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On
a donné le nom d'Argonautes, a des héros
grecs qui, sous la conduite de Jason, allèrent
au pays fabuleux d'Aea, de bonne heure identifié avec la
Colchide
conquérir la Toison d'or. Ils étaient
montés sur le navire Argo. Leur nombre varie
selon les versions du mythe; l'opinion la plus commune le porte à
cinquante, mais parfois aussi cinquante-deux (qui est le nombre de semaines
dans une année, et arrange bien certains exégètes!).
Les plus célèbres après Jason furent Héraclès,
qui se sépara de ses compagnons en route, Orphée,
Tiphys, pilote du vaisseau, Asclepios, Lyncée,
Castor
et Pollux, Calaïs et Zéthès,
Tydée,
Nestor.
Partis d'Iolcos
en Thessalie ,
ils arrivèrent à travers mille dangers et après mille
retards en Colchide, s'emparèrent de la toison avec le secours de
Médée,
fille du roi de ce pays, et revinrent en Grèce ,
selon les uns, par le Danube
et la Méditerranée ,
ou, selon d'autres, après avoir navigué sur la Volga ,
la mer Baltique ,
l'Océan Atlantique ,
le détroit de Gadès et la Méditerranée.
L'expédition des Argonautes formait,
avec celle de Troie et la guerre contre Thèbes ,
la plus riche matière épique que les Grecs
aient chantée. Du temps d'Homère
déjà, elle était dans toutes les bouches, comme l'atteste
un vers de ce poète; Hésiode y
fait allusion à diverses reprises. Un poème antique, dont
le titre était Naupactia, les chants du Corinthien Eumèle,
ceux d'Epiménée le devin crétois, Antimaque dans sa
Lydé,
les logographes dans leurs oeuvres en prose, Pindare
parmi les lyriques ( la IVePythique),
tous les tragiques, sans compter les comiques da la comédie
moyenne par la parodie, en ont recueilli, embelli, étendu les épisodes.
La poésie savante des Alexandrins, par la plume d'Apollonios
de Rhodes, les fit revivre, cherchant à suppléer
au souffle épique par l'érudition mythique et géographique.
La faveur dont jouit cette oeuvre parmi les lettrés du monde romain
est attestée par la traduction qu'en fait Varron de l'Atax au temps
de César, par l'imitation dont elle est
l'objet au Ier siècle de la part
de Valerius Flaccus. A une époque plus récente encore, les
Argonautiques
tentent un auteur de supercherie littéraire, qui met son poème
grec sous la nom d'Orphée. |
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Causes
de l'expédition
Athamas, roi des
Minyens d'Orchomène en Béotie ,
a eu deux enfants de Néphélé,
son épouse divine : Phrixos et Hellé.
Sur le conseil d'une seconde femme, mortelle celte-là, Ino,
fille de Cadmos
de Thèbes ,
il s'apprête à les sacrifier à Zeus
Laphystios. Mais Néphélé envoie à ses enfants
un bélier à
toison
d'or qui les emporte par la mer jusqu'au pays d'Aea, «sur
les bords de l'Océan, là où les rayons du soleil
sont enfermés dans une chambre d'or ». En chemin, Hellé
a glissé de sa monture et trouve la mort dans les flots auxquels
elle donne son nom. Phrixos, arrivé au terme de son voyage, immole
le bélier à Zeus et fait hommage de sa toison à Aietes,
roi du pays, qui lui donne sa fille Chalciopée en mariage. La toison
est consacrée à Arès et gardée
par un dragon redoutable.
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La
réunion des Argonautres sous la protection d'Athéna.
Détail
d'un cratère d'Orviéto. Musée du Louvre.
On a voulu expliquer ce point de départ
du mythe des Argonautes comme suit : Phrixos et Hellé, enfants de
Nephélé, c.-à-d. de la Nuée, sont l'un l'image
du tonnerre qui gronde, l'autre de l'éclair qui luit; le bélier,
symbole des pluies fertilisantes, les emporte vers le lointain orient,
dans les régions où règne le fils d'Hélios.
Les autres éléments de la légende dépendraient
d'un culte local de Zeus Laphystios en Béotie, à qui l'on
immolait originairement des victimes humaines et qui est resté le
dieu
sombre et terrible, celui dont la colère fait régner
la sécheresse funeste à la culture du sol. On ne peut que
se montrer prudent devant ce type d'explications simplement naturalistes.
Jason
et Pélias
A Iolcos ,
dans la Thessalie
méridionale, régnait un frère d'Athamas,
du nom de Cretheus, qui a pour femme Tyro, laquelle lui a donné
pour fils Eson, Phérès et Amythaon,
tandis que, par les oeuvres de Poseidon, elle
devient mère de Pélias et de Nélée. Pélias,
"plein d'insolence, d'audace et de desseins coupables", après avoir
obligé son frère Nélée à s'enfuir à
Pylos ,
en Messénie ,
ravit à Eson la royauté d'lolcos. Le fils d'Eson, Jason,
réussit à se dérober aux recherches de son oncle et
est élevé en secret sur le mont Pélion par le Centaure'
Chiron.
Héra
le couvre de sa protection; vers la vingtième année, elle
le fait reparaître dans Iolcos pour y revendiquer ses droits à
la royauté jadis enlevée à son père. Pélias,
craignant l'accomplissement d'un
oracle antique
qui lui annonce sa perte de la part d'un homme chaussé d'un seul
pied (c'est en effet dans cette tenue que Jason s'est d'abord montré
à lui), lui fait entreprendre le voyage d'Aea, pour la conquête
de la Toison d'or et pour le rapatriement de
I'âme de Phrixos. Dans cette partie du
mythe,
Jason apparaît comme le sauveur secourable, Pélias, comme
le représentant, en Thessalie, du culte de Poseidon, c. -à-d.
de la mer tempétueuse, en opposition avec la puissance d'Hera et
d'Athéna, protectrices de Jason.
Expédition
des Argonautes
Jason convoque pour
son voyage les principaux héros de son peuple. Les premiers qui
figurent dans le mythe sont des Minyens d'lolcos ,
d'Orchomène et de Pylos. Le mythe des Argonautes se complique, apparemment,
des plus anciennes traditions relatives aux origines de la navigation,
et l'on voudra y voir une légende géographique. Quoi qu'il
en soit, peu à peu ce ne sont pas seulement des Minyens, héros
de la navigation primitive, qui y participent; mais chaque contrée
de la Grèce
cherche à y faire figurer ses plus illustres protecteurs. Héraclès,
les Dioscures, Orphée,
Mopsus sont mis parmi les compagnons de Jason. Mais on sent que leur rôle
ne peut être qu'accessoire, qu'ils ont été glissés
dans la légende après sa formation première. L'expédition
des Argonautes fournit un pendant à l'Odyssée ;
elle en formerait même un aux courses d'Enée,
si celles-ci avaient jamais été, chez les Grecs anciens,
l'objet d'une légende spéciale et coordonnée. Mais
par son caractère purement aventureux, elle exclut les héros
violents et belliqueux, tel qu'Héraclès; aussi ce dernier
ne va-t-il pas jusqu'au bout du voyage et s'arrête en route. On s'embarque
à bord du navire Argo, dont le nom indique
ou la rapidité ou la blancheur lumineuse. Ce navire a été
construit avec l'aide d'Athéna qui y a
fixé un morceau du chêne
prophétique de Dodone ;
cinquante rameurs y prennent place.
On s'arrête une première
fois à Lemnos dont les femmes viennent de massacrer tous leurs époux,
parce qu'elles avaient été délaissées par eux.
Les héros y deviennent les pères d'une population nouvelle,
sous la protection des Cabires, auxquels ils
vont ensuite rendre hommage dans l'île de Samothrace .
A cet épisode, s'en rattachent une foule d'autres, inventés
par l'imagination locale, tout le long des côtes de la Propontide,
des deux Bosphore
et de la mer Noire. Les plus célèbres sont ceux de Cyzique
et d'Hylas, dont les rives des Dolions furent le théâtre;
la lutte de Pollux et d'Amycus à
l'entrée du Bosphore de Thrace, dans le pays des Bébrices
celui de Phinée et des Harpyes; au voisinage
de Salmidessos sur le Pont-Euxin; enfin, la traversée des Symplégades,
roches mobiles, qui écrasaient les navires entre leurs parois et
que les Argonautes franchissent sans encombre, grâce aux conseils
de Phinée.
Les
Argonautes en Colchide
Après avoir abordé à
Héraclée du Pont ,
et reçu bon accueil de Lykos, roi des Mariandyniens, chez qui ils
perdent leur pilote Tiphys, les Argonautes arrivent à l'embouchure
du Phase; c'est là que l'imagination des marins grecs place l'extrémité
orientale du monde, qui s'opposait pour eux aux portes d'Hercule, situées
à l'extrême Occident. C'est là qu'est la Colchide ,
le pays du soleil, au delà duquel s'élèvent les sommets
du Caucase ,
derrière, l'Océan à l'horizon infini. Jason
réclame la Toison au roi Aiétès,
qui lui enjoint au préalable de mettre sous le joug deux taureaux
aux sabots d'airain, aux naseaux vomissant la flamme et, après les
avoir attelés, de labourer un champ, d'y semer les dents d'un dragon,
de vaincre les géants qui naîtront
de cette semence. Avec l'aide de Médée, fille d'Aeétès,
qui s'éprend pour lui d'un violent amour, Jason subit avec succès
ces diverses épreuves, s'empare de la Toison gardée dans
le bois sacré d'Arès
par un dragon toujours vigilant; puis, il s'embarque avec Médée
qui retarde la poursuite, dont ils sont l'objet de la part d'Aiétès,
en immolant Absyrte, son frère, et en
semant ses membres dans les flots.
Retour
des Argonautes
Les traditions diffèrent sur le chemin
suivi par les Argonautes au retour. Les uns leur font remonter le Phase
et déboucher dans l'Océan à l'extrême Orient
et dans la mer Erythrée ,
d'où ils reviennent dans la Méditerranée par la Libye
après avoir porté le navire sur leurs épaules. Les
autres, sans doute à cause du fantastique de cette géographie,
les font simplement revenir par le chemin suivi d'abord; d'autres les font
errer par les mers occidentales et les ramènent dans l'Adriatique
et la mer tyrrhénienne, soit en les guidant d'abord vers le nord
par le Tanaïs, soit en transformant l'Ister en une sorte de canal
qui met en rapport le Pont-Euxin avec les côtes Illyriennes. C'est
la géographie suivie par 'Apollonios
de Rhodes dans ses Argonautiques .
De la mer Adriatique, ils passent par l'Eridan (le Pô) dans le Rhône
et dans la mer Ligurienne jusqu'à l'île d'Aea, où Circé
les purifie du meurtre d'Absyrte. C'est dans
ces parages que le poète refait à l'intention des Argonautes
une partie de l'Odyssée ,
l'épisode des Sirènes, Charybde
et Scylla, la visite aux Phéaciens de Corcyre, où ont lieu
les noces de Jason et de Médée,
qui chez les plus anciens poètes s'étaient célébrées
en Colchide ou à lolcos. Ils rentrent dans en Thessalie
par la Libye, par la Crète, où Talos, le gardien de l'île,
trouve la mort du fait de Médée; par Egine, d'où l'Euripe
les mène aux rivages de la Thessalie. La Toison
d'or est remise à Pélias, et
le navire Argo, consacré à Poseidon,
près de l'isthme de Corinthe, est placé par Athéna
parmi les constellations célestes.
Ce mythe, un de ceux qui, par ses plus
anciens éléments, conserve le mieux, semble-t-il, certains
éléments de la religion hellénique,
est aussi celui qui dans son cadre a accueilli les traditions les plus
variées. Il est curieux encore, en ce que, dans ses transformations
et ses développements successifs, il nous renseigne en quelque sorte
sur l'état des connaissances géographiques aux diverses époques
de l'expansion maritime de la Grèce .
(J.
A. Hild).
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En
librairie - Apollonios de Rhodes,
Argonautiques,
Les Belles Lettres (série grecque), 2002, trois volumes (1975,1980,1981)
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