitude de dire proverbialement-: Prenons garde que le corycien ne nous écoute.

    Nous lisons dans Hérodote, d'un de ces esprits qui apparut à Proconèse, sous la forme du poète Aristée, et qui, étant entré dans la boutique d'un foulon, feignit de se trouver mal et de rendre l'esprit. Le foulon courut promptement avertir les parents d'Aristée de sa mort subite; et le bruit s'en étant répandu dans la ville, les Proconésiens y accoururent de toutes parts; mais ils ne trouvèrent ni le follet ni le corps d'Aristée. Un homme qui arrivait par hasard de Cyzique, les assura qu'il avait laissé le poète auprès de cette place, et qu'il était encore dans la Propontide. Ce follet apparut en différents lieux sous la même figure. 

    Sébastien Munster rapporte, dans sa Cosmographie, qu'en un désert auprès de Tangut, ces esprits font souvent retentir l'air d'une douce harmonie de divers instruments; qu'ils appellent les passants par leur nom, les détournent quelquefois de leur chemin, et se moquent d'eux ensuite.

    Olaüs Magnus, archevêque d'Upsala, rapporte, dans son Histoire des pays septentrionaux, que l'on rencontre souvent des esprits en forme d'humains; qu'il conversent familièrement avec les habitants, qu'ils s'engagent à leur service, et travail- . lent avec eux dans les mines. Il ajoute qu'il y a beaucoup de follets en Islande qui prennent la figure des gens du pays, et trompent leurs parents et leurs amis sous cette fausse apparence.

    Sur le continent américain nouvellement découvert, on ne tarda pas non plus à découvrir des esprits. Les légendes qui s'y sont rapidement forgées racontent qu'on en trouvait, en plein midi, dans la campagne et dans les villages, qui arrêtent les passants, les maltraitent et leur ordonnent ou défendent de faire certaines choses. Les voyageurs qui avaient parcouru les mers en disent autant du pays des cannibales. On disait aussi en voir,  pendant la moisson, dans la Russie orientale, qui se promènent dans la campagne en habits de veuves, qui obligent les paysans de se prosterner devant elles, et leur rompent les bras et les jambes quand ils ne sont pas assez tôt à leurs pieds. 

    On peut lire beaucoup d'autres exemples dans Diodore, dans Munster et dans Agricola.

    Les esprits familiers. 
    Non seulement les esprits peuvent commercer avec les humains, mais ils peuvent aussi leur être liés personnellement. Ils forment alors la classe des esprits familiers. 

    Les Romains les appeIaient génies, parce que ces esprits s'attachent à nous suivre dès le moment que nous sommes engendrés. Ils attribuaient presque toutes leurs actions à leur génie, c'est-à-dire aux fortes pensées qu'il leur inspirait; et ce que nous appelons suivre son génie, est encore une preuve de cette ancienne créance. 

    Nombre d'esprits familiers ont acquis une part de célébrité. Tel était le génie de Socrate, l'aigle de Pythagore, la nymphe Egérie de Numa Pompilius. Tel était aussi le génie du Constantin le Grand, que cet empereur nommait l'auteur de son salut, et qu'il disait avoir toujours consulté dans les affaires les plus importantes de l'empire. Govare, prétendu roi de Norvège, fut averti par son génie que l'on conspirait contre lui. Apollonius fut enlevé par le sien des mains d'une troupe de soldats qui l'avaient arrêté par ordre de l'empereur Domitien. Aristide fut transporté de Smyrne au mont Atys, lorsque cette ville fut renversée par un tremblement de terre. L'empereur Trajan eût été accablé sous les ruines d'Antioche, sans son bon génie qui l'en fit sortir. Le poète Simonides n'eût pu éviter celles de la maison de Scopas, chez lequel il était à souper, s'il n'eût été averti deux jeunes hommes, qui le demandaient avec instance, et qui disparurent aussitôt qu'il en fut dehors. On mentionnera encore l'entretien de Brutus avec son mauvais génie avant la bataille où il fut défait. 

    Dans sa Cité de Dieu, saint Augustin raconte que les Galles reconnaissaient deux génies qui s'attachaient aux hommes dès leur naissance. L'un, de couleur blanche, leur était favorable; l'autre était noir, et malfaisant. Ils étaient désignés dans la Gaule par le nom générique de Dusii, qui signifie les noirs; et Isidore de Séville les appelle Dusii pilosi on les noirs velus, ajoutant qu'ils prenaient le plus souvent la forme du bouc ou du satyre. Latour d'Auvergne dit aussi que les Bretons de l'Armorique reconnaissaient deux génies qui accompagnaient l'homme dès sa venue au monde, et qui influaient particulièrement sur sa destinée. Ils nommaient le mauvais génie Du oll, qui veut dire tout noir, et dont quelques auteurs prétendent que l'on a fait Diaoul, en français, le Diable.
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    Du génie en bouteille

    En Allemagne, selon les croyances populaires, l'Esprit familier doit être gardé dans un petit flacon de verre bien fermé, et cet esprit, sans ressembler précisément à une araignée ou à un scorpion, se remue sans cesse. Le flacon doit demeurer dans la poche de celui qui l'a acheté, et lorsque celui-ci le place dans un autre endroit, il revient de lui-même dans la poche. 

    Ce flacon porte bonheur; il fait découvrir des trésors cachés, aimer de ses amis et redouter de ses ennemis. A la guerre, il donne la force du fer et de l'acier, rend toujours vainqueur, et préserve par conséquent de devenir prisonnier. Toutes ces propriétés sont aussi favorables que merveilleuses; mais voici le revers de la médaille, c'est que le porteur du flacon, s'il le conserve jusqu'à sa mort, va tout droit en enfer. 

    Aussi celui qui en a fait usage, cherche-t-il toujours à le revendre après un certain temps; mais il ne peut le faire qu'en le cédant à meilleur marché qu'il ne l'a acheté. On raconte à ce sujet qu'un soldat qui s'était ainsi procuré, un Esprit familier en bouteille, le jeta plus tard aux pieds de son précédent possesseur, et s'en alla à la hâte; mais arrivé chez lui , il retrouva le flacon dans sa poche. Alors il alla le lancer dans le Danube, mais sans plus de succès, et ce ne fut qu'après avoir subi un grand nombre de déceptions et de tribulations, qu'il put enfin faire passer le flacon maudit dans la poche d'un autre propriétaire.

    Scaliger, Cecco d'Ascoli, Cardan et plusieurs autres visionnaires disaient avoir, eux aussi, des esprits familiers. Bodin dit avoir connu un homme qui était toujours accompagné d'un esprit familier, lequel lui donnait un petit coup sur l'oreille gauche quand il faisait bien, et le tirait par l'oreille droite quand il faisait mal. Cet homme était averti de la même façon si ce qu'il voulait manger était bon ou mauvais, s'il se trouvait un honnête homme ou avec un coquin, etc. C'était très commode.

    L'esprit des lieux et des peuples.
    Le genius des Romains, qui présidait à la conservation de chaque mortel, devenait le protecteur de chaque lieu où il se trouvait établi. Ils croyaient ainsi à l'existence de diverses classes de dieux domestiques (les pénates et les lares). II leur rendaient un culte comme au reste des dieux; ils leur élevaient des autels; ils leur offraient des sacrifices domestiques; ils conservaient leurs images avec tout le soin et la vénération possible; ils négligeaient même toute autre chose pour les sauver, quand le malheur de la guerre les chassait de leur maison ou de leur pays. Selon la mythologie romaine, Enée aima mieux abandonner ce qu'il avait de plus cher et de plus précieux, que de laisser ses dieux domestiques à ses ennemis.

    Certains de ces esprits étaient aussi dévolus, non plus à la protection du seul foyer, mais aussi de toute la Cité (conçue comme la famille des familles) ou de l'Etat. Les Romains n'assiégeaient pas une ville sans que leurs prêtres n'eussent évoqué le génie ou le dieu tutélaire du pays, et lui promettaient, pour l'avoir favorable, de lui rendre à Rome le même culte et les mêmes honneurs qu'il recevait chez lui. Ils firent aussi publier un édit par lequel ils imposèrent de très rigoureuses peines à ceux qui blasphémaient contre leurs génies, et l'empereur Caligula en fit punir publiquement quelques-uns de ceux qui les avaient maudits.

    Esprits des morts (Revenants).
    Souvent, les créatures fantastiques que l'on qualifie d'esprits sont des revenants. Ainsi, certains auteurs se sont imaginé que ces esprits n'étaient que les âmes des morts qui, étant une fois séparées de leurs corps, erraient incessamment sur la terre, et nous paraissaient tantôt d'une manière et tantôt d une autre; que les âmes des héros se rendaient officieuses auprès de leurs parents, de leurs amis et des gens de bien; mais que les méchants persécutaient les hommes après leur mort, comme ils avaient fait pendant leur vie.

    Ce sentiment leur paraissait d'autant plus vraisemblable, qu'ils s'imaginaient voir des spectres auprès des tombeaux, dans les cimetières, dans les lieux où il y a des cadavres et dans ceux où l'on a tué quelques personnes. 

    « Les esprits, dit Wecker, sont les seigneurs de l'air; ils peuvent exciter les tempêtes, rompre les nues et les transporter où ils veulent, avec de grands tourbillons; enlever l'eau de la mer, en former la grêle et tout ce que bon leur semble.»
    Il y a eu, dans l'intérieur de l'Amérique septentrionale, populations qui croyaient que lorsqu'un homme est enterré, sans qu'on place auprès de lui tout ce qui a appartenu, son esprit revient sous forme humaine, et se montre sur les arbres les plus près de sa maison, armé d'un fusil; on ajoutait qu'il ne peut jouir du repos qu'après que les objets qu'il réclame ont été déposés dans sa tombe.

    Suétone dit qu'après la mort de l'empereur Caligula, on ouït tant de bruit dans le lieu où il avait été tué, que l'on n'osa plus y demeurer. On a longtemps entendu un grand bruit d'armes et de combattants dans les champs de Pharsale, depuis la défaite de Pompée. On n'en ouït pas moins dans la campagne de Marathon, après la déroute des Perses (Les Armées prodigieuses).

    Il y a une montagne en Islande, au pied de laquelle on rencontre souvent, au rapport de Paul de Zélande, des hommes morts, qui paraissent vivants à ceux qui les approchient. Ils leur parlent même, et leur révèlent beaucoup de choses des pays éloignés; et, si on leur dit de retourner chez eux, ils répondent en gémissant qu'ils ne le peuvent, qu'il faut qu'ils aillent au mont Hékla, et disparaissent aussitôt.

    Selon une légende colportée par quelques auteurs, un nommé Etienne Hubner, de Trawteneaur en Bohème, parut, en plusieurs endroits de la ville, peu de jours après sa mort, et qu'il embrassa quelques-uns de ses amis qui le rencontrèrent. On dit de Néron qu'il fut tourmenté toute sa vie par l'âme d'Agrippine, sa mère, qu'il avait fait mourir. Saint-Augustin rapporte que Félix le martyr se fit voir aux habitants de Nôle, lorsque cette ville était assiégée par les barbares. En un mot, les histoires sont toutes remplies d'exemples de morts qui ont apparu à leurs parents ou à leurs amis.

    Certains Pères de l'Eglise ont cru que les âmes des morts pouvaient sortir pour un temps du lieu où elles étaient; que celles des damnés étaient souvent punies où ils avaient commis leurs crimes, que c'était là leur enfer et le lieu de leurs peines. Nous lisons même dans Manilius que, durant le concile de Bâle, quelques docteurs qui devaient y assister, entendirent dans une forêt un rossignol qui chantait si mélodieusement, qu'un de ces docteurs, surpris de la douceur de son chant, le conjura, au nom de Dieu, de lui dire qui il était, et cet oiseau lui répondit qu'il était une âme damnée, qui devait rester dans ce lien-là jusqu'au jour du Jugement dernier.

    La manifestation des esprits

    Certains phénomènes naturels ont parfois été attribués aux esprits. Lorsque les esprits sont en voyage, dit-on par exemple, ils s'enveloppent fréquemment, et ainsi que les fées, d'un tourbillon de poussière; d'autres fois leur passage est signalé par ce phénomène que, quoiqu'il n'y ait pas le moindre vent, les arbres d'un bois ou seulement les branches de ces arbres, se brisent tout à coup. Souvent encore, lorsqu'ils abandonnent les eaux pour s'élever dans l'air, on voit sortir de ces eaux des colonnes de vapeur qui forment ensuite des nuages épais et noirs.

    Dans d'autres cas, les esprits viennent se mêler directement des affaires des humains, avec une logique qui n'est pas très claire. Trop humains eux-mêmes, sans doute...

    Esprits tourmenteurs.
    Certains esprits sont facétieux ou colériques. Ils se manifestent en agaçant les humains. C'est souvent très innocent, mais cela s'avère parfois dramatique.

    L'esprit du château d'Egmont
    Segrais rapporte ce qui suit dans ses Remarques historiques : « Patris avait suivi Gaston en Flandre. Il logea dans le château d'Egmont. L'heure du dîner étant venue, Patris sortit de sa chambre pour se rendre où l'on mangeait. Il s'arrêta en passant à la porte d'un officier de ses amis, fort honnête homme, pour le prendre avec lui. Il heurta fort; mais voyant que l'officier ne venait pas, il frappa une seconde fois et l'appela en même temps, en lui demandant s'il ne venait point dîner. L'officier ne répondit pas. Patris ne doutant pas qu'il ne fût dans sa chambre, parce que la clef était à la porte, ouvre, et, en entrant, il le voit assis près de sa table comme hors de lui-même. Il s'approche de fort près pour savoir ce qu'il avait. L'officier, revenant à lui, dit :

     - Vous ne seriez pas moins frappé que je le suis, si vous aviez vu comme moi ce livre que vous voyez en cet endroit-là, y passer tout seul, et les feuillets se tourner d'eux-mêmes sans que je visse autre chose.
    C'était le livre de Cardan, sur la subtilité. 
    - Bon, lui dit Patris, vous vous moquez : vous aviez l'imagination remplie de ce que vous venez de lire; vous vous êtes levé de votre place , vous avez mis vous-même le livre à l'endroit où il est; vous êtes revenu ensuite vous remettre en votre place, et ne trouvant plus votre livre auprès de vous, vous avez cru qu'il était allé là tout seul.

    - Ce que je vous dis est très vrai, répliqua l'officier, et pour marque que ce n'est pas une vision, c'est que la porte que voilà s'est ouverte et refermée, et c'est par là que l'esprit s'est retiré. 

    Patris alla ouvrir cette porte, qui était celle d'une galerie assez longue, au bout de laquelle il y avait une lourde chaise seulement. Ce meuble massif s'ébranla, quitta sa place en venant vers lui, comme soutenu en l'air. Alors Patris dit :
    - Monsieur le diable, les intérêts de Dieu à part, je suis bien voire serviteur; mais je vous pris de ne plus m'effrayer.  La chaise retourna aussitôt à sa place. Cela fit une si forte impression sur Patris qu'il en devint dévot. »
    Segrais affirme que Patris était incapable d'en imposer.

    Le briseur de vitres de Poitiers.
    Guillaume de Paris écrit que l'an 1447, il y avait un esprit à Poitiers, dans la paroisse de Saint-Paul, lequel rompait vitres et verrières, et frappait à coups de pierres sans blesser personne.

    Le persécuteur de Cologne.
    Caesarius raconte que la fille d'un prévôt de Cologne était si tourmentée d'un esprit malin, qu'elle en devint frénétique. Le père fut averti de faire aller sa fille au delà du Rhin et de la changer de lieu; ce qu'il fit. L'esprit fut obligé d'abandonner la fille, mais il battit tant le père qu'il en mourut trois jours après.

    Un esprit de singe.
    En 1750, un officier du prince de Conti, étant couché dans le château de l'île-Adam, sentit tout à coup enlever sa couverture. II la retire; on renouvelle le manège, tant qu'à la fin l'officier ennuyé jura d'exterminer le mauvais plaisant, met l'épée à la main, cherche dans tous les coins, et ne trouve rien. 

    Etonné, mais brave, il veut, avant de conter son aventure, éprouver encore le lendemain si l'importun reviendra. Il s'enferme avec soin, se couche, écoute longtemps et finit par s'endormir. Alors on lui joue le même tour que la veille. Il s'élance du lit, renouvelle ses menaces, et perd son temps en recherches. La crainte s'empare de lui; il appelle un frotteur, qu'il prie de coucher dans sa chambre, sans lui dire pour quel motif. Mais l'esprit qui avait fait son tour, ne paraît plus.

    La nuit suivante, il se fait accompagner du frotteur, à qui il raconte ce qui lui est arrivé, et ils se couchent tous deux. L'esprit vient  bientôt, éteint la chandelle qu'ils avaient laissée allumée, les découvre et s'enfuit. Comme ils avaient entrevu cependant un monstre difforme, hideux et gambadant, le frotteur s'écria que c'était le Diable, et courut chercher de l'eau bénite. Mais au moment qu'il levait le goupillon pour asperger la chambre, l'esprit le lui enlève et disparaît...

    Les deux champions poussent des cris; on accourt; on passe la nuit en alarmes, et le matin on aperçoit sur le toit de la maison un gros singe qui, armé du goupillon, le plongeait dans l'eau de la gouttière et en arrosait les passants.

    Esprits frappeurs, tables tournantes et spiritisme
    Vers le milieu du XIXe siècle, en Amérique, on raconta que dans une maison du petit village d'Hydesville (comté de Wayne) [Etat de New-York], des bruits insolites se produisaient, des voix étranges avaient été entendues, et attribués les uns et les autres par la crédulité publique à l'intervention des esprits, alors qu'il fut établi plus tard que bruits et voix n'étaient que le résultat d'une supercherie. Quoi qu'il en soit, dès ce jour, on évoqua des manifestations d'esprits de toutes parts; les médiums se comptèrent bientôt par milliers aux Etats-Unis. Ce fut en ainsi sous ces auspices suspects, mais bientôt répandus par l'engouement de la vogue, que se propagea une croyance nouvelle, qui se confondit bientôt avec le phénomène déjà fort répandu des tables tournantes, auquel on attribuait une intervention surnaturelle. Ces tables frappaient, tournaient, s'agitaient, marchaient, gesticulaient et répondaient aux questions.

    Il ne restait plus qu'à inventer la théorie de ces phénomènes. Alors survint un savant et un philosophe lyonnais, Hippolyte-Denizart Rivail, plus connu sous le pseudonyme d'Allan Kardec, qui étudia ces supposées manifestations et en fit la base d'une nouvelle doctrine, à laquelle il donna le nom de spiritisme. Le spiritisme se présente comme une science occulte et se donne pour objet principal de déterminer les conditions d'existence de l'esprit avant, pendant et après son incarnation en un corps terrestre, et d'établir les règles de la manifestation de l'esprit des morts aux vivants.

    Le spiritisme.
    Selon les dogmes fondamentaux du spiritisme, Dieu, être suprême, source éternelle de vie, est force, intelligence et amour, cause de toutes choses et de tous les êtres, éternel, infini et absolu. La force divine, somme totale des vibrations nécessaires au fonctionnement de l'univers, est source intense de chaleur et de lumière, source du fluide universel. L'âme humaine, étincelle du foyer divin, est constituée par deux parties, l'une immatérielle et l'autre semi-matérielle, dont la source est le fluide universel, et que la doctrine spirite nomme le périsprit. Ces deux éléments inséparables doivent parcourir, avant d'arriver à la perfection suprême, de nombreuses carrières qui comprennent chacune l'incarnation, la croissance et la désincarnation.

    L'incarnation est le fait, pour l'âme, de renaître dans un corps spécialement préposé à cette oeuvre. Lorsque la mort arrive, c'est la désincarnation de l'esprit, qui se dégage de la matière, mais qui demeure enveloppé do son corps fluidique ou périsprit, qui le retient encore captif dans les zones terrestres. C'est en cet état que, pouvant agir fluidiquement sur les êtres et les choses matérielles, il se manifeste par l'intermédiaire des médiums, jusqu'au jour où il se réincarnera de nouveau.

    C'est ainsi que le spiritisme base et justifie la communication des vivants avec les esprits qui se manifestent à eux, les guident et les conseillent. Ils se manifestent en unissant leurs fluides spiritualisés aux fluides vitalisés du corps humain, et c'est en cette fusion des fluides que consiste l'état de médiumnité.

    Les phénomènes principaux de ces manifestations spirituelles sont les coups frappés, la sématologie, qui se font entendre dans les objets inanimés, les maisons hantées, etc.; la typtologie, c'est-à-dire l'écriture au moyen de la table, qui répond en frappant aux questions qui lui sont posées; la psychographie, ou écriture mystérieusement tracée directement par l'esprit sur une feuille de papier, une ardoise, etc., ou indirectement par l'organe d'un médium écrivain, qui trace inconsciemment des caractères, des dessins, de la musique, etc.; l'incorporation, c'est-à-dire la prise de possession par l'esprit d'un corps humain, par les organes duquel il se manifeste; les apparitions, qui se produisent pour les médiums voyants; l'audition, phénomène de voix perçues par les médiums auditifs; la matérialisation, manifestation visuelle plus complète que l'apparition; les apports, phénomène fantastique qui consiste en la projection d'objets divers: fleurs, fruits, bijoux, expliqué, selon la doctrine spirite, par la dématérialisation de ces objets, transportés alors à l'état moléculaire et rematérialisés, reconstitués ensuite dans leur état primitif. 

    D'autres phénomènes, que l'on nomme extériorisation, sont encore évoqués par le spiritisme; ils sont dus à la faculté dont certaines personnes sont douées de disposer de leur force personnelle, fluidique et spirituelle, qu'elles parviennent à dégager. Les plus importants do ces phénomènes sont le magnétisme, la télépathie, le mentévisme ou transmission de pensée, etc. 

    La doctrine spirite, bien que relativement récente sous la forme que lui a donnée son fondateur remonte, a revendiqué des principes qu'elle a fait remonter jusqu'aux religions les plus anciennes. 

    L'antique doctrine de l'Inde, celle (plus ou moins abusivement réinterprétée) des mages d'Egypte, de Chaldée et de Perse, connaissaient les évocations des âmes des trépassés, et admettaient que la partie spirituelle de l'être, l'esprit, agissait sur la matière au moyen du fluide sidéral; elles professaient l'existence d'un corps astral, composé d'éléments fluidiques cosmiques, enveloppe de l'esprit, qui n'est autre chose que le périsprit du spiritisme; les réincarnations successives, jusqu'à ce que l'esprit ait atteint la perfection définitive, faisaient partie de leurs dogmes; elles enseignaient l'existence des guides spirituels qu'admet le spiritisme, sous le nom d'esprits tutélaires; les différents séjours des âmes, nécessaires à leur purification, existent dans toutes les théories religieuses.

    Le spiritisme, terre d'élection des charlatans, a servi, entre les mains d'habiles opérateurs, à l'exploitation de la crédulité humaine, toujours si prompte à s'enthousiasmer pour les phénomènes surnaturels et les choses du merveilleux. Il a eu ses faux médiums, ses faux voyants, ses faux prophètes et même les prétendus photographes des esprits évoqués qui échouent, à l'occasion, en correctionnelle. (J. Collin de Plancy / A. de Chesnel / NLI).

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    Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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